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— Parce que ce ne sont pas quatre ou cinq malheureux siècles qui nous séparent des Héros ; en réalité, ils ont coupé les ponts avec les Rasulum il y a mille ans, peut-être davantage. De là, les langues se sont différenciées de plus en plus, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de ressemblance.

— Et quel est le rapport avec les anges et les fouisseurs ?

— Aucun ! s’écria Mon. Justement ! Les humains sont arrivés, ont dominé tout le monde et ont imposé leurs dieux à tous ! Mais les fouisseurs n’adoraient-ils pas des dieux que fabriquaient les anges ? Et les anges n’avaient-ils pas leurs dieux à eux ? Il n’était pas question de Gardien ! Les anges et les fouisseurs avaient évolué de leur côté, dans le Gornaya, pendant que les humains se trouvaient dans les territoires du Nord.

— Qu’en est-il de l’histoire de Shedemei découvrant un organe inconnu chez les anges et les fouisseurs, qui les obligeait à cohabiter ?

— D’après le récit, elle a rendu les uns et les autres malades, ce qui a fait disparaître l’organe à la génération suivante, répondit Akma. Aujourd’hui, donc, il n’y a pas la moindre preuve que cet organe ait jamais existé ; c’est bien commode.

— Tous les récits donnent des preuves invérifiables à notre époque, enchaîna Mon. C’est un truc classique de rhétorique que le premier crétin venu est capable de démonter lors d’un débat public ou devant un tribunal. On appelle la nouvelle étoile apparue dans le ciel “Basilica” – mais qui nous dit qu’elle n’a pas toujours été là ?

— Les textes sont effectivement équivoques là-dessus, fit Bego.

— La seule preuve dont nous disposions vraiment, reprit Akma, est en complète contradiction avec les récits des Héros. Ils prétendent qu’il n’y avait pas d’humains sur Terre à leur arrivée ; mais les ossements d’Opustoshen et les feuilles d’or des Rasulum affirment le contraire. Tu nous suis ? Notre unique preuve dément tout le reste. »

Bego regarda les deux jeunes gens d’un œil placide. « Ma foi, voilà qui est séditieux, pour le coup, fit-il enfin.

— Mais ce n’est pas obligatoire, dit Akma. C’est ce que j’expliquais à Mon : l’autorité de son père tient à ce qu’il descend en droite ligne du premier Nafai. Cette partie des textes n’est pas remise en question. Le royaume n’est pas contesté.

— Non, intervint Bego : seul ton père est contesté. »

Akma sourit. « Si mon père enseigne aux gens à adopter un comportement qui ne leur convient pas seulement parce que le Gardien l’ordonne, et qu’il s’avère tout à coup que le Gardien n’existe pas, alors la volonté de qui mon père cherche-t-il à imposer ?

— Je crois que ton père est un homme sincère.

— Sincère mais qui se fourvoie. Et les gens détestent ce qu’il enseigne.

— Pas les anciens esclaves.

— Les gens, j’ai dit, insista Akma.

— J’en déduis que tu ne tiens pas les fouisseurs pour des gens, répliqua Bego.

— Je les tiens pour les ennemis naturels des humains et des anges. Et je pense aussi qu’il n’y a aucune raison pour que les humains dominent les anges.

— Revoilà la sédition, sans erreur possible.

— Pourquoi ne pas imaginer une alliance ? dit Mon. Un roi pour les humains, un roi pour les anges, tous deux gouvernant des peuples disséminés sur le même territoire ?

— Impraticable, rétorqua Bego. Un territoire ne peut avoir qu’un seul roi. Autrement, ce serait la guerre et la haine entre humains et anges. Les Elemaki sauteraient sur l’occasion pour nous anéantir.

— Mais rien ne nous forcerait à vivre ensemble », dit Akma.

Bego se tourna vers Mon. « Est-ce ce que tu veux ? Toi, qui enfant rêvais de devenir…

— J’en ai fini avec ces désirs puérils ! s’exclama Mon. D’ailleurs, si je n’avais pas vécu parmi les anges, je ne les aurais jamais eus !

— Je les trouvais plutôt mignons. Et un peu flatteurs, peut-être, quand on pense au nombre d’anges qui rêvent d’être humains.

