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Bego eut un sourire sinistre. « Tu n’as rien lu dans mon esprit, Motiak. Tu as deviné mes pensées parce qu’elles te sont venues, à toi aussi.

— En effet. Mais il me revient un autre souvenir : les Héros avaient beau connaître Surâme intimement, cela ne les empêchait pas de croire au Gardien de la Terre. Et d’ailleurs, Bego, comment expliquer le talent de Mon à sentir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ? Comment expliquer les rêves d’Edhadeya ?

— Je n’ai pas besoin de croire au Gardien pour être persuadé des grands dons d’intuition de ton fils et de ta fille. »

Motiak regarda Bego d’un air grave. « Choisis soigneusement ceux à qui tu révèles ce genre d’idées.

— Je connais les lois sur l’hérésie et la trahison. Mais si tu y réfléchis, Motiak, pareilles lois n’auraient pas eu lieu d’être si les gens n’avaient jamais caressé ces idées ni ne les avaient exprimées tout haut.

— Ce que nous devrions nous demander, ce n’est pas si le Gardien de la Terre existe, mais quel était son but en ramenant mes ancêtres sur ce monde et en les plaçant au milieu de ton peuple et de celui de la terre, ce qu’il cherche à bâtir et comment nous pouvons l’y aider.

— Je tendrais plutôt à réfléchir à ce que mon roi cherche à faire et à la façon dont je pourrais l’y aider, lui. »

Motiak hocha la tête, les paupières mi-closes. « Si je ne puis être ton frère dans notre foi en le Gardien, il faudra que je m’arrange de ta loyauté envers moi en tant que roi.

— En cela, tu peux avoir toute confiance.

— Je sais.

— Permets-moi, je te prie, de rester le précepteur de tes enfants. »

Motiak ferma les yeux. « Je suis très fatigué, Bego. Il faut que je dorme avant de repenser à tout cela. En partant, demande aux serviteurs de remettre mes enfants au lit, s’il te plaît.

— Ce ne sera pas nécessaire, dit Bego. Ils sont tous deux éveillés. »

Motiak regarda Edhadeya et Mon, la tête toujours posée sur les bras, immobiles bien que sortis du sommeil. Ils se redressèrent, l’air embarrassé. « Je ne voulais pas vous interrompre, dit Mon.

— Non, bien sûr, répondit Motiak avec une grimace. Eh bien, nous pouvons épargner aux serviteurs la pénible tâche de vous transporter. Allez vous coucher, tous les deux. Vous aviez gagné le droit d’assister à la traduction, mais pas celui d’écouter ma discussion privée avec mon ami.

— Pardonne-moi, murmura Edhadeya.

— Te pardonner ? fit Motiak. Tu es déjà pardonnée. Maintenant, au lit. »

Sans un mot, les enfants sortirent derrière Bego.

Motiak demeura seul dans la bibliothèque, promenant ses doigts sur les feuilles d’or, puis sur l’Index.

Peu après, le chef copiste se présenta pour prendre les écorces qui portaient l’écriture soigneuse de Bego. Pendant ce temps, Motiak remballa l’Index ; et une fois le copiste parti, il se mit en route vers la salle du trésor pour le déposer, avec les feuilles d’or, dans l’alcôve la plus secrète, au fond du ventre de la résidence.

Tout en marchant, il parlait mentalement au Gardien, lui posait des questions, implorait des explications, ne demandant finalement qu’une chose : de l’aide. Mes prêtres me répondront comme ils ont toujours répondu, interpréteront les textes anciens comme leurs prédécesseurs avaient déjà décidé de les interpréter. Cette découverte ne les tirera même pas de leur coma intellectuel – ils croient tout comprendre, mais moi je pense maintenant qu’ils ne comprennent rien. Assiste-moi, donne-moi quelqu’un qui puisse partager ce fardeau avec moi, entendre mes craintes et mes inquiétudes, m’aider à savoir ce que tu attends de moi.

