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— Je comprends. Je n’en crois pas un mot, mais je comprends.

— C’est bien, dit Akmaro. Parce que je te comprends, toi aussi. »

Akma éclata d’un rire moqueur. « Tant mieux ! Comme ça, tu peux me dire quel sera mon choix, ça m’évitera de me fatiguer !

— Quand tu auras touché le fond du désespoir, mon fils, quand à tes yeux le néant sera le seul choix désirable, n’oublie pas ceci : le Gardien nous aime. Il nous aime tous ; pour lui, chaque vie, chaque esprit, chaque cœur sont précieux. Tous sont un trésor pour lui. Même les tiens.

— Trop aimable !

— Son amour pour toi est l’unique constante de ce monde, Akma. Il sait que tu crois en lui depuis toujours. Il sait que tu t’es révolté contre lui parce que tu croyais savoir modeler cette terre mieux que lui. Il sait que tu mens sans cesse à tout le monde, y compris à toi-même, surtout à toi-même – et je te répète que, même sachant cela, il te ramènera sur le chemin pour peu que tu le lui demandes.

— Sinon, il nous éliminera tous, c’est ça ? fit Akma.

— Il nous retirera sa protection, et nous serons alors libres de nous entre-détruire. »

Akma éclata de rire à nouveau. « Et c’est cet être que tu prétends débordant d’amour ? »

Akmaro acquiesça. « Oui, Akma. Si débordant d’amour qu’il accepte de nous laisser choisir notre destin. Même si nous choisissons de nous anéantir en l’abandonnant à son désespoir.

— Et tout ça, tu l’as vu en rêve ?

— Tu étais dans un trou si profond que la lumière n’en atteignait pas le fond. Tu pleurais, tu criais de douleur, tu suppliais le Gardien de la Terre de t’effacer, de t’anéantir, parce que tu préférais mourir plutôt que vivre avec ta honte. Je me disais : Oui, telle est la mesure de son orgueil ; il aime mieux périr que se sentir honteux. Mais auprès de toi, au fond de ce trou obscur, Akma, je voyais le Gardien. Enfin, je l’entendais qui disait : “Donne-moi la main, Akma. Je te tends la mienne pour te tirer de cette fosse. Prends-la.” Mais tes plaintes étaient si fortes qu’elles couvraient sa voix.

— Moi aussi, je fais des cauchemars, Père, dit Akma. Essaye de dîner plus tôt, tu auras le temps de digérer ton repas avant de te coucher. »

Le silence qui s’abattit autour de la table avait des accents de triomphe pour Akma.

Motiak regarda Akmaro, qui hocha brièvement la tête. Chebeya éclata en larmes. « Je t’aime, Akma, dit-elle.

— Je t’aime aussi, Mère. » Puis à Motiak : « Et vous, Sire, vous êtes mon roi et je vous respecte et vous obéis. Ordonnez-moi de me taire et je ne dirai plus rien ; je vous demande seulement, dans ce cas, d’imposer également le silence à mon père. Mais si vous le laissez parler, laissez-moi parler aussi.

— Ce sont les termes du décret, répondit Motiak d’un ton posé. Pas de religion d’État ; liberté totale en matière de croyance ; liberté de constituer des congrégations de croyants ; choix de leurs chefs laissé à l’appréciation des fidèles ; plus de grand-prêtre nommé par le roi ; et interdiction formelle de persécuter qui que ce soit pour ses croyances. À présent, ton père me dit que nous avons fait tout ce qui était possible. Tu peux partir. »

Akma sentit la victoire rayonner en lui comme un lever de soleil en été, doux et chaud. « Merci, Votre Majesté. » Il s’apprêta à sortir.

Au moment où il atteignait la porte, Motiak reprit : « À propos, mes fils et toi êtes interdits de séjour chez moi. Tant que vous ne ferez pas partie des Protégés, aucun d’entre vous ne reverra mon visage sinon lorsque vous contemplerez mon cadavre. » Il parlait d’une voix égale et mesurée, mais ses paroles étaient cinglantes.

« Je regrette cette décision », répondit Akma. Puis, comme s’il venait seulement d’y penser, il demanda : « Que va-t-il arriver à Bego ? »

Il vit l’ange lui lancer un regard funèbre.

