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Mais dans tout ce qu’il apprendrait, quelque chose l’inciterait-il à tourner ses regards vers le ciel ?

— Je n’en sais rien, dit Shedemei d’un ton las. Mais si quelqu’un voulait attirer mon attention, en tout cas, il n’aurait qu’à se mettre à piétiner mes jardins sur Terre. Là, je le remarquerais, crois-moi !

C’est donc ce que nous faisons : nous piétinons les jardins de la Gardienne de la Terre.

— En moins destructeur, j’espère.

Ça vaudrait mieux pour Chebeya, Akmaro et les leurs.

— Continue à me culpabiliser comme ça et je vais finir par prendre leur sort tellement à cœur que je n’aurai plus le temps de m’inquiéter des habitants d’Harmonie ! C’est ça que tu veux ?

Non.

— Basilica a été rasée il y a un demi-millénaire. Tous mes proches sont morts. Mon pays natal m’est à jamais inaccessible. Tout ce pour quoi j’ai ressenti de l’attachement un jour ou l’autre est mort, sauf mes jardins. Tiens-tu vraiment à ce que je me lie d’affection avec Akmaro et Chebeya, que je cultive les mêmes sentiments pour eux que ceux que j’avais pour Rasa et les siens, pour mes amis, pour mon mari et mes enfants ?

Non.

— Alors fiche-moi la paix.

Je ne peux pas. Tu es le pilote stellaire. Je suis programmée pour préserver la santé du pilote.

— La santé ! Qu’est-ce que la santé vient faire là-dedans ?

Ce n’est pas bon pour toi de rester seule.

Un frisson désagréable parcourut Shedemei. Elle n’avait pas envie que Surâme fourre son nez dans sa vie privée. Elle était très bien toute seule. Zdorab n’était plus, ses enfants n’étaient plus et c’était parfait ; elle avait du travail et surtout pas besoin de distractions. La santé ! Tu parles !

Akma était assis au sommet de la butte, épuisé par sa journée de travail, mais si débordant de rage que même allongé il n’aurait su se reposer. Et puis il n’aurait pas pu voir son père, là-bas, dispenser son enseignement – devant les fils abjects de Pabulog installés au premier rang ! Après tout ce qu’ils lui avaient fait, Père les acceptait et leur donnait la place d’honneur ? Naturellement, Père et Mère affichaient de le vouloir, lui, Akma, accroupi au milieu du premier rang, comme toujours jusque-là. Mais côtoyer Didul le menteur, Pabul le méprisant, Udad le brutal, Muwu le triste petit sournois visqueux ? Il fallait que Père le sache : c’était plus d’humiliation qu’Akma ne pouvait en supporter !

C’est pourquoi il se trouvait sur la colline, à contempler un moment les feux de camp des gardes fouisseurs, le moment suivant l’assemblée devant Akmaro. Je ne suis plus capable de faire la différence entre amis et ennemis. Les fouisseurs ne font de mal qu’à mon corps ; les Pabulogi ont meurtri mon amour-propre ; et mon père lui-même m’a dit que je n’étais rien pour lui, rien à côté des fils de son ennemi !

Tes ennemis étaient les miens, Père. Pour toi, par loyauté envers toi, j’ai enduré tout ce qui m’arrivait, fièrement, parce que c’était pour toi. Et maintenant, tu accueilles mes bourreaux et tu leur parles comme s’ils étaient aussi tes fils. Tu vas même jusqu’à les appeler « mes fils » ! Tu as osé appeler cet hypocrite, cette croûte au rectum d’un putois « Diduldis » : fils bien-aimé ! Mais le fils de qui ? Oh, trois fois rien, juste le fils de l’homme qui a voulu te tuer, Père, qui t’a forcé à t’exiler ! Juste le fils de l’homme que je haïssais par amour pour toi ! Et voilà que tu lui donnes un nom dont tu n’aurais jamais dû gratifier personne d’autre que moi ! Je suis Akmadis – sauf si lui est baptisé Diduldis par tes lèvres ! S’il est ton fils, moi, je ne le suis plus !

