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— Je remarque que vous n’avez pas inclus ma belle-mère dans votre groupe », fit Edhadeya, perfide.

Chebeya eut un sourire de parfaite innocence. « Pauvre Dudagu ! Il serait incongru de parler de pouvoir à propos d’une personne aussi fragile qu’elle. »

Edhadeya s’esclaffa.

« Accompagne-moi à la maison, Luet. Nous avons du travail. »

Edhadeya les embrassa toutes deux et les regarda quitter la cour. Puis elle se radossa sur le banc et contempla le ciel. Quand le soleil était à l’inclinaison adéquate, elle avait parfois l’impression de distinguer l’étoile Basilica malgré l’éclat du jour. Mais aujourd’hui, les nuages bouchaient la vue. Il allait sûrement pleuvoir.

« Celle-qui-n’a-jamais-été-enterrée, murmura-t-elle, as-tu l’intention d’agir ? »

Shedemei chargeait des vivres dans la navette quand Surâme chuchota encore une fois dans son esprit : Es-tu certaine que ce soit bien judicieux ?

— Tu ne crois pas pouvoir me protéger ? rétorqua Shedemei.

Je peux empêcher qu’on te tue.

— Je n’en demande pas davantage.

Je ne vois pas ce que tu pourrais découvrir que je ne trouverais plus vite et avec plus d’exactitude.

— Je veux connaître ces gens, c’est tout. Je veux les connaître personnellement.

Tu ne peux pas les connaître rien qu’en bavardant avec eux aussi bien que moi en scrutant leurs pensées.

— Pourquoi m’obliger à te le dire ? Tu ne peux pas lire la vérité dans mon esprit ?

La vraie question est : le peux-tu, toi ?

— Oui. Je descends parce que je me sens seule. Là, c’est bien ce que tu voulais entendre ?

Oui.

— Eh bien, voilà qui est fait. J’ai envie d’entendre une voix organique. Ne le prends pas pour une insulte, mais j’ai vraiment envie d’avoir le sentiment que des gens me connaissent.

Ça ne me vexe pas. J’espérais que tu ferais quelque chose de ce genre. Je regrette seulement que tu n’aies pas choisi un moment plus favorable. Tes possibilités d’intervention sont très réduites, pour l’instant.

— Je sais. Et je ne prétends pas obéir à tel ou tel motif noble et généreux. C’est seulement que je me sens prête à m’extirper de cette coquille de métal et à me frotter de nouveau à mes semblables. » Une pensée lui traversa soudain l’esprit. « Quel âge est-ce que j’ai ? On va sûrement me le demander.

Physiquement ? Le manteau te maintient en excellente santé. On pourrait te donner la quarantaine. Tu n’as pas encore atteint la ménopause. Tu n’y arriveras d’ailleurs jamais, sauf si tu m’ordonnes de t’y amener.

— Essaierais-tu de me dire que je devrais avoir un autre enfant ?

Je te conseille simplement d’être prudente quant à tes moyens de soigner ta solitude.

Shedemei eut une moue de dégoût. « La société d’en bas entretient un fort tabou contre les relations sexuelles hors mariage. Je n’y vais pas pour mettre la pagaille dans la vie d’un pauvre homme esseulé.

C’était une idée en passant.

— Tu es sûre que tous ces avertissements ne seraient pas motivés par une toute petite parcelle de jalousie ?

Cela ne fait pas partie de mon programme.

— J’ai le loisir de marcher à la surface de cette planète et certaines créatures me reconnaîtront comme l’une des leurs. Tu ne regrettes jamais de…

J’ignore ce que sont les regrets.

— Et c’est bien dommage.

C’est fort aimable de ta part de pousser ta compassion pour moi jusqu’à l’anthropomorphisme. Mais si j’étais dotée des sentiments que tu me prêtes, on pourrait déduire, dans un sens technique, de ce que tu viens de dire que tu te réjouis de mes imperfections.

— Ça fait partie de mon programme à moi », répondit Shedemei.

