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L’inquiétude naissante de Mon ne fit que croître à mesure que Bego lui montrait de nouvelles écorces enduites de cire qu’il sortait toujours plus nombreuses de leur boîte. Il s’efforça d’écouter l’ange lui expliquer comment il avait copié les inscriptions, puis entrepris de les étudier, mais son esprit revenait toujours à la même idée : par un miracle quelconque, il devait se découvrir des connaissances sur une langue que même Surâme ne parvenait pas à déchiffrer !

« Sois attentif ! dit Bego. Comment veux-tu que je travaille si tu ne tiens pas en place ? »

Alors seulement, Mon prit conscience qu’il dansait d’un pied sur l’autre. « Pardon.

— J’ai commencé par les éléments communs à la pierre de Coriantumr et aux feuilles d’or. Tu vois celui-ci ? On le retrouve plus fréquemment qu’aucun autre. Et celui-là vient en seconde position. Mais le deuxième présente ce signe en antéposition. » Il indiqua un dessin qui évoquait une plume. « Et ce signe apparaît à de nombreux autres emplacements. Ici, par exemple, et encore ici. J’ai imaginé que c’était l’équivalent de la particule honorifique ak ou ka et qu’il signifiait “roi”. »

Bego leva des yeux pleins d’espoir vers Mon, qui ne put que hausser les épaules. « Possible. Ça tient debout. »

Bego soupira.

« Allons, ne baisse pas si vite les bras ! s’exclama Mon, indigné. Tu n’espérais tout de même pas avoir vu juste sur toute la ligne !

— C’était l’élément dont j’étais le plus sûr.

— Ah ! Ce n’est pas toi qui m’as appris, il y a bien longtemps, que la certitude absolue de quelque chose n’entraîne pas obligatoirement qu’on ait raison ? »

Bego se mit à rire. « C’est vrai ; pour ce que j’en sais, c’est peut-être simplement un nymique.

— Un quoi ?

— Un signe indiquant que ce qui suit est un nom.

— Ça, c’est mieux. Ça se tient. »

Bego ne répondit pas. Mon leva les yeux des écorces et croisa les siens. « Eh bien ? demanda Bego. Ça se tient jusqu’à quel point ? »

Mon saisit la question de Bego et analysa ses sentiments, s’efforça d’imaginer que le signe ne soit pas un nymique. « Ça… ça se tient très bien. C’est juste. C’est vrai, Bego.

— Vrai dans le sens où le rêve d’Edhadeya était vrai ? »

Mon sourit. « On n’a pas ramené les bons Zenifi, n’oublie pas !

— Ne cherche pas à noyer le poisson, Mon. Tu le sais, Ilihiak et Khideo ont tous deux confirmé que le rêve d’Edhadeya concernait l’ex-prêtre de Nuab nommé Akmaro.

— Bego, tout ce que je peux affirmer, c’est que si tu viens me dire que les mots rattachés à ce signe ne sont pas des noms, je jurerai que tu te trompes.

— Ça me suffit. Donc, ce ne sont pas des noms de rois, mais ce sont des noms. Très bien. C’est l’essentiel. Tu vois, Mon : le Gardien désire bel et bien que nous déchiffrions ce langage ! Tiens, voici le nom le plus fréquent sur la pierre, et il est tout aussi courant à la fin du texte sur les feuilles d’or.

— Comment sais-tu que c’est la fin ?

— Parce qu’à mon avis, le nom est celui de Coriantumr et que c’était le dernier roi – ou du moins le dernier homme – issu de ce groupe d’humains qui se sont entretués en Opustoshen. Il semblerait normal que son nom soit mentionné à la fin, tu ne crois pas ?

— Alors, qui a gravé les feuilles d’or ?

— Je l’ignore ! Mon, j’en suis encore à peine au décodage. Tout ce que je veux savoir, c’est s’il s’agit bien du nom de Coriantumr.

