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— Et c’est tout ? demanda Bego.

— C’était un vrai rêve. » Edhadeya jeta un coup d’œil à Mon pour obtenir confirmation.

Il acquiesça lentement.

Bego paraissait troublé – voire, peut-être, agacé. « Tout ce travail pour s’entendre dire, au moment où nous arrivons à quelque chose, qu’il faut nous arrêter à cause d’un rêve ?

— Il ne s’agit pas de s’arrêter, répondit Mon. Non, ce n’est pas ça, nous ne devons pas nous arrêter.

— Quoi, alors ? »

Mon haussa les épaules. Edhadeya l’imita.

Soudain Bego se mit à rire. « Allez, les enfants, suivez-moi ! Allons réveiller votre père ! »

Une heure plus tard, tous quatre étaient réunis autour de l’Index. Mon et Edhadeya l’avaient vu en dessin, mais jamais en réalité et encore moins en service. Motiak le tenait entre ses mains et ses yeux plongeaient dedans par au-dessus. Sur une table proche, les premières feuilles d’or étaient étalées.

« Es-tu prêt ? » demanda le roi.

Bego était installé à l’autre bout de la table, muni de son stylo et d’une pile d’écorces enduites de cire. « Oui, Motiak. »

Et Motiak entama la traduction, regardant tour à tour les feuilles d’or, puis l’Index, énonçant une phrase à la fois.

Cela prit des heures. Edhadeya et Mon dormaient depuis longtemps quand le travail fut enfin achevé ; l’aube pointait, et Bego, ainsi que Motiak, s’approcha de la fenêtre pour assister au lever du soleil.

« Je ne vois pas l’importance de ces textes pour nous, dit Motiak.

— Je discerne deux possibilités, répondit Bego.

— Oui, bien sûr, il y en a une évidente : ils servent à nous avertir que le Gardien de la Terre peut ramener des gens sur Terre, mais que s’ils se révèlent de mauvais spécimens d’humanité, il n’en a pas l’usage et il les laisse s’autodétruire.

— Ah, mais en quoi étaient-ils inacceptables ? À mon sens, les prêtres vont follement s’amuser pour tirer les leçons morales de ce livre !

— Oh, sûrement, sûrement. Mais quelle est l’autre possibilité, mon ami ?

— Crois-tu vraiment, Motiak, que les armées de Coriantumr et de Shiz étaient à ce point loyales et disciplinées qu’aucun soldat n’a déserté pour s’enfuir dans les montagnes ? »

Motiak hocha la tête. « Bien pensé. Nous avons toujours tenu pour acquis que les humains trouvés près des grands villages de fouisseurs et d’anges descendaient d’individus issus des groupes nafari ou elemaki – marchands, explorateurs, inadaptés qui s’exilaient par dizaines dans les premières générations, puis par centaines. Naturellement, nous n’avons jamais découvert de colonie où les humains parlaient autre chose que notre langue.

— Pardonne-moi, Motiak, mais ce n’est pas strictement exact.

— Ah bon ? En tout cas, cette langue-ci, nous ne l’avons jamais rencontrée.

— C’est juste. Mais en de nombreux endroits, les humains ne parlaient que la langue du ciel ou celle de la terre. Adultes, ils ont dû apprendre celle du milieu.

— Et nous croyions qu’il s’agissait simplement d’Elemaki si ignorants et dégénérés qu’ils avaient perdu toute connaissance de leur langue ancestrale.

— Et c’était vrai. Mais la langue de leurs ancêtres n’était pas celle du milieu. »

Motiak hocha la tête. « Toute cette histoire est très troublante. S’il y a une leçon à en tirer, ainsi que du triste sort des Zenifi, c’est que lorsque des nations se donnent des rois à l’ambition démesurée, le peuple en souffre abominablement.

— Et il est heureux quand il a de bons rois, lui rappela Bego.

— En disant cela, tu es encore plus sincère que déférent, je n’en doute pas, dit Motiak avec un sourire forcé. Mais il est peut-être temps pour moi d’apprendre la même leçon qu’Ilihiak.

— Quoi, tu veux laisser le peuple voter pour se choisir un roi ?

— Non : éliminer la fonction même de roi. Abolir l’idée même d’un individu concentrant autant de pouvoir.