Alors, à la porte de la salle du trésor, sous les yeux attentifs des dix gardes alignés à l’entrée, Motiak eut soudain une vision. Aussi clairement que s’il se tenait devant lui, Motiak vit l’homme dont Edhadeya avait rêvé : Akmaro, le prêtre rebelle de Nuab.

L’image disparut aussi vite qu’elle était venue.

« Vous allez bien, Majesté ? s’inquiéta le garde le plus proche.

— Maintenant, oui », répondit Motiak. Et, à grandes enjambées, il remonta vers les quartiers d’habitation de la demeure.

Il n’avait jamais vu Akmaro, mais il avait la certitude que c’était l’homme dont il venait d’avoir un bref aperçu. S’il avait vu ce visage, c’était sûrement parce que le Gardien destinait Akmaro à devenir cet ami que Motiak demandait. Et si Akmaro devait devenir son ami, le Gardien devait projeter de l’amener en Darakemba.

En se rendant à sa chambre, il passa devant celle de Dudagu. Ordinairement, à ces petites heures de la matinée, elle dormait encore ; mais elle apparut à sa porte. « Où étais-tu toute la nuit, Tidaka ?

— Je travaillais. Donne l’ordre qu’on ne me réveille pas avant midi.

— Comment ? Il faudrait que je cherche tous tes serviteurs pour leur indiquer ton emploi du temps ? Quelle offense t’ai-je faite pour que tu me traites comme une simple…»

Elle se tut quand il tira le rideau devant l’entrée de la chambre intérieure.

« Envoie-moi un ami et un conseiller, Gardien, murmura-t-il. Si je suis ton digne serviteur, envoie-moi tout de suite Akmaro. »

À peine couché, Motiak s’endormit, et il ne rêva pas.

Tout en regagnant les chambres de la résidence royale, Mon et Edhadeya discutaient. Ou plutôt, au début, Mon soliloquait.

« C’est l’Index qui a fourni la traduction, d’accord ? Père ne faisait que lire ce qui apparaissait devant lui, et Bego qu’écrire ce que Père disait. Qui est la machine, à partir de là ? »

D’une voix ensommeillée, Edhadeya répondit : « C’est l’Index, la machine.

— Il paraît. Et avant cette nuit, Bego s’est cassé la tête à essayer de deviner dans quelle langue ces vingt-quatre feuilles étaient écrites ; ensuite, il a testé ses déductions sur moi comme si j’étais une table de multiplication. “C’est exact, Mon ? Oui ou non, Mon ?” Je n’avais le choix qu’entre ces deux réponses ; à la limite, il n’était pas nécessaire que je comprenne. Oui. Non. Oui. Qui est la machine ?

— Une machine qui débite des âneries au lieu de laisser les gens dormir, dit Edhadeya. Tout le monde voudra la sienne ! »

Mais Mon ne l’écoutait pas. Ses pensées avaient pris un nouveau tour : quelque chose le gênait terriblement dans ce qui s’était passé cette nuit ; à force d’émettre des hypothèses, il finirait obligatoirement par tomber sur la bonne. « Dedaya, est-ce que tu désirais réellement tes rêves ? Les vrais ? Tu ne regrettes jamais de les avoir faits ? »

La question tira Edhadeya de sa somnolence ; elle n’avait jamais songé à remettre son talent en cause. « Si je n’avais pas rêvé, Mon, on ne saurait pas ce qu’il y a dans le livre.

— On n’en sait toujours rien, toi et moi : on a dormi presque tout le temps de la traduction. »

Désormais tout à fait réveillée, Edhadeya reprit : « Et je ne voudrais pas que mon rêve soit allé à quelqu’un d’autre. Je le souhaitais – et je suis heureuse de l’avoir eu. Grâce à lui, je fais partie de quelque chose d’important.

— Partie de quelque chose ? Un morceau de quelque chose ? Moi, je veux être entier ! Moi-même ! Je ne veux faire partie de rien d’autre que moi !

— C’est complètement idiot, Mon : tu as toujours voulu être quelqu’un d’autre, et maintenant tu voudrais être toi ?