À nouveau, comme tant de fois auparavant, Akma sentit les larmes lui monter aux yeux. Mais il les refoula – il arrivait de mieux en mieux à cacher ses vrais sentiments. Cependant, à le voir assis là, dissident solitaire, on se doutait bien que quelque chose ne le satisfaisait pas.

Mère montait le flanc de la butte. Elle n’avait donc pas encore baissé les bras ?

Ah si ! Luet l’accompagnait, et, tiens, Mère s’arrêtait et Luet continuait toute seule. Naturellement ! Père ne parvient à rien avec ce méchant garçon d’Akma et Mère non plus. Eh bien, déléguons Luet et voyons ce qu’elle obtient.

« Kmada ! cria-t-elle quand elle fut assez près.

— Pourquoi tu ne redescends pas écouter Père ? » répondit-il froidement. Mais l’hésitation qu’il lut dans les yeux de sa sœur le fit fléchir. Que savait-elle de ces questions ? Elle était innocente et lui ne voulait pas se montrer injuste envers elle. « Viens ici, Lutya, Ludayet.

— Oooh, Akma, c’est moche, ce nom !

— Moi, je trouve ça mignon, Ludayet.

— Mais c’est Lutya, le nom de l’Héroïne.

— De la femme du Héros, corrigea Akma.

— Père dit que les femmes de l’ancien temps étaient autant des héros que les hommes.

— Eh bien, c’est son opinion. Il croit aussi que les fouisseurs sont des gens.

— C’est vrai, tu sais. C’est parce qu’ils ont un langage. Et il y a des bons fouisseurs et des mauvais.

— Je suis au courant : parce que la plupart sont morts ; ceux-là, ce sont les bons.

— Tu es aussi en colère contre moi que contre Père ?

— Je ne suis jamais en colère contre toi.

— Alors, pourquoi tu m’obliges à m’asseoir à côté de ce sale petit cochon ? »

Akma éclata de rire à cette description de Muwu. « Ce n’est pas moi qui l’ai voulu.

— Oui, mais c’est toi qui as voulu venir ici en me laissant toute seule.

— Luet, je t’adore ; mais je refuse de rester à côté des fils de Pabulog. Muwu compris. »

Luet hocha gravement la tête. « D’accord. C’est ce que disait Père : tu n’es pas encore prêt.

— Prêt ? Je ne serai jamais prêt !

— C’est pour ça que Mère m’a dit d’aller apprendre auprès de toi. »

Sans le vouloir, pris par surprise, Akma regarda sa mère debout au pied de la butte, qui les observait. Elle avait dû sentir, ou deviner, le tour qu’avait pris la conversation, car elle hocha la tête, puis se retourna pour rejoindre le groupe toujours attentif aux paroles d’Akmaro.

« Je ne suis pas professeur, dit Akma.

— Tu en sais toujours plus que moi », répondit Luet.

Akma savait à quoi jouait sa mère – et comme ce devait être avec l’accord de son père, c’était en réalité Père qui jouait : Si Akma ne veut pas participer en écoutant le grand professeur Akmaro – mais ne fallait-il pas dire, comme Pabulog, Akmadi le traître ? –, associons-le en le faisant instruire Luet. Il n’osera pas se montrer méchant avec elle ni assez malhonnête pour lui apprendre des contre-vérités ou décharger sur elle sa colère contre son père.

Ça leur ferait les pieds si je racontais à Luet comment Père m’a trahi ! comment il nous trahit depuis toujours ! Il décide un jour de croire ce vieux fou de Binadi et on se retrouve tous expulsés de la cité, obligés de vivre dans la nature ! Et voilà, tandis que nous subissons le fouet des surveillants fouisseurs et les tourments des fils de Pabulog, ces démons, voilà que Père vient nous enseigner que, selon la parole de Binadi, le Gardien veut que nous considérions les fouisseurs et les anges comme nos frères, les femmes comme nos égales, alors que tout le monde sait bien que les femmes sont plus petites et plus faibles que les hommes, et les fouisseurs et les anges même pas de notre espèce ! Autant nous prétendre frères des arbres et oncles des termites ! Autant appeler les escargots « Père » et les bousiers « fils » !