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Ahanant, Bego suivait Akma et Mon sans cesser de se plaindre. « Je ne vois pas pourquoi votre mystérieuse discussion n’aurait pas pu avoir lieu dans mon bureau ! Je suis trop vieux pour vos petits jeux et, vous l’avez peut-être remarqué, mes jambes sont moitié moins longues que les vôtres ! »

À quoi Akma répondit, impitoyable : « Eh bien, vole ! »

Par-derrière, Mon lui flanqua une bourrade qui l’envoya, chancelant, dans un buisson au bord du chemin. Akma se retourna, prêt à se mettre en colère ou à rire, suivant l’intention qu’il lirait dans les yeux de Mon.

« Aie un peu de respect pour mon ami, dit Mon calmement, sinon pour son âge et sa position. »

Akma sourit aussitôt, de son sourire le plus charmant, le plus séduisant, avec l’efficacité qui ne faisait jamais défaut ; son expression suggérait l’humilité, l’effacement, une protestation d’innocence crédible, une promesse d’amitié, enfin, tout ce que la personne concernée souhaitait y lire d’agréable. Mon restait toujours perplexe devant ce sourire alors même qu’il effaçait sa colère ou sa jalousie. D’où provenait donc un tel pouvoir sur les autres ?

« Ah, Bego, je te taquinais, tu l’as compris, j’espère ! dit Akma. Tu me pardonnes, mon vieil ami ?

— Je te pardonne à chaque fois, répondit Bego d’un ton las. Comme tout le monde ; pourquoi te fatiguer à poser encore la question ?

— J’offense donc si souvent les gens que me pardonner est devenu une habitude ? » demanda Akma, et de la peine se mêlait maintenant à son sourire. Mon eut envie de lui passer un bras autour des épaules, de le serrer contre lui, de l’assurer qu’il n’offensait personne.

Mais comment fait-il ?

« Pas plus que n’importe quel jeune homme de vingt ans brillant, indiscipliné, oisif et paresseux, répondit Bego. Tenez, ici, au milieu de cette prairie. Si vous ne voulez pas d’oreilles indiscrètes, c’est l’idéal.

— Ah, dit Mon en pointant le doigt en l’air. Oublierais-tu les yeux fureteurs qu’il y a là-haut ?

— L’étoile fixe, répondit Bego. Oui, je sais, on dit que Surâme voit à travers les toits, les feuilles et la terre ; pourquoi s’en faire, dans ce cas ? »

Akma se jeta par terre et atterrit dans une position nonchalante mais élégante qui aurait eu l’air affectée chez quelqu’un de moins souple et de moins naturel. « Qui sait combien de centaines de tunnels de fouisseurs se croisent sous cette prairie ? fit-il.

— Ce n’est pas une prairie, dit Mon. C’est le parc de mon père et personne n’a le droit de creuser en dessous.

— Ah ! Alors, on peut être sûr que même les vers de terre ne s’en approchent pas ! »

Mon ne put s’empêcher d’éclater de rire. « Eh oui, l’autorité de Père est universelle !

— Pourquoi sommes-nous ici ? demanda Bego. La position assise n’est pas la plus agréable pour moi.

— Mais, Bego, répliqua Akma, nous sommes tous pareils, maintenant, humains, anges et fouisseurs, tu ne le savais pas ? Le Gardien a parlé.

— Eh bien, le Gardien ferait bien de me fournir un nouveau postérieur s’il veut que je l’installe sur des chaises et autres reposoirs tristement inconfortables.

— Mon et moi avons réfléchi, dit Akma.

— Tous les deux ensemble ? Allons, vous avez peut-être réussi à fabriquer une pensée, si vous vous y êtes pris assez longtemps et assez souvent.

— Nous avons étudié les textes qui parlent des Héros. Et celui que les Zenifi ont trouvé il y a treize ans.

— Les Rasulum, grogna Bego.

— Et nous voulions te soumettre une idée, dit Mon.

— Vous ne pouviez pas le faire à mon bureau ? Juste après le cours que je donne aux petits derniers du roi, par exemple ?

