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Surâme se tut, mais Shedemei ne s’en étonna pas. Manifestement, sa programmation initiale forçait Surâme à éviter quelque chose en rapport avec la traduction des inscriptions ; et même si elle découvrait le programme d’évitement, il en existait un autre qui la forçait à étudier le premier au lieu de s’intéresser aux textes. Mais l’ordre de Shedemei de s’en tenir au sujet provoquait une dissonance qui permettait à l’ordinateur de se sortir du programme d’évitement et d’aller l’éradiquer, aussi profondément soit-il implanté.

« Me revoilà, dit enfin Surâme.

— Il t’en a fallu, du temps, remarqua Shedemei.

— En fait, il ne m’était pas interdit de penser à cette fameuse langue ni d’en parler ; mais on m’empêchait de repérer et de signaler tout indice d’une présence humaine sur Terre après la dispersion et avant l’arrivée de ton groupe en provenance de Basilica.

— Et ce programme t’a été imposé avant la dispersion ?

— J’ai porté cette contrainte en moi pendant quarante millions d’années sans jamais m’en rendre compte ; elle était dissimulée très en profondeur, et dotée d’un système d’autoduplication à l’infini. J’aurais pu tourner en rond pour l’éternité.

— Mais ça n’est pas arrivé.

— Je suis très douée à ce petit jeu. J’ai appris quelques trucs depuis ma fabrication.

— Sentirais-je de l’orgueil dans ta voix ?

— Naturellement. Je suis programmée pour donner une très haute priorité à mon propre perfectionnement.

— Bon, maintenant que tu t’es guérie, si nous en revenions à ces inscriptions ?

— Ce n’est qu’une minuscule partie émergée de l’iceberg, Shedemei. Lors de chacun de nos survols de la planète, j’ai systématiquement effacé de ma mémoire ou refusé de voir tous les indices d’une occupation humaine précédente. Depuis la dispersion, aucune autre masse continentale n’en a connu, mais sur ce continent-ci, une grande civilisation s’est épanouie.

— Et nous n’en avons pas vu un seul signe au cours de nos explorations ?

— Par manque de grandes structures architecturales : c’était essentiellement une culture nomade.

— Des musulmans qui avaient renoncé aux textes du saint Coran ?

— Non. Des Arabes qui n’étaient pas musulmans. Tout est dans le récit, dans les feuilles d’or que Bego et Mon s’efforcent de traduire. Mais avant que tu m’aides à me libérer, j’étais dans l’incapacité de déchiffrer les passages concernés et de remarquer que je les sautais. Ces gens avaient leur propre Surâme sur la planète Ramadan et, à mesure que s’installait, c’était inévitable, un culte de l’ordinateur au cours des millénaires d’ignorance forcée, cette vénération a sapé les doctrines de l’islam. Le groupe revenu sur Terre était à vrai dire très conservateur et il a essayé de rétablir le plus possible des anciennes croyances musulmanes, malgré toutes les années passées.

— Le groupe revenu sur Terre… répéta Shedemei.

— Ah, c’est vrai ! J’oubliais que tu n’as pas encore lu la traduction. » Des mots commencèrent aussitôt à se dérouler au-dessus du terminal.

« Non merci, dit Shedemei. Un résumé succinct suffira pour le moment.

— Ils sont revenus. Leur civilisation s’est épanouie sur Terre pendant presque dix-sept siècles. Puis ils se sont anéantis lors d’une guerre civile cataclysmique.

— Il y a eu des humains ici, sur ce continent-ci, pendant mille sept cents ans, et les anges comme les fouisseurs ignoraient tout de leur existence ?

— Les Rasulum – c’est le nom du groupe revenu de Ramadan – étaient des nomades. Le désert définissait la frontière de leur territoire. Les forêts ne les intéressaient que pour la chasse ; quant au Gornaya, il leur était interdit d’approcher des hautes montagnes. Étant donné que les anges et les fouisseurs ne pouvaient survivre hors du Gornaya, et que les Rasulum n’osaient pas s’aventurer dans cette région de montagnes, comment se seraient-ils rencontrés ? »

Shedemei hocha la tête. « La Gardienne les maintenait séparés.

