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— Il nous l’a appris parce que c’est vrai. C’est intellectuellement honnête.

— Honnête ? Akma, l’explication la plus simple de la plupart de ces événements, c’est que la Gardienne envoie de vrais rêves. Qu’elle intervient parfois dans la vie des gens. Pour éviter de croire cela, tu es obligé de bâtir des théories contournées, tordues et insultantes à l’extrême ! Tu as le culot de me dire en face que mon rêve n’avait d’importance qu’en ce qu’il nous a rappelé l’existence des Zenifi et non parce que j’étais capable de faire la différence entre un vrai rêve et un songe normal ! Pour rejeter la Gardienne, il fallait et il faut encore que tu me considères comme une idiote qui se berce d’illusions !

— Je ne t’ai jamais prise pour une idiote, répondit-il avec une expression sincèrement peinée. Mais tu étais une enfant. Ton rêve te paraissait réel ; par conséquent, tu t’en souviens aujourd’hui comme étant réel.

— Tu vois ? Ce que tu nommes honnêteté intellectuelle, je l’appelle illusion, une illusion que tu t’imposes à toi-même ! Tu refuses de me croire, alors que je me tiens devant toi, en chair et en os, et que je te raconte ce que j’ai vu…

— Une hallucination au milieu des rêves de la nuit.

— De même, tu refuses la vérité toute simple de ce que disent les textes anciens : Les Rasulum, tout comme les Nafari, ont été ramenés sur Terre après des millions d’années d’exil sur un autre monde. Tu es incapable d’accepter cette explication simple, si simple : les gens qui ont écrit ces textes savaient réellement ce dont ils parlaient. Non, tu affirmes péremptoirement que ces livres ont été rédigés longtemps après, par des auteurs qui se sont contentés de coucher par écrit de vieilles légendes justifiant le caractère divin des Héros en prétendant qu’ils venaient du ciel. Avec toi, aucune lecture ne peut être franche et directe ; tout doit être tordu, manipulé pour cadrer avec ton article de foi unique et fondamental : Il n’y a pas de Gardienne ! Mais tu n’en sais rien ! Tu n’en as aucune preuve ! Et pourtant, sur la foi de cette seule prémisse – contre laquelle il existe mille témoignages écrits et au moins une dizaine de témoins vivants, dont moi –, sur la foi de cette seule prémisse, tu as déclenché une succession d’événements dont tu vois aujourd’hui l’aboutissement : des enfants se font mutiler dans les rues des villes et des villages de Darakemba.

— C’est pour ça que tu es venue ? demanda Akma. Pour me dire que mon refus de croire à ton vrai rêve te fait de la peine ? Je suis navré. Je t’espérais assez mûre pour comprendre que la raison doit triompher de la superstition. »

Elle ne l’avait pas touché. Elle n’avait pas atteint l’étincelle d’intégrité qui brillait tout au fond de lui. Parce que cette étincelle n’existait pas, elle s’en rendait compte à présent. Il rejetait la Gardienne non pas à cause des terribles blessures de son enfance, mais parce que le monde que voulait créer la Gardienne lui faisait réellement horreur. Il aimait le mal ; voilà pourquoi il ne l’aimait plus, elle.

Sans un mot, Edhadeya se dirigea vers la porte.

« Attends », fit Akma.

Elle s’arrêta ; bêtement, une lueur d’espoir s’allumait en elle.

« Je n’ai pas le pouvoir de faire cesser les persécutions, mais ton père l’a.

— Tu crois qu’il n’a pas déjà essayé ?

— Si, mais il ne s’y prend pas du tout comme il faut. Les gardes civils ne feront jamais respecter la loi : nombre d’entre eux font partie des Libérés.

— Pourquoi ne donnes-tu pas de noms ? Si tu es sincère en disant vouloir mettre un terme à cette barbarie…

— Les hommes que je connais sont vieux et aucun d’entre eux n’irait frapper des enfants. Veux-tu bien m’écouter, à la fin ?

