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— Les anciens prêtres, tu veux dire, jeta Mon avec mépris.

— Quelques-uns, oui, répondit Bego.

— Et toi aussi, fit Akma. Toi aussi, tu veux revenir à la situation antérieure.

— Je n’ai pas d’opinion sur les questions d’intérêt public. Je suis un intellectuel et je vous décris d’un point de vue intellectuel l’état présent du royaume. Certains désirent éviter la guerre civile, protéger le trône et empêcher Akmaro d’appliquer ces lois démentes, offensantes et ridicules qui prétendent abolir toute distinction entre hommes et femmes, humains, fouisseurs et anges, bref, mettre un terme à tous ces projets de pardon et de compassion. »

Akma l’interrompit d’un ton amer. « Ce n’est qu’un masque pour ceux qui veulent faire de ce pays une terre où les fouisseurs se promènent librement, les armes à la main, en tourmentant ceux qui valent mieux qu’eux et…

— À t’entendre, j’en viendrais presque à craindre que tu ne sois de ceux qui cherchent à détruire le royaume, le coupa Bego. Si tel est le cas, Akma, tu n’es d’aucune utilité à ceux qui souhaitent préserver le trône. »

Akma se tut et se mit à tirer sur des brins d’herbe. Une motte se détacha soudain, lui projetant de la terre au visage. Furieux, il se passa la main sur la figure.

« Mais imaginons que ceux qui veulent préserver le trône disent aux gens : “Attendez ; les enfants de Motiak ne croient pas à toutes ces bêtises sur l’égalité des espèces aux yeux du Gardien ; les enfants d’Akma n’ont pas l’intention de perpétuer la politique démente de leur père. Soyez patients ; quand l’heure sera venue, tout redeviendra comme avant.”

— Je ne suis pas l’héritier de la couronne, objecta Mon.

— Dans ce cas, tu devrais peut-être t’atteler à convaincre Aronha, répondit Bego.

— Oui, mais même si j’y parvenais, Père se contenterait de remettre le royaume aux mains d’Ominer en nous passant par-dessus la tête à tous les deux.

— Alors, il faut peut-être aussi convaincre Ominer et même Khimin. » À la mimique dégoûtée de Mon, Bego se mit à rire. « Il n’est pas bête ; c’est le fils de sa mère, certes, mais aussi de ton père. Que pourra ton père si tous ses enfants rejettent sa politique ?

— Au mien, ça sera égal, répondit Akma. Il choisira simplement un de ses favoris pour lui succéder en tant que grand-prêtre. J’imagine qu’il n’a jamais pensé une seconde à moi pour ce poste !

— Dii-dul ! » cria Mon d’un ton moqueur.

Akma devint rouge de colère en entendant le nom de Didul.

« Peu importe, de toute façon, qui pourrait succéder à ton père, reprit Bego. Si son propre fils prêche publiquement contre sa politique, son pouvoir s’en trouvera irrémédiablement sapé. Même parmi ses prêtres et ses professeurs, la dissension et le manque de confiance règnent. Certains vous écouteront, d’autres pas ; mais les Protégés seront affaiblis.

— Ha, Akma ! Je t’imagine bien en train de prêcher ! s’exclama Mon avec ironie.

— Je m’en tirerais bien, je crois, répliqua Akma. Si je n’avais pas toutes les chances de me faire arrêter pour trahison. »

Bego hocha la tête. « Eh oui, c’est tout le problème. C’est pourquoi il vous faut être patient. Travaille sur tes frères, Mon ; aide-le, Akma. N’y allez pas trop fort, faites simplement des suggestions, soulevez des questions. Vous finirez par les faire passer dans votre camp.

— Comme tu l’as fait pour nous ? » fit Akma.

Bego haussa les épaules derechef. « Je ne vous ai jamais suggéré de trahir, et je m’en garde bien encore aujourd’hui. Je veux que vous découvriez la vérité par vous-mêmes. Je ne vous la fais pas ingurgiter de force comme certains.

— Mais quelle garantie avons-nous que quelque chose bougera ?