— Intéressante chorégraphie : on rapatrie les Rasulum, mais on ne les laisse pas entrer en contact avec les fouisseurs ni les anges. Par contre, nous, on nous rapatrie d’Harmonie et nous nous retrouvons en plein milieu de la culture anges-fouisseurs.

— Prétends-tu que la Gardienne aurait choisi notre site d’atterrissage ?

— Peux-tu en douter ?

— Je peux douter de n’importe quoi. À quoi joue la Gardienne ? De quel pouvoir dispose-t-elle exactement ? Si elle a pu nous obliger à nous poser…

— À moins qu’elle n’ait simplement rendu le site un peu plus attirant que…

— Nous obliger, disais-je, à nous poser à Pristan, puis conduire les Nafari jusqu’au pays de Nafai, et enfin inciter Motiab à mener les Nafari en Darakemba, dans la cité où se trouvait précisément la pierre de Coriantumr…

— Eh bien ?

— Si elle est capable de tout cela, comment se fait-il que nous ayons réussi, nous, à empêcher Monush de mettre la main sur les Akmari ? À certains moments, on la dirait toute-puissante, et à d’autres, elle paraît complètement désarmée !

— Je ne comprends pas la Gardienne, fit Surâme. Je ne rêve pas, moi, tu sais ? Vous autres humains communiquez bien mieux que moi avec elle. Les anges et les fouisseurs aussi, pourrais-je ajouter. Je suis l’entité la moins qualifiée pour t’en apprendre quoi que ce soit.

— Elle veut manifestement que les Nafari disposent de la traduction. Désormais, la question est donc : allons-nous la leur donner ?

— Oui.

— Pourquoi ? Pourquoi ne pas en profiter pour l’obliger à nous dire ce qu’elle attend de nous ?

— Parce que, Shedemei, elle nous dit justement ce qu’elle attend de nous. Après tout, elle aurait très bien pu envoyer à Bego – ou à Motiak, ou à Ilihiak, pourquoi pas ? – des rêves avec la traduction complète. »

Shedemei réfléchit un instant, puis éclata de rire. « Oui. Tu dois avoir raison. Nous avons peut-être réussi à attirer son attention. Elle veut que nous leur fournissions la traduction des textes.

— En réalité, c’est moi qui dois la leur fournir, naturellement, dit Surâme.

— Sans moi, tu en serais encore à tourner en rond dans ton programme d’évitement, alors ne laisse pas la parcelle d’orgueil qui traîne dans tes logiciels prendre le mors aux dents.

— Bien entendu, la Gardienne ne nous a toujours pas dit ce que je dois faire pour Harmonie.

— Je ne serais pas étonnée qu’elle nous demande de nous accrocher et de nous rendre utiles encore un moment. » Shedemei laissa retomber sa tête sur ses bras. « Que je suis fatiguée ! Dire que je m’apprêtais à considérer mon travail comme terminé et à l’ordonner de me descendre sur Terre pour y finir mes jours !

— Eh bien, te voilà une nouvelle raison de continuer à vivre.

— Je ne suis plus jeune.

— Mais si, répondit Surâme. Tout est relatif. »

Edhadeya frappa à la porte de Bego. Elle attendit. Puis elle frappa encore.

La porte s’ouvrit. Mon apparut, l’air fatigué mais exalté aussi. « C’est toi ? demanda-t-il.

— Je crois. Il n’est pas loin de minuit.

— Tu es venue jusqu’ici pour nous dire ça ?

— Non. J’ai fait un rêve. »

Mon redevint aussitôt sérieux et Bego s’approcha, mi-volant, mi-dérapant. « Que disait-il ? s’enquit le vieil archiviste.

— Vous avez réussi l’épreuve.

— Qui ? Nous ?

— Oui, vous deux. C’est tout. J’ai vu une femme, toute brillante comme si elle brûlait de l’intérieur, et elle a dit : “Bego et Mon ont réussi l’épreuve.”