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Mais de tout cela, il ne dit rien à Luet. Non, il s’empara d’un bout de bois, arracha quelques mottes d’herbe pour disposer d’une surface de terre vierge, et se mit à y écrire des mots sur lesquels il interrogea sa sœur. Autant lui faire la classe ; c’était mieux que de rester seul, consumé de l’intérieur par la rage. Et pas question de se servir de Luet contre Père. C’était une tout autre affaire, à régler en son temps. À un moment où Didul ne serait pas là à faire des simagrées chaque fois qu’Akma ouvrait la bouche, où il n’aurait pas à supporter les relents de bouc en rut de Pabul, où Père et lui pourraient se regarder en face et se dire la vérité.

Je n’aurai pas de repos tant que Père n’aura pas reconnu sa déloyauté, avoué qu’il les aime plus que moi, que c’était de la perversité de leur pardonner sans me demander mon avis, sans me prier de le pardonner lui aussi. Comment a-t-il pu leur pardonner comme si c’était la chose la plus naturelle du monde ? Et de quel droit, alors que moi, je m’y refusais ? C’est moi qui avais le plus souffert ! Tout le monde le savait ! Et devant tout le monde, Père leur a pardonné et les a plongés dans l’eau pour en faire des hommes nouveaux ! Oh, bien sûr, il les a obligés à prononcer ces paroles d’excuse grotesques : Nous regrettons, Akma ; nous regrettons, Luet. Nous regrettons, tout le monde. Nous ne sommes plus les méchants qui ont agi alors. Nous sommes des hommes nouveaux et de vrais croyants.

Suis-je le seul à ne pas être dupe ? Suis-je seul à voir qu’ils escomptent toujours nous trahir ? Qu’un de ces jours, leur père va rappliquer, qu’ils nous dénonceront et que nous paierons notre confiance en eux ?

Même moi, je paierai !

Un frisson le parcourut à l’idée de ce que les fils de Pabulog lui infligeraient quand ils auraient une fois encore révélé leur vraie nature, leur malveillance pure ! Père se repentirait, alors, mais c’est Akma qu’on punirait pour sa bêtise.

« Tu as froid ? demanda Luet.

— Un peu.

— Il fait très chaud, ce soir. Si tu as froid, c’est que tu es malade.

— D’accord. Je n’aurai plus froid.

— Si tu veux, je peux m’asseoir contre toi pour te tenir chaud. »

C’est ce qu’elle fit ; il lui passa le bras autour des épaules et ils continuèrent d’étudier les mots qu’il écrivait dans la terre. Elle avait l’esprit très vif, cette gamine ; beaucoup plus que les garçons que connaissait Akma. Dans ce domaine, peut-être que ce qu’enseignait Père était vrai. Peut-être que les filles étaient en tout point aussi douées que les garçons, pour ce qui était d’apprendre, en tout cas. Mais celui qui prétendait qu’une fouisseuse était l’égale de cette fillette douce et confiante, il fallait qu’il soit dément ou malhonnête. À quelle catégorie appartenait Père ? Et était-ce important ?

Ils redescendirent de la butte presque à la nuit noire ; la réunion était terminée. Luet entra la première dans la hutte et se mit à raconter à sa mère les choses qu’Akma lui avait apprises.

« Merci, Akma », fit sa mère.

Il hocha la tête. « C’est avec plaisir, Mère », répondit-il à mi-voix.

Mais à son père, il ne dit rien et son père ne lui adressa pas la parole.

5

Mystères

Mon ne put s’empêcher de remarquer que Bego était distrait. C’est à peine si le vieux savant entendait ses réponses, et quand Bego lui reposa exactement la question à laquelle il venait de répondre, il n’y tint plus ; d’un ton maussade, il dit :

« Qu’est-ce qu’il y a ? Ça ne t’intéresse plus d’instruire le cadet ? »

Bego eut une expression agacée. « Comment ça ? Pourquoi cette mauvaise humeur ? Je pensais que tu n’en étais plus là depuis des années.

— Tu viens de me poser deux fois la même question, Bego, ô maître plein de sagacité. Et comme tu n’as pas entendu un traître mot de ma réponse la première fois, ça ne peut pas être que tu n’en es pas satisfait et que tu veux que je la reformule.

— Ce que tu as besoin d’apprendre, c’est le respect. » Bego s’élança du haut de son tabouret, oubliant sans doute qu’il était trop vieux et trop gros pour voler convenablement. Il se retrouva aussitôt sur le sol et dérapa jusqu’à la fenêtre, où il s’arrêta, hors d’haleine. « Même plus capable d’atteindre l’appui-fenêtre ! grogna-t-il, mécontent.

— Au moins, tu te rappelles comment on vole.

— Vas-tu cesser de nous rebattre les oreilles avec ta grotesque jalousie du peuple du ciel ? Ne serait-ce qu’un jour, une heure, une petite minute, vas-tu cesser et t’intéresser un peu à la réalité ? »

Piqué au vif, humilié, Mon aurait voulu trouver une répartie mordante, un mot d’esprit cinglant qui aurait fait regretter à Bego ses paroles cruelles. Mais aucune réponse ne lui vint, car Bego avait raison. « Peut-être que si j’arrivais à supporter ma vie telle qu’elle est un jour, une heure, une petite minute, je pourrais oublier mon désir d’être différent », dit-il finalement.

Bego se tourna vers lui avec un regard adouci. « Qu’entends-je ? Mon deviendrait-il franc ?

— Je ne mens jamais.

— Je parle de franchise en ce qui concerne tes sentiments.

— Tu ne vas tout de même pas me faire croire que ce sont mes sentiments qui te rendaient soucieux ! »

Bego se mit à rire. « Je ne me soucie guère des sentiments des autres. Mais les tiens pourraient avoir de l’importance. » Il observa Mon comme s’il écoutait quelque chose. Mais quoi ? Le cœur de Mon ? Ses pensées secrètes ? Je n’en ai pas, songea Mon. Ou plutôt, si elles sont secrètes, ce n’est pas parce que je les garde pour moi – c’est parce que personne ne s’en enquiert.

« Permets-moi de t’exposer un problème, Mon, fit Bego.

— Ah, on reprend le boulot, alors.

— C’est moi qui travaille, cette fois, pas toi. »

Mon ne parvint pas à savoir si Bego le traitait avec condescendance ou respect ; aussi écouta-t-il.

« Tu te rappelles l’époque où les Zenifi sont revenus, il y a plusieurs mois ?

— Je me rappelle. On les a installés dans leur nouvelle terre, et Ilihiak a refusé de demeurer leur roi. Il les a fait se choisir eux-mêmes un gouvernant. Et ils ont prouvé leur ingratitude en élisant Khideo plutôt qu’Ilihiak.

— Ah ! tu as donc fait attention à ce qui se passait !

— C’en est resté là ?

— Pas du tout. Quand la voix du peuple s’est retournée contre lui, vois-tu, Ilihiak est venu ici.

— Demander de l’aide ? Croyait-il vraiment que Père allait jouer au juge et l’imposer aux Zenifi ? C’est lui qui a voulu laisser les gens voter ; qu’il se débrouille avec leur choix !

— Tu as parfaitement raison, dit Bego, sauf qu’Ilihiak serait le premier à tomber d’accord avec toi. Il n’est pas venu chez nous pour obtenir le pouvoir, mais parce qu’il en était enfin libéré.

— Donc, c’est un citoyen ordinaire. Pour quel motif venait-il voir le roi ?