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Qu’est-ce que je raconte ? Je ne crois pas au Gardien de la Terre, et me voilà en train de l’accuser de faire tourner sans arrêt dans ma tête cette ridicule litanie délirante ! Je n’arrive pas à me débarrasser de mes superstitions alors même que j’essaye de m’en délivrer ! Il se mit à rire de lui-même.

Il rit tout haut, ou bien il respira comme s’il riait – il n’en fallait pas plus à Akma pour le remarquer.

« Mais je me trompe peut-être, dit celui-ci. C’est Mon qui s’y entend vraiment sur ce sujet. Pourquoi riais-tu, Mon ?

— Je ne riais pas. »

Faux, c’est faux, c’est faux.

« Ma première idée, Mon, tu t’en souviens, c’était que les trois espèces devaient vivre séparées, mais tu as soutenu que les humains et les anges pouvaient cohabiter à cause des affinités entre eux.

— Tu veux dire que ça vient de Mon ? demanda Aronha. Mon, qui a sauté du haut d’un grand mur à trois ans parce qu’il voulait voler comme un ange ?

— J’étais seulement en train de me faire la réflexion, déclara Mon, que tout ce que tu dis des fouisseurs, les anges pourraient aussi le dire de nous : nous sommes des créatures qui rampent au ras du sol, même pas fichues de se suspendre convenablement à une branche, sales, croupissant dans la terre…

— Mais pas poilues ! s’exclama Khimin.

— Personne ne nous écoutera, intervint Ominer, si nous commençons à raconter que les anges valent mieux que les humains. Et le royaume va s’effondrer si nous disons que les humains et les anges doivent se séparer. Si on veut que ça marche, il faut exclure les fouisseurs et les fouisseurs seuls. »

Mon lui jeta un regard surpris. Akma aussi.

« Si on veut que quoi marche ? demanda ce dernier.

— Tout ça. Le truc à quoi on se prépare. »

Mon et Akma échangèrent un coup d’œil.

Ominer s’aperçut qu’il avait dit quelque chose qu’il ne fallait pas. « Quoi ? » Personne ne répondit.

Alors, Aronha, du ton mesuré qui lui était habituel, intervint : « J’ignorais qu’il était question de rendre ces discussions publiques.

— Tu t’imaginais peut-être qu’on allait attendre que tu sois couronné ? fit Ominer, méprisant. Avec toute cette précipitation, tout ce mystère, je pensais qu’Akma nous préparait à nous dresser contre la prétendue religion d’Akmaro – il serait plus juste de parler de sa volonté de dominer et de détruire notre société, et de vendre notre royaume aux Elemaki. Je pensais qu’on allait organiser une résistance dès maintenant, avant qu’il ait réussi à faire accepter les fouisseurs comme des personnes à part entière dans tout Darakemba. Sinon, à quoi bon perdre notre temps ? Sortons tout de suite et faisons-nous en vitesse des copains chez les fouisseurs ; comme ça, ils ne nous laisseront pas de côté quand ils prendront le pouvoir ! »

Akma eut un petit rire. Les autres y virent un signe d’assurance – mais Mon connaissait assez Akma pour savoir qu’il riait ainsi lorsqu’il avait un peu peur. « En effet, c’était probablement le but que nous visions tous, au fond, dit Akma, mais je ne crois pas qu’il avait acquis le statut de plan ! »

Ominer éclata d’un rire sarcastique. « Tu prétends qu’il n’y a pas de Gardien, et pour moi tes preuves sont concluantes ; tu prétends que les humains n’ont jamais quitté la Terre, que nous ne sommes pas plus vieux que le peuple du ciel ni de la terre, que nous avons simplement évolué sous des latitudes différentes, et c’est parfait. Tu prétends qu’à cause de tout ça, ce qu’enseigne ton père est faux et que tout ce qui compte, en réalité, c’est de savoir quelle culture va survivre et dominer les autres ; la réponse, c’est de virer les fouisseurs de Darakemba et de préserver notre civilisation conjointement créée par les humains et les anges, la civilisation des Nafari. Que les Elemaki, avec leur répugnante alliance entre des humains et des rats de souterrains, restent coincés dans le Gornaya ; pendant ce temps, nous trouverons le moyen de domestiquer les grandes plaines inondables de la Severless, de la Vostoiless, de la Yugless et de multiplier notre population jusqu’à écraser les Elemaki sous le nombre… Tous ces plans sont merveilleux, Akma ; et tu viens me dire que tu n’as jamais pensé à les exposer publiquement ? Allons, Akma, nous ne sommes pas complètement idiots ! »

