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« Des rumeurs ?

— D’après elle, certains personnages haut placés de la terre de Khideo se vanteraient de ce que le fils d’Akmaro et ceux du roi se seraient convertis aux principes des Zenifi.

— C’est faux, répondit Khideo. Je puis te l’assurer, même les plus optimistes d’entre nous ne nourrissent pas l’espoir que ce groupe de jeunes gens déclare un jour que les anges et les humains ne doivent pas cohabiter. »

Ilihi réfléchit un moment en silence.

« Alors, dis-moi ce que ce groupe va déclarer, fit-il enfin.

— Rien, peut-être. Comment le saurais-je ?

— Ne me mens pas, Khideo. Ne commence pas aujourd’hui à me mentir.

— Je ne te mens pas. Je devrais l’envoyer mon poing dans la figure pour oser m’accuser ainsi.

— Quoi, l’homme qui se dit sec comme une feuille morte, m’assommer à coups de poing ?

— Ce ne sont que des histoires.

— Ce qui veut dire que tu as une source de renseignements à qui tu fais implicitement confiance.

— Mais pourquoi ne seraient-ce pas seulement des histoires, des rumeurs ?

— Parce que, Khideo, je connais ta façon de recueillir l’information. Tu n’aurais jamais accepté le titre de gouverneur de cette terre si tu n’avais un ami haut placé dans le conseil de Motiak.

— Et comment me serais-je fait un tel ami, Ilihi ? Tous les proches du roi sont en place depuis toujours – depuis bien avant notre arrivée. À la vérité, tu es le seul homme que je connaisse qui soit l’ami de Motiak. »

Ilihi lui jeta un regard perçant et se mit à réfléchir. Puis il sourit. Enfin, il éclata de rire. « Espèce de vieil espion rusé ! s’exclama-t-il.

— Moi ?

— Ô Zenifi au cœur pur, tenant inébranlable de la loi de ségrégation, tu n’obtiens tes renseignements d’aucun homme du conseil du roi ! Cela pourrait signifier que ton informateur est une femme, mais je ne le pense pas, en grande partie parce que, pendant ton bref séjour à la capitale, tu as réussi à offenser toutes les femmes influentes qui auraient pu t’aider. Ça veut donc dire que ton informateur doit être un ange ! »

Khideo secoua la tête sans rien dire. On sous-estimait Ilihi. Depuis toujours. Et il avait beau le savoir, Khideo ne pouvait s’empêcher de s’étonner chaque fois qu’Ilihi, à partir de la preuve la plus mince, filait tout droit à la bonne conclusion.

« Tu as contracté une alliance avec un ange, dit encore Ilihi.

— Pas une alliance.

— Vous êtes utiles l’un à l’autre, alors. »

Khideo hocha la tête. « Peut-être.

— Akma et les fils de Motiak complotent bien quelque chose.

— Pas une trahison. Ils ne feraient rien qui puisse affaiblir le pouvoir du trône. Et les fils de Motiak ne feraient rien qui puisse nuire à leur père.

— De toute façon, tu ne tiens pas à ce qu’on renverse Motiak, dit Ilihi. Ni toi, ni aucun Zenifi ; vous êtes satisfaits de l’arrangement actuel, de vous trouver ici, dans ces terres marécageuses…

— Satisfaits ? Chaque parcelle de terrain que nous cultivons, il faut l’arracher au fumier et la transporter ici pour surélever le sol au-dessus du niveau inondable. Il faut ensuite l’endiguer à l’aide de poutres et de pierres – que nous devons faire venir par radeau de régions plus en altitude…

— Mais vous êtes quand même dans le Gornaya.

— Cette terre est plate, voilà ce qu’elle est ! Plate et pleine de fondrières.

— Vous êtes satisfaits, reprit Ilihi, parce que vous bénéficiez de la protection des armées de Motiak qui maintiennent les Elemaki à l’écart, cependant que le roi vous permet de vivre sans anges dans votre ciel.

— Ils sont tout le temps dans notre ciel ; mais ils ne vivent pas parmi nous. Nous ne leur faisons pas de mal et ils ne nous embêtent pas.

— Mais Akmaro, lui, vous embête, n’est-ce pas, à professer les idées de Binaro ?