— Et ensuite ? Morceler l’immense royaume que ton père et toi avez créé ? Jamais on n’a connu pareille paix et pareille prospérité !

— Mais imagine qu’Aronha se révèle aussi pervers que Nuab ? Aussi aveuglément ambitieux que Coriantumr ? Aussi perfide que Shiz ?

— Si tu crois ça, c’est que tu ne connais pas Aronha.

— Je ne parle pas de lui personnellement. Mais Zenifab se doutait-il que son fils Nuaha serait un jour aussi malfaisant qu’il l’est devenu en prenant le noble nom de Nuak ? D’après ce que m’a dit Ilihiak, Nuak était un bon roi, à ses débuts.

— Il n’y aurait rien à gagner à laisser le royaume s’effriter en dizaines de petits États querelleurs. Les Elemaki constitueraient à nouveau une terrible menace pour nous, comme autrefois, ils se déverseraient de leurs montagnes, le long du Tsidorek, ou ils sortiraient de leurs hautes vallées…

— Inutile de me rappeler tout ça. Je m’efforce simplement de comprendre ce que le Gardien attend de moi.

— Es-tu sûr que le Gardien ait un plan, seulement ? »

Motiak jeta un regard étonné à son archiviste. « Il envoie des rêves à ma fille ; il envoie des rêves aux espions d’Ilihiak ; il met au point une épreuve pour Mon et toi – que vous avez réussie, je vous en remercie –, puis il nous fournit la traduction complète en une seule nuit. Ah, il ne faudra pas oublier d’inviter Ilihiak à la lire, une fois que tu l’auras fait copier sous une forme plus achevée. »

Bego acquiesça. « Je vais m’en occuper tout de suite.

— Non, non, repose-toi d’abord.

— Je vais mettre les copistes au travail avant d’aller dormir. Je n’ai pas passé une nuit blanche pour m’effondrer maintenant. »

Motiak haussa les épaules. « Comme tu veux. Si tu te sens d’attaque. Moi, en tout cas, je vais me coucher. Et réfléchir, Bego ; réfléchir à ce que le Gardien peut bien attendre de moi.

— Je te souhaite bien du plaisir. Mais songe aussi à ceci : et si le Gardien voulait que tu continues d’agir comme tu le fais déjà ? Si ces textes ne t’avaient été donnés que pour te confirmer que tu es un excellent roi, à côté de ceux des Rasulum ? »

Motiak éclata de rire. « D’accord, je ne prendrai aucune décision radicale ; je n’abdiquerai pas tout de suite. Cette promesse te convient-elle ?

— Tu me vois très rassuré, Motiak.

— À ton tour, n’oublie pas ceci, mon ami : il y a eu de bons rois chez les Rasulum aussi. Mais il a suffi d’un ou deux mauvais monarques pour anéantir toute leur œuvre.

— C’étaient des nomades ; ils ne bâtissaient rien.

— Ah ! Et c’est parce que nous avons des édifices de pierre, des plates-formes pour hausser nos maisons au-dessus des eaux à la saison des crues que nos nations sont assurées de ne pas s’écrouler ?

— Évidemment, tout est possible.

— Tout sauf ce à quoi tu penses.

— Et qu’est-ce donc ? » L’archiviste avait l’air vaguement vexé – que Motiak présume allègrement de pouvoir lire dans son esprit ? Ou parce qu’il craignait que Motiak n’en soit effectivement capable ?

« Tu te dis que, peut-être, le Gardien ignorait le contenu des textes avant qu’on ne les traduise.

— Jamais je n’aurais de telles idées ! répondit Bego d’un ton glacial qui confirma les soupçons de Motiak.

— Tu te dis peut-être que Surâme n’est, comme le sous-entendent les plus anciens textes, qu’une machine capable d’opérations si complexes qu’elles donnent l’impression d’une pensée vivante des plus subtiles. Et tu te dis peut-être encore que Surâme s’intéressait à ces inscriptions, mais qu’il n’a pu les déchiffrer qu’une fois l’intuition de Mon et ton labeur acharné en mesure de lui fournir des éléments de départ. Tu te dis peut-être enfin que rien de tout cela n’exige que l’on croie au Gardien de la Terre, mais seulement à la mécanique antédiluvienne de Surâme. »