— Si tu as un plan, j’en ferai part à Père.

— C’est très simple ; la colère des Libérés vient de ce qu’ils n’ont qu’une alternative : soit adhérer à une religion d’État qui les contraint à cohabiter avec des créatures inférieures – ne monte pas sur tes grands chevaux, je ne fais que t’exposer leur sentiment…

— Que tu partages…

— Tu ne m’as jamais écouté assez longtemps pour savoir ce que je pense, et de toute façon ça n’a pas d’importance. Écoute-moi maintenant. C’est par impuissance qu’ils se révoltent. Ils ne peuvent rien contre le roi, mais ils peuvent s’en prendre aux prêtres et aux fouisseurs. Cependant, imagine que le roi décrète qu’il n’existe plus de religion d’État ?

— Tu veux fermer les Maisons de la Gardienne ?

— Pas du tout. Que les Protégés continuent à se réunir et à partager leurs croyances et leurs rites – mais sur une base totalement volontaire. Et que ceux qui croient autrement forment leurs propres congrégations et possèdent leurs rites et leurs dogmes à eux, sans intervention extérieure. Autant de congrégations, autant de croyances que le souhaitent les gens. Le gouvernement, lui, se contentera d’observer le tout, sans y mettre son grain de sel.

— Une nation doit n’avoir qu’un seul cœur et qu’un seul esprit, objecta Edhadeya.

— Mon père a ruiné tout espoir d’y parvenir il y a treize ans. Que le roi déclare les croyances et les assemblées religieuses affaires privées, hors de tout domaine d’État, et la paix reviendra.

— En d’autres termes, pour éviter les attaques contre les Protégés, nous devons abattre les dernières défenses qui nous restent ?

— Ils n’ont aucune défense, Edhadeya. Tu le sais très bien. Le roi aussi. Il a atteint les limites de son autorité. Mais une fois qu’il aura aboli toute caution gouvernementale d’une religion, il pourra établir une loi disant que nul ne peut être persécuté pour ses convictions religieuses. Et cette loi-là sera efficace, parce qu’elle protégera tout le monde de façon égale. Si les Libérés souhaitent former une assemblée autour d’une croyance commune, ils bénéficieront de sa protection. Ce sera leur intérêt de soutenir cette loi. Il n’y aura plus besoin de réunions secrètes ni de sociétés clandestines ; tout pourra se faire au grand jour. Parles-en à ton père. Même si tu n’accordes aucune valeur à mon idée, ton père lui en accordera, lui. Il verra qu’il n’y a pas d’autre moyen.

— Il ne sera pas plus dupe que moi, répliqua Edhadeya. Ce décret que tu suggères, c’est le but que tu poursuis depuis le début.

— Je n’y ai pensé qu’hier ! protesta Akma.

— Oh, pardon, j’oubliais qu’il faut un certain temps à Bego pour te pousser à découvrir ses idées comme s’il s’agissait des tiennes.

— Edhadeya, si la religion de mon père n’est pas capable de tenir debout toute seule, par la seule puissance de sa vérité intrinsèque, sans aide du gouvernement sauf pour protéger ses adeptes de violences extérieures, elle ne mérite pas de survivre.

— Je rapporterai à Père ce que tu m’as dit.

— Parfait.

— Mais je te parie aussi ce que tu veux, dès maintenant, qu’au cours de l’année à venir, tu seras personnellement la cause directe de nouvelles persécutions des Protégés.

— Tu ne me connais pas, tu n’as jamais su qui j’étais, si tant est que tu le croies possible.

— Oh, tu disposeras de tout un tas de raisons très honorables pour démontrer que ces souffrances ne sont pas de ton fait ; tu as déjà prouvé ta capacité sans borne à te tromper toi-même. Mais dans l’année à venir, Akma, des familles entières pleureront à cause de toi.

— Ma famille, oui, sans doute, puisqu’elle me pleure déjà comme si j’étais mort. » Il se mit à rire, comme s’il s’agissait d’une plaisanterie.