— Il est possible que notre question relève de la haute trahison », fit Akma.

Bego se tut aussitôt.

« Nous savons le respect que tu as pour les recherches scientifiques et tu ne nous dénoncerais pas. Mais qui sait ce que pourrait rapporter quelqu’un qui surprendrait notre conversation ? Avec d’éventuelles exagérations ?

— Que peut-on trouver de séditieux dans les textes anciens ? demanda Bego.

— Si nous avons raison, dit Akma, nous pensons qu’il y a près de dix ans que tu l’insinues toi-même.

— Je n’insinue jamais rien, rectifia Bego. Et quant à savoir si vous avez raison, c’est Mon qui possède le talent de certitude.

— C’est bien ça, le problème, intervint l’intéressé. Si nous ne nous trompons pas, il n’est plus question de faire confiance à ce prétendu talent que j’aurais. Et si nous nous trompons, ma foi, même réponse : aucune certitude de ma part.

— Voilà pourquoi nous nous adressons à toi.

— Tu crois que ce don que tu tiens du Gardien serait imaginaire ? fit Bego, incrédule.

— Je crois que bien des choses peuvent venir à l’esprit sous le coup de l’hystérie, répondit Mon.

— Même des intuitions tout à fait pénétrantes, renchérit Akma. Par exemple, lors de l’épisode fameux et inoubliable où Mon t’a aidé à traduire les textes sur les Rasulum. Comment savoir s’il ne parvenait pas à la certitude que tu te trompais ou que tu avais raison en interprétant inconsciemment tes gestes, tes déplacements, tes intonations, tes expressions ?

— Qu’aurait-il pu en tirer ? Je ne savais rien !

— Si, la vérité, peut-être, mais sans en avoir conscience. »

Bego fit ondoyer ses ailes en signe d’ignorance.

« Alors, Akma et moi avons cherché à voir si les anciens textes contiennent quoi que ce soit qui prouve ne serait-ce que l’existence d’un Gardien de la Terre.

— Personne n’en doute, fit Bego.

— Regarde les récits, dit Akma : ceux de l’époque des Héros prétendent que toute vie humaine avait quitté la Terre, que jusqu’au jour où le Gardien a fait venir les Héros d’un pays du nom d’Harmonie ou de Basilica – les textes sont ambigus…

— Basilica désigne l’étoile fixe, le coupa Bego, et Harmonie la planète qui gravite autour.

— Disent les exégètes, qui n’en savent pas plus long que nous, puisque toutes leurs conclusions sont fondées sur les mêmes textes. Et je dis, moi, que les récits des Héros sont manifestement erronés ; il y avait des gens ici : les Rasulum. » Bego haussa les épaules. « Cela a jeté quelque trouble dans la communauté savante.

— Allons ! s’exclama Mon. C’est précisément ce point-là que tu nous lances à la figure chaque fois que nous discutons d’histoire ! Tu veux que nous en tirions quelque chose, alors ne viens pas jouer les innocents, maintenant ! »

Akma prit la relève. « Et si les humains n’avaient jamais quitté la Terre ? S’ils s’étaient simplement retrouvés contraints de rester à l’écart du Gornaya pendant le temps où les volcans et les séismes le façonnaient ? Les Héros parlent d’une époque où les continents se sont heurtés, se sont plissés en formant les plus hautes montagnes du monde. Imaginons que ce soit ça qui ait donné naissance à la légende de la dispersion : plus un seul humain dans le Gornaya, donc plus d’humains dans le monde… Mais en réalité, ils avaient migré vers le nord, vers les territoires des prairies. Après quoi, une terrible guerre éclate et tous les humains qui le peuvent s’enfuient devant les Rasulum. Certains bravent les anciens tabous et pénètrent dans le Gornaya ; peut-être même arrivent-ils en bateau, mais comme ils craignent, ce faisant, de déclencher la colère de leurs dieux – Surâme et le Gardien de la Terre –, ils prétendent venir des étoiles et non d’Opustoshen.

— Dans ce cas, pourquoi la langue des feuilles d’or est-elle si différente de la nôtre ? demanda Bego.