« Cela, fit Motiak, ne te regarde en rien. »

Akma sortit alors et referma la porte derrière lui. Puis, d’un pas vif, il prit la direction de la bibliothèque où l’attendaient Aronha, Mon, Ominer et Khimin. Ils ressentiraient durement de se faire bannir de chez eux, naturellement ; mais, Akma le savait, il serait facile de transformer leur consternation en une résolution nouvelle. C’était le grand soir, le commencement de la fin d’un système grotesque où l’on se fondait sur des rêves pour diriger un royaume. Et, plus important, le début d’un règne de justice dans tout le Gornaya.

Quand tout sera consommé, le peuple connaîtra la paix et la liberté, songeait Akma. Et il n’oubliera pas que j’ai été l’artisan de sa sécurité. Et pas seulement de sa sécurité au moment où je le mènerai à la guerre, mais pour toujours parce que ses ennemis auront été totalement exterminés. À côté de ça, qu’a fait notre légendaire Gardien ?

Shedemei revint le même jour à Darakemba exprès pour assister au premier rassemblement organisé par Akma. Par ce que lui avaient dit certaines personnes – Surâme se chargeant de combler les lacunes –, elle avait déjà une bonne idée de ce qu’allaient annoncer Akma et les fils de Motiak et de ce que cela signifiait. Mais elle était quand même descendue sur Terre passer quelque temps dans la société des vivants ; elle se devait de ressentir les grands événements dans sa chair, même si les conclusions qu’elle en tirait sur la nature des gens lui donnaient vaguement la nausée. Elle se présenta donc à la réunion, accompagnée de quelques élèves et de deux ou trois membres de la faculté. Voojum souhaitait venir aussi, mais Shedemei le lui avait déconseillé. « Dans le public, il y en aura beaucoup qui ont persécuté les Protégés, avait-elle dit. Ils détestent les gens de la terre et je ne suis pas sûre de pouvoir vous défendre. Aucun fouisseur ne doit se rendre là-bas ce soir.

— Ah, j’ai dû mal comprendre, alors, avait répondu Voojum. Je croyais que les frères d’Edhadeya devaient prendre la parole. C’étaient de bons garçons, toujours très gentils avec moi. » Shedemei n’avait pas eu le cœur de lui expliquer à quel point ils avaient changé. Voojum n’était pas obligée de rester à la pointe de l’actualité ; elle enseignait les anciennes traditions du peuple de la terre ; elle ne perdrait donc rien en n’assistant pas aux discours prévus.

Quand la réunion débuta enfin, Shedemei fut surprise par l’ordre de passage des orateurs. Aronha jouissait de la renommée et du prestige les plus grands, adulé par toute la nation depuis son enfance. N’aurait-il pas dû se réserver pour la fin ? Non. Lorsqu’elle l’entendit parler, Shedemei comprit. Il était doué pour stimuler les foules, mais incapable de traiter avec clarté des questions substantielles. On ne demande pas aux monarques de savoir enseigner, mais seulement de savoir prendre des décisions et donner l’exemple ; Aronha ferait un excellent roi. Son discours se résuma en définitive à peu de chose : il aimait son père et respectait ses convictions religieuses, mais il respectait également les anciennes traditions des Nafari et il se réjouissait que puissent désormais coexister plusieurs systèmes de croyances et de rites. « J’aurai toujours beaucoup de déférence envers la congrégation des Protégés à cause du grand amour que mon père porte aux préceptes du martyr Binaro. Mais nous sommes réunis aujourd’hui pour en former une autre, que nous appellerons l’Assemblée des coutumes ancestrales. Notre objectif est de préserver les cérémonies publiques d’autrefois, qui étaient partie intégrante de notre vie depuis l’époque des Héros. Et à la différence de certains, nous ne voulons pas d’une congrégation exclusive ; nos portes sont ouvertes à ceux des Protégés qui désirent également observer les traditions d’autrefois. On peut parfaitement suivre les enseignements de Binaro et rester le bienvenu dans notre assemblée. Nous ne demandons que le respect pour les autres et pour la préservation des modes de vie qui ont fait la grandeur de Darakemba et garanti la paix entre nous depuis des siècles. »