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— Oh, il n’a pas besoin de motif, tu sais. Ton père s’est pris d’affection pour lui. Ils sont devenus amis. »

Mon sentit un pincement de jalousie. Cet étranger qui ne connaissait même pas le nom de Père six mois plus tôt, lorsque Monush l’avait découvert, était l’ami du roi, tandis que Mon languissait dans son statut de second fils, heureux de voir son père une fois au cours de la semaine dans un contexte plus personnel que le conseil royal.

« Mais il avait bel et bien un motif, reprit Bego. Il appert qu’après l’assassinat du père d’Ilihiak…

— Une nation de régicides… et en plus, ils ont élu à leur tête un ancien aspirant au régicide.

— Oui, oui, le coupa Bego d’un ton impatient. Écoute-moi, maintenant. Après que Nuab a été tué et qu’Ilihidis est devenu roi…

— Dis-Ilihi ? Pas l’héritier ?

— Le peuple a choisi le seul parmi les fils de Nuab qui ne s’est pas enfui lors de l’invasion elemaki. Le seul qui ait du courage. »

Mon hocha la tête. Il n’était pas au courant de ce fait. Un second fils qui héritait sur la base de son mérite !

« Ne rêve pas, l’avertit Bego. Ton frère aîné n’est pas un lâche. Et il est malséant de ta part de lui souhaiter de se faire dépouiller de son héritage. »

Mon se dressa d’un bond, furieux. « Comment oses-tu m’accuser d’avoir des idées pareilles ?

— Quel second fils ne les a pas ?

— Dans ces conditions, je peux aussi bien te supposer jaloux des grandes responsabilités de bGo alors que tu n’as qu’un poste d’archiviste et de précepteur pour enfants ! »

Ce fut au tour de Bego de se mettre en colère. « Comment oses-tu, toi, un simple humain, parler de mon autresoi, comme si tu pouvais comparer tes piètres liens de fraternité avec ceux qui existent entre autresois ! »

Ils restèrent plantés là, dressés sur leurs ergots, les yeux dans les yeux. Pour la première fois de sa vie, Mon s’aperçut que pour cela, il devait baisser les yeux. Il commençait à acquérir sa taille adulte. Comment cela avait-il pu lui échapper ? Un petit sourire lui vint aux lèvres.

« Ainsi tu souris, fit Bego. Pourquoi ? Parce que tu as réussi à me provoquer ? »

Plutôt que d’avouer la pensée égoïste et puérile qui avait déclenché son sourire, Mon inventa une autre raison, qui devint vraie dès qu’il l’eut formulée. « Un étudiant n’a-t-il pas le droit de se réjouir d’avoir poussé son professeur à se conduire comme un enfant ?

— Et dire que je m’apprêtais à te parler d’affaires d’État sérieuses !

— En effet. Mais tu as préféré m’accuser de vouloir que mon frère perde son héritage.

— Je m’en excuse.

— J’aimerais aussi que tu t’excuses de m’avoir traité de “simple humain”.

— Je te présente mes excuses pour ça aussi, dit Bego avec raideur. Ce n’est pas parce que tu n’es qu’un simple humain que tu ne peux ressentir une affection réelle et une loyauté sincère pour tes frères et sœur. Ce n’est pas ta faute si tu es incapable d’avoir la moindre idée des liens d’unicité partagée entre autresois chez le peuple du ciel.

— Ah, Bego, je vois maintenant ce que voulait dire Husu, quand il t’a décrit comme le seul individu de sa connaissance capable d’insulter davantage par ses excuses que par ses médisances !

— Husu a dit ça ? Et moi qui croyais qu’il n’avait rien compris !

— Parle-moi de cette affaire d’État. Raconte-moi ce qui amenait Ilihiak chez Père. »

Un grand sourire détendit les traits de Bego. « Je me doutais bien que tu ne résisterais pas à l’envie de savoir la suite. » Et il se tut.

Mon attendit. Voyant que Bego ne poursuivait pas, il poussa soudain un rugissement d’exaspération et fit le tour du bureau en courant, dans une imitation parfaite d’un enfant fouisseur tournant autour d’un arbre avant d’y grimper. Il se savait ridicule, mais les petits jeux malicieux de Bego le mettaient hors de lui.