— Il n’y en a aucun ! cria Mon. Pas un seul !

— Beaucoup, au contraire.

— Alors, c’est qu’ils sont fous !

— Très probablement. Bien, voyons si je vous comprends bien. Il n’y a pas de Gardien et il n’y en a jamais eu ; les humains n’ont jamais quitté la Terre, mais seulement le Gornaya. Les fouisseurs et les anges n’ont jamais dépendu les uns des autres et Shedemei n’a jamais enlevé le moindre organe chez eux en provoquant une épidémie. Par conséquent, rien ne nous oblige à modifier nos habitudes de vie, nos coutumes sous prétexte que c’est, selon Akmaro, la volonté du Gardien : les trois espèces réunies en un seul peuple, les Protégés du Gardien, le Peuple de la Terre.

— Exactement, dit Akma.

— Bon, et alors ? » demanda Bego.

Akma et Mon s’entre-regardèrent. « Comment ça, et alors ? fit Akma.

— Alors pourquoi m’en parlez-vous ?

— Parce que tu pourrais éventuellement en discuter avec Père, le convaincre d’arrêter de faire appliquer ces lois.

— Et retirer à mon père son autorité », dit Akma.

À ces paroles, Bego cilla. « Si je tenais de tels propos au roi, mes chers amis, je me retrouverais aussitôt déchargé de toute responsabilité. C’est le seul changement que vous en obtiendriez.

— Mon père tient donc le roi complètement sous sa coupe ? demanda Akma.

— Doucement, dit Mon. Personne ne tient mon père sous sa coupe.

— Tu sais bien ce que je voulais dire ! répondit Akma d’un ton impatient.

— Et je connais Motiak, intervint Bego. Il ne changera pas d’avis, parce qu’à ses yeux vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez. Pour lui, le fait même que de vrais rêves ont conduit les soldats d’Ilihiak à la découverte des textes des Rasulum prouve que le Gardien voulait qu’on les trouve. Par conséquent, c’est le Gardien qui corrige les erreurs des Héros – preuve supplémentaire qu’il existait alors et qu’il existe toujours. Vous n’arriverez pas à convaincre quelqu’un qui met tant d’acharnement à croire en le Gardien. »

Exaspéré, Akma tapa du poing dans l’herbe. « Il faut absolument empêcher mon père de répandre ses mensonges !

— Ses erreurs, le reprit Bego. N’oublie pas : tu ne dois pas te montrer déloyal au point d’accuser ton père de mentir. Qui te croirait, alors ?

— Ce n’est pas parce qu’il y croit que ce ne sont pas des mensonges, insista Akma.

— Ah, certes, mais ce ne sont pas ses mensonges à lui. Donc, en parlant de ton père, il faut dire “erreurs”. »

Mon eut un petit rire. « Tu l’entends, Akma ? Il est avec nous. C’est ça qu’il cherche à nous faire comprendre depuis le début.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda Bego.

— Les conseils de stratégie que tu nous donnes », répondit Mon.

Akma se redressa sur les coudes, tout sourire. « C’est vrai, non, Bego ? »

Celui-ci haussa de nouveau les épaules. « Pour l’instant, une stratégie est hors de question : Akmaro est trop intimement lié à la politique du roi et vice versa. Mais un jour viendra peut-être où les Maisons du Gardien seront plus nettement séparées de la résidence royale.

— Que veux-tu dire ? demanda Akma.

— Seulement ceci : il y en a qui souhaitent jeter le roi à bas de son trône parce qu’ils sont mécontents de sa politique.

— Ce n’est pas du tout notre but ! s’écria Mon.

— Naturellement. Aucun individu sensé ne le voudrait. Si nous ne connaissons plus d’invasion elemaki chaque année, c’est uniquement grâce au bloc que forme l’empire de Darakemba, aux armées et aux espions qui patrouillent et protègent constamment nos frontières. Seule une infime minorité de fanatiques et de fous désire renverser le trône. Cependant, cette fraction séditieuse trouvera davantage de soutien à mesure que ton père fera appliquer les réformes d’Akmaro. Tôt ou tard, une guerre civile s’ensuivra, et peu importe le vainqueur, nous en sortirons affaiblis. Certains souhaitent l’éviter et revenir à la situation antérieure.