À en juger par leur expression, c’était la première fois que Khimin et Aronha y songeaient, eux, mais étant donné le ton d’Ominer, ils n’allaient sûrement pas avouer leur navrante stupidité.

« En effet, dit Akma. Au bout d’un moment, nous en aurions parlé à d’autres personnes.

— À des foules entières, rectifia Ominer. Ne compte pas faire changer Père d’avis : Akmaro transporte son cerveau dans son sac de voyage. Et aucun de ses conseillers n’acceptera de se ranger de notre côté en s’opposant à sa volonté. De plus, si nous parlons de nos idées à voix basse, en douce, nous passerons pour des conspirateurs, et quand nous les présenterons au grand jour, nous aurons l’air de traîtres. Donc, la seule façon d’empêcher Akmaro d’anéantir Darakemba, c’est de l’affronter ouvertement, publiquement. D’accord ? » Faux. C’est faux. C’est faux. Par réflexe. Mon faillit répondre par le message qui résonnait dans son esprit. Mais, il le savait, c’était un vestige de sa foi enfantine dans le Gardien ; il devait surmonter cette superstition et s’en débarrasser s’il voulait mériter le respect d’Akma. Ou de Bego, ou de ses frères, ou de n’importe qui. Le respect d’Akma.

Aussi, plutôt que de répéter ce que disait son cœur, il laissa parler son seul intellect : « Oui, tu as raison, Ominer. Mais il est vrai qu’Akma et moi n’en avons jamais discuté. Akma y avait sans doute déjà pensé, mais pas moi. Pourtant, maintenant que tu m’y fais songer, je sais que tu as raison. »

Aronha posa un regard grave sur lui. « Tu sais qu’il a raison ? »

Mon comprit la question d’Aronha : il voulait l’assurance que le don de discernement de Mon participait à leur combat. Mais ce dernier refusait désormais de considérer ces impressions comme du « savoir ». Le savoir, c’était ce que la raison découvrait, ce que la logique défendait, ce que la preuve matérielle démontrait. Donc, à la question d’Aronha, Mon pouvait répondre honnêtement en employant le seul sens du verbe « savoir » auquel il croyait encore. « Oui, Aronha, je sais qu’il a raison, je sais qu’Akma a raison, et je sais que moi j’ai raison. »

Aronha hocha calmement la tête. « Nous sommes les fils du roi. Nous ne disposons que de l’autorité qu’il veut bien nous donner, mais nous jouissons d’un prestige immense. Ce serait un coup fatal pour les réformes d’Akmaro si nous nous dressions publiquement contre elles. Et si parmi nous il y a non seulement les Motiaki mais aussi le propre fils d’Akmaro… – Les gens nous remarqueront, fit Akma.

— Ils vont en rester sur le cul, oui ! s’exclama Ominer.

— Mais c’est de la trahison, dit Khimin.

— Rien dans notre discours ne remet en cause l’autorité du roi, intervint Ominer. Tu n’as donc pas écouté ? Nous confirmons l’ancienne alliance des humains et des anges ; nous confirmons la décision de nos ancêtres de ne permettre qu’aux descendants de Nafai de devenir rois des Nafari. Ce que nous refusons, c’est cette superstition ridicule qui prétend que le Gardien aime les fouisseurs autant que les peuples du ciel et du milieu.

— Vous savez, dit Khimin, si on réfléchit, les anges sont le peuple du ciel et nous, les humains, sommes le peuple de la terre ; les fouisseurs ne sont rien du tout !