Les panneaux furent verrouillés. La navette fut éjectée du vaisseau Basilica et projetée dans l’atmosphère.

7

L’école De Rabaro

Le soleil se déversait tant par les hautes et larges fenêtres de la salle d’hiver, réfléchi par les murs nus et chaulés, que Mon avait peine à imaginer lumière plus éclatante au-dehors. Si ses frères et lui pouvaient se réunir là pour se faire rudoyer par Akma – non, pour discuter avec lui –, c’est que personne n’utilisait la salle d’hiver en été : elle était trop chaude et trop lumineuse. Mon avait du mal à garder les yeux ouverts. Sans les mouches bourdonnantes qui s’acharnaient à vouloir sucer la transpiration dont il était couvert, il y aurait beau temps qu’il dormirait.

Pour autant, Mon n’était pas opposé aux idées d’Akma ; mais ils en avaient parlé tant et plus avant d’approcher Aronha, Ominer et Khimin, si bien que pour lui, ce n’était que du rabâchage. Et il était naturel qu’Akma menât les séances, car Mon n’avait pas sa patience pour affronter les questions de Khimin, toujours à côté du sujet, ni le refus obstiné d’Aronha d’accepter certains points depuis longtemps prouvés et plus que prouvés. Seul Ominer paraissait saisir du premier coup ce que disait Akma, mais même lui ralentissait les séances et les rendait fastidieuses, car lorsqu’il avait compris un élément de discussion, il fallait qu’il le répète à Akma sous une forme différente. Entre la bêtise de Khimin, l’entêtement d’Aronha et l’enthousiasme d’Ominer, on mettait des heures à progresser de trois fois rien ; telle était du moins l’impression de Mon. Akma, lui, le supportait. Il savait donner le sentiment que les questions et les commentaires n’étaient pas d’une stupidité sans bornes.

Une petite pensée s’insinua dans la conscience de Mon : Akma a-t-il agi de la même façon avec moi ? Les idées que nous avons élaborées « ensemble » ne seraient-elles en réalité que les siennes propres ? Jusqu’où va son habileté à convertir les gens à son point de vue ?

Aussitôt, il rejeta cette pensée, non parce qu’elle n’était pas vraie, mais parce qu’elle impliquait qu’il n’était pas intellectuellement l’égal d’Akma et c’était évidemment faux. Bego n’avait jamais caché que Mon était le meilleur élève qu’il avait jamais eu.

« Les humains et les anges peuvent cohabiter, disait Akma, parce que l’habitat naturel des deux espèces, c’est l’air libre et la lumière. Les humains ne savent pas voler, c’est exact, mais notre structure physique bipède nous élève au-dessus des autres animaux. Nous nous concevons comme voyant le monde de haut, ce qui, en esprit, nous rapproche du peuple du ciel. Les fouisseurs, en revanche, sont des créatures de l’obscurité, des cavernes ; dans leur attitude naturelle, leur ventre traîne sur la terre humide des souterrains. Ce que les êtres intelligents et raffinés abhorrent, les fouisseurs l’adorent ; ce que les fouisseurs apprécient, les êtres à la sensibilité supérieure s’en détournent avec dégoût. »

Mon ferma les yeux pour échapper à la blancheur insupportable de la lumière. Tout au fond de lui, un sentiment intense vibrait, une certitude à laquelle, dans son enfance, il avait appris à se fier, et qu’au cours des dernières années il s’était attelé – entreprise combien plus difficile ! – à nier. Ce sentiment se tapissait en dessous et en retrait de la zone se son esprit où se formaient les mots. Mais, comme il fournissait des mots pour décrire des mélodies inexplicables, son esprit avait appris le terme qui allait avec ce sentiment : faux. C’est faux. C’est faux. Les mots palpitaient dans sa tête. Fermer les yeux n’y changeait rien. Ça ne signifie rien, se dit Mon. Ce n’est qu’un vestige de mon enfance. C’est seulement le Gardien qui essaye de me pousser à douter de ce que dit Akma.