« Allons, assieds-toi, dit enfin l’ange. Ilihiak était venu apporter vingt-quatre feuilles d’or à ton père.

— Ah ! fit Mon, déçu. Seulement de l’argent.

— Pas du tout. Il y avait un texte dessus. Vingt-quatre feuilles de texte hors d’âge.

— Hors d’âge ? D’avant les Zenifi, tu veux dire ?

— Peut-être, répondit Bego avec un vague sourire. D’avant les Nafari, peut-être.

— Alors, il y aurait eu un groupe de fouisseurs ou d’anges qui auraient su travailler le métal ? Qui auraient su écrire ? »

Bego fit ondoyer ses ailes, geste qui, chez les anges, avait valeur de haussement d’épaules. « Je l’ignore. Je suis incapable de déchiffrer cette écriture.

— Mais tu connais la langue du ciel, la langue de la boue et…

— La langue de la terre, le reprit Bego. Ton père n’aime pas qu’on emploie ce genre de termes péjoratifs à l’égard du peuple de la terre. »

Mon leva les yeux au ciel. « Ils ont une langue moche ; c’est à peine un baragouin !

— Ton père règne sur un royaume qui comprend des fouisseurs parmi ses citoyens.

— Pas beaucoup. Et la plupart sont esclaves. C’est dans leur nature. Même chez les Elemaki, les humains sont leurs maîtres, d’ordinaire.

— D’ordinaire, mais pas toujours. Et il est bon de ne pas oublier, quand on débine les fouisseurs, que ces prétendus “esclaves par nature” ont quand même réussi à chasser nos ancêtres du pays de Nafai. »

Mon faillit se lancer dans une nouvelle dispute : son arrière-grand-père Motiab avait-il emmené son peuple en Darakemba volontairement ou parce qu’il risquait l’anéantissement dans sa terre natale ? Mais il comprit soudain que c’était précisément ce que Bego espérait. Aussi, il resta assis et attendit patiemment.

Bego hocha la tête. « Ainsi, tu as refusé de mordre à l’hameçon. Très bien. »

Mon leva de nouveau les yeux au ciel. « Tu es le professeur, tu es le maître, tu sais tout, je suis ton pantin », psalmodia-t-il.

Ce n’était pas la première fois que Bego entendait cette litanie sarcastique.

« Et veille à ne pas l’oublier, répondit-il (comme d’habitude). Alors, ces documents ont été découverts par un détachement qu’Ilihiak avait envoyé à la recherche de Darakemba. Ces hommes avaient suivi l’Issibek au lieu du Tsidorek, puis ils ont eu la malchance de tomber sur de hautes vallées parsemées d’obstacles avant de sortir du Gornaya, loin au nord, dans le désert.

— L’Opustoshen, précisa machinalement Mon.

— Un point de plus pour tes connaissances géographiques. Mais ils ont découvert un territoire que nous ne connaissons pas – notamment parce qu’il se trouve très loin à l’ouest de Bodika et que nos espions ne volent pas jusque-là. C’est logique : comme il n’y a pas d’eau, aucun ennemi ne peut venir de ces parages.

— Alors, ils ont trouvé ce livre d’or dans le désert ?

— Ce n’est pas un livre, mais des feuilles libres. Et il ne s’agissait pas d’un simple désert, mais du théâtre d’une terrible bataille, jonché d’innombrables squelettes entourés d’armures et d’armes. Des milliers, des dizaines de milliers de soldats se sont battus là et y ont péri. »

Bego se tut ; il attendait quelque chose.

Mon fit soudain le rapprochement. « Coriantumr », murmura-t-il.

Bego hocha la tête en signe d’approbation. « L’homme légendaire, le premier humain à venir en Darakemba et à apparaître aux yeux du peuple du ciel. Nous avons toujours pensé qu’il était le survivant d’une bataille quelconque au sein d’un groupe obscur de Nafari ou d’Elemaki, au temps où les humains commençaient à se répandre dans le Gornaya. L’époque était difficile et nous avons perdu la trace de nombreux groupes. Quand les gens du ciel natifs de Darakemba nous ont raconté que c’était le dernier survivant d’un monstrueux affrontement entre de grandes nations, nous avons pris cela pour une simple exagération. Cependant, quelque chose me gênait, personnellement : l’inscription. »