— Binadi, corrigea Khideo.

— Binaro, qui disait que le grand péché des Zenifi, c’était de refuser non seulement les anges, mais également les fouisseurs. Que le Gardien froncerait le sourcil sur nous tant que dans tous les villages du monde entier, les humains, les fouisseurs et les anges ne vivraient pas en harmonie. Et que ce jour-là, le Gardien viendrait sur Terre sous la forme d’un humain, d’un fouisseur et d’un ange, et que…

— Non ! » s’exclama Khideo d’un ton furieux, avec un geste violent de la main. S’il avait atteint Ilihi, le coup l’aurait assommé, car, en vérité, Khideo avait peu perdu de sa grande vigueur. Mais sa main ne rencontra rien, l’air seulement, ou un moustique invisible et inaudible.

« Ta colère demeure un spectacle effrayant, Khideo.

— On aurait dû exécuter Binaro avant qu’il ait converti Akmaro. Nuak a trop attendu, voilà ce que je pense !

— Nous ne serons jamais d’accord sur ce sujet, Khideo. Ne nous disputons pas.

— Non, ne nous disputons pas.

— Dis-moi seulement ceci, Khideo : y a-t-il un plan visant à déchaîner des violences contre Akmaro ? »

Khideo secoua la tête. « On en a parlé. J’ai fait savoir qu’au premier qui lèverait la main sur Akmaro, j’arracherais le cœur en passant par la gorge.

— Vous étiez amis, lui et toi, n’est-ce pas ? »

Khideo acquiesça.

« Aujourd’hui, pour toi, chacune de ses paroles est une goutte de poison, mais tu lui restes loyal ?

— Je place les amis au-dessus des idées.

— Si j’appréciais davantage tes idées, Khideo, je ne serais peut-être pas si heureux que tu places l’amitié au-dessus d’elles. Mais c’est sans importance. D’après toi, donc, Akma et les Motiaki ne projettent aucune action violente, ni contre leurs pères respectifs ni contre personne ?

— C’est exact.

— Mais ils complotent quelque chose.

— Réfléchis-y. Ce que tisse Akmaro peut être détissé. »

Ilihi hocha la tête. « Motiak n’osera pas poursuivre ses propres fils pour trahison.

— Je crois qu’il ne le pourrait pas, même s’il l’osait.

— Pour avoir bravé l’autorité du grand-prêtre nommé par le roi lui-même ?

— Je ne pense pas que nous ayons de grand-prêtre.

— Ce n’est pas parce qu’Akmaro dédaigne le titre d’og…

— Motiak a aboli la nomination des prêtres par le souverain. Akmaro est arrivé de l’extérieur, prétendument désigné par le Gardien de la Terre lui-même. Son autorité ne lui vient pas du roi. Par conséquent, remettre en question ses enseignements n’est pas trahir. »

Ilihi se mit à rire. « Imagines-tu que Motiak va se laisser duper par ce genre de finesses juridiques ?

— Non, répondit Khideo. Et c’est pourquoi tu n’as pas entendu les voix de ces excellents jeunes gens de sang royal prôner la résistance contre l’abject mélange des espèces qu’enseigne Akmaro et la révocation de l’autorité des hommes sur les femmes.

— Mais quelque chose se prépare.

— Disons qu’il y aura d’abord un test. J’ignore en quoi il consistera – ça ne me regarde pas –, mais il va donner du fil à retordre à Motiak et Akmaro. Et quelle que soit la solution qu’ils choisiront, elle… clarifiera les choses pour nous.

— Tu m’en as dis davantage que tu n’y étais obligé.

— Parce que même si tu vas tout droit chez Motiak lui raconter ce que je viens de te révéler, ça ne changera rien à l’affaire. Il a déjà semé les graines. Akmaro perdra son statut de chef de la religion de Darakemba.

— Si tu crois que Motiak va manquer à sa parole et priver Akmaro de sa fonction…

— Pense à ce que je t’ai dit, Ilihi. Le test va avoir lieu, et à l’issue Akmaro ne dirigera plus la religion de Darakemba. C’est inéluctable et aucune mise en garde ne l’empêchera, parce que les germes de cet événement ont déjà été plantés par le roi lui-même.