— À mon sens, en évinçant les prêtres nommés par le roi, Akmaro et Motiak se sont engagés sur une pente qu’il est impossible de remonter. Elle les mène, à la fin des fins, vers une séparation de la religion et du pouvoir. Et lorsque nous en serons là, mes jeunes amis, la loi ne vous empêchera plus de prêcher ce que bon vous semble. »

Mon s’esclaffa. « Si je faisais encore confiance à mon talent, je dirais que Bego a raison sans la moindre erreur possible ! Ça va se réaliser bientôt ! C’est forcé !

— Et maintenant que vous avez décidé comment sauver le royaume des croyances excessivement inclusives d’Akmaro, pourrais-je rentrer et me trouver un juchoir où me suspendre pour détirer mes muscles douloureux ?

— Nous pouvons te transporter, si tu veux, proposa Mon d’un air espiègle.

— Coupez-moi la tête et transportez-la, elle, ça m’évitera encore plus d’efforts. Le reste de mon organisme ne m’est plus d’une grande utilité. »

Ils éclatèrent de rire et se levèrent. Ils prirent le chemin de la résidence royale d’un pas plus lent qu’à l’aller, mais aussi plus dansant, plus bondissant. Et quand ils croisèrent Khimin, qui suait sang et eau pour apprendre un poème par cœur, ils lui causèrent la surprise de sa vie en l’invitant à les accompagner. « Pourquoi ? demanda-t-il d’un ton soupçonneux.

— Parce que même si ta mère est une imbécile diplômée, déclara Mon, tu restes quand même mon frère et qu’il y a trop longtemps que je te traite de façon indigne. Donne-moi une chance de me racheter. »

Tandis que Khimin s’approchait d’eux avec circonspection, Akma murmura à Mon : « Tu ne peux plus reculer, maintenant.

— Bah, qui sait ? Il n’est peut-être pas si nul que ça ; d’après Edhadeya, il est très bien pour peu qu’on lui laisse l’occasion de s’exprimer.

— Eh bien, Edhadeya va être contente. »

Mon cligna de l’œil. « Si tu veux, je peux lui dire que c’est toi qui as eu l’idée de récupérer le rejeton de Dudagu Dermo ! »

Akma haussa les épaules. « Je ne fais pas les yeux doux à ta sœur, Mon. Elle a trois ans de plus que moi.

— Je ne tiens peut-être pas mon don du Gardien, répliqua Mon, mais je sais reconnaître un mensonge ! »

Khimin était maintenant assez près pour les entendre et la conversation dévia pour l’inclure. À leur arrivée devant la résidence royale, Akma et Mon avaient tant usé de leur charme sur le malheureux jeune homme de dix-huit ans qu’il était à genoux devant eux et les aurait crus s’ils lui avaient affirmé que ses pieds étaient des souches et son nez un navet.

À peine dans la maison, Bego les quitta et se paya le luxe de se servir de ses ailes dans les couloirs, dérapant sur le sol tout en chantonnant des bribes d’airs joyeux. Ils sont très futés, ces gamins, se disait-il. Ils vont y arriver, pour peu qu’on leur entrouvre la porte. Ils vont y arriver !

Luet adorait les visites que sa mère faisait à Dudagu dans la résidence royale car, après les politesses d’usage à l’adresse de la reine qui vieillissait mal et passait ses journées à se plaindre de sa mauvaise santé, elle avait le droit de s’excuser et de s’en aller à la recherche d’Edhadeya. Elle avait pris cette habitude à cinq ans à peine, alors qu’Edhadeya était une grande de dix ans, inaccessible ; elle s’étonnait aujourd’hui, en y repensant, que la fille du roi se fût montrée si gentille pour une enfant moitié plus jeune et encore récemment esclave des fouisseurs. À moins que ce ne fût justement la cause : Edhadeya l’avait peut-être prise en pitié en apprenant l’histoire de ses souffrances. Bref, peu importait l’origine, leur amitié était maintenant dans sa pleine fleur, alors qu’Edhadeya était une jeune fille de vingt-trois ans, Luet de dix-huit et déjà femme.