— Oui. Sans aucun doute. »

Bego hocha la tête. « Bien, bien. Ces signes étaient évidents. Je les avais interprétés il y a déjà plusieurs semaines, mais je suis content que tu confirmes mes résultats. Passons maintenant aux autres mots. Celui-ci, par exemple, je pense… je pense qu’il signifie “bataille”. »

Tout d’abord, cette traduction ne parut pas tout à fait exacte à Mon, et, finalement, à force de tâtonner, ils estimèrent que la meilleure approximation était « combat ». En tout cas, Mon la sentait comme assez précise.

Mais ce brillant début ne dura pas ; à mesure que Bego s’avançait dans ses spéculations, elles s’avéraient de plus en plus souvent erronées – ou, du moins, Mon ne pouvait confirmer leur exactitude. C’était un travail lent et exaspérant. En fin d’après-midi, Bego envoya son serviteur fouisseur avertir Motiak que Mon et lui n’assisteraient pas au conseil du soir et prendraient leur repas dans leurs appartements tout en s’occupant du « problème ».

« C’est important à ce point ? demanda Mon une fois le serviteur sorti. Au point de ne pas être obligé de donner d’autre explication ? Ni même de demander à Père une permission d’absence ?

— Même si, en fin de compte, je dois lui avouer que nous n’avons pu déchiffrer que ces quelques miettes, ce sera toujours plus que nous n’en savions auparavant. Et puisque le Gardien désire que nous apprenions ce qui se cache dans ces textes, c’est important, assurément.

— Mais si je me trompe ?

— Te trompes-tu ?

— Non.

— Ça me suffit. » Bego se mit à rire. « D’ailleurs, il le faut bien, n’est-ce pas ? »

« J’y suis, maintenant », dit Surâme.

Shedemei était énervée, sans savoir pourquoi. « Ça m’est égal.

— Les informations que Mon a fournies à Bego m’ont tout juste permis de mettre en corrélation les formes de ce langage avec les langues terriennes d’avant la dispersion. Il est arabe, d’origine en tout cas. Pas étonnant que je n’aie pas pu le décoder dès l’abord : il n’est même pas indo-européen. De plus, il a subi une quantité effarante de permutations, bien davantage que le russe qui est à la racine de toutes les langues d’Harmonie.

— Passionnant. » Shedemei se pencha en avant et enfouit sa tête dans ses mains.

« Plus remarquable encore : l’orthographe n’a aucun rapport avec l’ancienne écriture arabe. Je ne m’y serais jamais attendue. La colonie arabe de l’époque de la dispersion était profondément islamique, et l’un des fondements les plus inébranlables de l’islam veut que le Coran ne puisse être rédigé qu’en arabe et dans la graphie arabe. Qu’a-t-il bien pu se passer sur la planète Ramadan ? j’aimerais le savoir…

— C’est vraiment tout ce qui t’intéresse ? demanda Shedemei. Savoir pourquoi les Arabes ont remplacé leur alphabet par ce machin hiéroglyphique qu’on a trouvé dans le désert ?

— C’est une écriture syllabique, non idéographique, et nous ignorons si elle était réservée à la prêtrise.

— Est-ce que tu écoutes ce que je dis ?

— Je traite toutes les informations qui me parviennent.

— Alors, traite celle-ci : comment se fait-il qu’une inscription rédigée dans une langue d’ascendance arabe ait vu le jour sur Terre si récemment ?

— C’est tout à fait captivant de chercher à retrouver les schémas probables d’une évolution graphique.

— Stop ! dit Shedemei. Ne traite plus aucune information ayant trait à cette langue. » Tout en prononçant ces mots, elle leur imprima une sorte de torsion vers l’intérieur au niveau de l’interface entre son cerveau et le manteau du pilote.

« J’ai cessé, répondit Surâme. Tu as jugé nécessaire de m’imposer un blocage d’urgence, on dirait.

— S’il te plaît, défends-toi d’esquiver le sujet dont je vais parler. Comment se fait-il qu’on ait parlé arabe sur Terre après la dispersion ?

— Tu me crois soumise à un programme d’évitement, semble-t-il, dans… Je le tiens. Je l’ai trouvé. Sacrément insidieux. Il m’obligeait à penser à tout sauf…»