Выбрать главу

Non, pas Uss-Uss : Voojum.

Cela faisait-il partie du plan de la Gardienne ? Voulait-elle tirer les fouisseurs de l’esclavage ? Ces mots s’étaient présentés spontanément à Edhadeya pendant sa discussion avec Mon ; elle devait maintenant envisager la possibilité qu’ils reflètent la réalité.

Que préparait la Gardienne ? Et quelle tourmente allait se déchaîner avant que ses projets ne soient accomplis ?

Akmaro parcourut du regard les rangs de pommes de terre qui poussaient entre les alignements de maïs déjà moissonnés. On était en fin de saison et il était temps de les ramasser pour faire le tri entre tubercules à semer et à manger. Qui aurait cru que ce maïs et ces pommes de terre plantés en esclavage seraient récoltés… pas vraiment en liberté, mais pas dans la peur non plus ? Les gardes se faisaient discrets la plupart du temps et personne ne tourmentait plus les prisonniers, adultes et enfants confondus. Tous travaillaient dur et Pabulog aurait de quoi prélever une belle redevance. Mais, de toute façon, les champs donnaient plus qu’il n’était nécessaire. Ils avaient assez et plus qu’assez à manger.

Tel est le don que nous a fait le Gardien : au lieu de croupir dans la crainte et le mépris où nous étions tous, mon épouse, grâce à son courage et à sa sagesse, a su transformer nos pires ennemis, les enfants de Pabulog, en amis. Ils ne se rebelleront pas contre leur père, naturellement – ils sont trop jeunes et Pabulog trop cruel, trop imprévisible. Mais ils nous ont donné la paix ; et, assurément, même Pabulog se rendra compte qu’Akmaro et les siens sont plus utiles en serfs productifs qu’en esclaves tourmentés et assoiffés de vengeance !

La seule ombre de ce tableau, c’était Akma, le fils d’Akmaro. Akmadis, Kmadadis, aimé de mon cœur, tu portes mes espoirs comme ta douce sœur ceux de ta mère. Comment en es-tu arrivé à me haïr à ce point ? Tout au fond de toi, tu es intelligent et sage, Akma, et tu sais qu’il vaut mieux pardonner et faire des amis de nos ennemis. D’où vient cette rancœur qui te rend si aveugle ? Je te parle et tu n’entends rien ; ou pire, tu réagis comme si ma voix était le cri de guerre d’un ennemi à tes oreilles.

Chebeya avait essayé de le rasséréner, bien sûr, en l’assurant que, malgré l’hostilité bien présente et bien réelle, les liens entre le père et le fils étaient plus forts que jamais. « Tu es le pivot de son existence, Kmadaro, avait-elle dit. Il est en colère, il croit te détester, mais en réalité il gravite autour de toi comme la Lune autour de la Terre. »

Maigre consolation pour Akmaro qui devait affronter la haine de son fils alors qu’il ne voulait – qu’il ne méritait ! – que de l’amour et n’avait fait qu’en donner.

Mais… c’était sa tragédie personnelle, son fardeau à lui, d’avoir perdu l’amour de son fils. À terme, cela s’arrangerait, ou ne s’arrangerait pas ; tant qu’il faisait de son mieux, l’issue ne dépendait pas de lui. Plus important était le travail qu’il accomplissait pour la cause du Gardien. Au début, fuyant les poignards des assassins de Nuak, il avait cru que le Gardien le destinait à une grande tâche, qu’il était le dépositaire de la parole de Binaro et qu’il devait l’enseigner au plus grand nombre. Prêcher que le Gardien de la Terre souhaitait voir le peuple du ciel, celui de la terre et celui du milieu vivre comme frères et sœurs, comme famille et amis, sans maîtres ni esclaves, sans riches ni pauvres, mais tous partageant également le pays que le Gardien leur avait donné et tous respectant les serments mutuels qui les liaient, élevant leurs familles en sécurité et en paix, sans que l’appétit de pouvoir ni l’orgueil vienne assombrir le bonheur de quiconque. Ah, oui, Akmaro avait des visions où des royaumes s’éveillaient à la simplicité du message que le Gardien avait confié à Binaro, et par lui à Akmaro, qui le transmettrait au monde entier.

Au lieu de cela, le message n’avait été transmis qu’à ces cinq cents âmes à peine, toutes humaines. Et aux quatre fils de Pabulog.

Mais c’était suffisant, n’est-ce pas ? Ces cinq cents personnes avaient prouvé leur courage. Elles avaient prouvé leur fidélité et leur force. Elles avaient enduré bien des choses, mais elles sauraient encore en supporter bien d’autres. Leur création à tous, cette communauté, était une bonne réalisation. Et quant à leur lutte contre leur ennemi le plus noir, Pabulog, l’homme dont la haine était encore plus abondante que l’argent et le pouvoir, Pabulog l’avait remportée sur le plan matériel, par l’épée et le fouet, mais Akmaro – non, la communauté d’Akmaro – non, le peuple du Gardien – avait gagné la bataille des cœurs et des esprits et s’était acquis l’amitié des fils de Pabulog.

C’étaient de bons garçons, maintenant qu’ils avaient appris, qu’ils étaient éduqués. Ils auraient le courage de rester des hommes de bien en dépit du père qu’ils avaient. Si j’ai perdu un fils – j’ignore encore comment – j’ai au moins gagné ces quatre proto-fils qui auraient dû rester l’héritage d’un autre s’il n’avait pas essayé de les utiliser à des fins mauvaises.

Tel est peut-être le prix à payer pour m’être concilié les Pabulogi : renoncer à mon enfant en échange de ceux de Pabulog.

La voix de l’angoisse cria au fond de lui : Non, ça n’en vaut pas le prix ! Je donnerais tous les Pabulogi, tous les garçons du monde pour une seule journée où Akmadis me regarderait avec sa fierté et son amour d’autrefois !

Mais ce n’était pas vrai. Ce n’était pas une supplique, le Gardien ne devait pas le croire ingrat. Oui, Gardien, je veux que mon fils me revienne. Mais pas au coût de l’intégrité d’un autre. Je préfère perdre mon fils que te voir perdre ces gens.

Si seulement il parvenait à se persuader que c’était là son désir profond !

« Akmaro ! »

Il se retourna et se retrouva nez à nez avec Didul. « Je ne t’ai pas entendu monter.

— Je courais, mais la brise a peut-être couvert mes pas.

— Que puis-je pour toi ? »

Didul parut troublé. « C’est à propos d’un rêve que j’ai fait cette nuit.

— De quoi parlait-il ?

— Ce n’était… peut-être rien. C’est pourquoi je n’en ai pas parlé jusqu’ici. Mais… je n’arrive pas à me le sortir de la tête. Il revient sans arrêt, alors je suis venu te le raconter.

— Je t’écoute.

— J’ai vu Père qui approchait accompagné de cinq cents guerriers elemaki, certains du milieu, la plupart du peuple de la terre. Il avait prévu de… d’attaquer à l’aube, pour vous surprendre dans votre sommeil et vous massacrer tous. Juste au moment où les champs sont prêts à la moisson. Il avait obtenu de vous tous une saison de travail, et maintenant il allait abattre tous les tiens devant toi, puis ton épouse sous les yeux de vos enfants, puis tes enfants sous tes yeux, et il terminerait par toi.

— Et tu ne me racontes ce rêve que maintenant ?

— Oui, parce que j’ai vu que tel était son plan, j’ai vu la scène telle qu’il l’imaginait, mais quand il arrivait ici, il n’y avait plus personne. Les pommes de terre n’avaient pas été ramassées et vous aviez tous disparu, sans laisser de trace. Les gardes dormaient, et comme il ne parvenait pas à les réveiller il les tuait dans leur sommeil ; ensuite, il courait en tous sens dans la forêt pour vous retrouver, mais vous n’étiez nulle part. »