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— Comment répondre à ses mensonges ? Comment empêcher les gens de les croire ?

— Vous vous y employez déjà : vous enseignez ; vous prenez la parole partout où vous le pouvez ; vous ne tolérez pas qu’on se fasse l’écho d’idées ignobles en votre présence.

— Je le hais ! s’exclama Edhadeya d’une voix enrouée par l’émotion. Je ne lui pardonnerai jamais, Shedemei ! La Gardienne nous demande de pardonner à nos ennemis, mais je refuse ! Si cela fait de moi une créature mauvaise, soit, je suis mauvaise ; mais je le haïrai toujours pour ce qu’il a fait ce soir ! »

Une des élèves, l’esprit embrouillé, intervint : « Mais il n’a rien fait, en réalité, n’est-ce pas ? Il n’a fait que parler. »

Shedemei, Edhadeya toujours plaquée contre elle, répondit : « Si je montre du doigt un homme dans la rue et que je me mets à crier : “Le voilà, c’est lui qui a fait du mal à ma petite fille ! C’est lui qui a violé, torturé, tué ma fille, je le reconnais, c’est lui !” Si je dis cela et que la foule le met en pièces alors que je sais pertinemment qu’il est innocent, que c’est un mensonge, est-ce que ce ne sont que des paroles, ou est-ce que j’ai fait quelque chose ? »

Laissant les jeunes filles méditer la leçon, elle emmena Edhadeya dans la cellule semblable à toutes les autres où elle dormait. « Ne vous laissez pas bouleverser, Edhadeya. Ne laissez pas cette affaire vous démolir.

— Je le hais, marmonna la jeune femme.

— À présent que nous sommes à l’abri des oreilles indiscrètes, j’insiste à nouveau pour que vous affrontiez la vérité de votre cœur. Si vous êtes à ce point en rage, si vous vous sentez à ce point trahie que vous en perdez la maîtrise de vos émotions, qu’elles font voler votre dignité en éclats, qu’elles vous rendent à moitié folle de douleur, c’est parce que, ma chère amie, ma consœur, ma fille, ma sœur, c’est parce que vous l’aimez toujours ; c’est cela que vous ne pouvez pardonner.

— Je ne l’aime pas ! C’est une accusation affreuse que vous portez là !

— Pleurez tout votre soûl jusqu’à épuisement, Dedaya. Vos cours vous attendent demain matin ; et j’aurai besoin de vous dans d’autres domaines aussi. Ce soir, vous pouvez vous laisser aller à vos larmes, à votre tristesse, à vos malédictions et à votre fureur tant que vous voudrez. Mais après, il faudra que vous ayez retrouvé votre efficacité. »

Et en effet, le matin venu, Edhadeya était redevenue efficace, calme, travailleuse, sage et compatissante comme toujours. Mais Shedemei voyait bien que son cœur restait agité de remous. Tu portes bien ton nom, songeait-elle – celui d’Eiadh, qui a commis l’erreur tragique d’aimer Elemak. Cependant, tu as évité certaines méprises d’Eiadh ; tu es demeurée constante, alors qu’Eiadh ne cessait de tomber et de retomber amoureuse de Nafai. Et ton premier choix a peut-être été plus avisé que le sien, car il n’est pas encore absolument certain qu’Akma soit aussi entêté dans son orgueil que l’était Elemak. Les preuves pleuvaient sur Elemak de la puissance de Surâme, puis de la Gardienne de la Terre, et il persistait à les défier et à maudire tout ce qu’elles essayaient d’accomplir. Mais, consciemment, Akma n’a jamais senti la puissance de la Gardienne – c’est un avantage que nous avons sur lui, moi, Akmaro, Chebeya, toi-même, Luet et Didul. Dans ces conditions, ma pauvre Edhadeya, tu n’as peut-être pas donné ton cœur de façon aussi écervelée et tragique qu’Eiadh.

D’un autre côté, il peut encore s’avérer que tu as fait bien pire.

11

Défaite

Dudagu ne voulait pas laisser partir son époux.

« J’ai horreur que tu t’en ailles ainsi pendant des jours !

— Excuse-moi, mais quelle que soit la gravité de ta maladie, je suis encore le roi, répondit Motiak.

— C’est vrai, et c’est pour ça que tu as des gens pour enquêter sur place et te faire des rapports, ce qui t’évite de te déplacer en personne !

— Je suis autant le roi des gens de la terre que de ceux du ciel et du milieu. Il faut qu’ils constatent de leurs yeux que je ne veux pas leur départ.

— Ton décret est passé, non ? Celui qui interdit tout boycott contre les fouisseurs ?

— Oh oui ! J’ai décrété, et aussitôt Akma et les enfants royaux se sont mis à claironner partout que, conformément à la loi, ils cessaient de préconiser le boycott et invitaient les gens à ne plus s’abstenir d’engager des fouisseurs ni d’acheter des produits fabriqués par des fouisseurs. Et voilà comment je ne peux pas les faire taire, cependant qu’ils continuent à répandre leur mot d’ordre d’ostracisme sous couvert de l’annuler !

— Je reste convaincue que tu devrais les convoquer ici et leur interdire de parler.

— Ça ne changerait rien au fait que le peuple connaît leurs convictions et leurs buts. Crois-le ou non, Dudagu, malgré ta haute opinion de mes pouvoirs, je suis pieds et poings liés.

— Sanctionne les boycotteurs ! Fais-leur confisquer leurs propriétés ! Fais-leur couper un doigt !

— Et comment prouver le boycott ? Ils se défendront en disant : “Je n’ai jamais été satisfait de son travail, alors j’engage quelqu’un d’autre. Ça n’a rien à voir avec sa race ; je n’ai pas le droit de choisir qui j’engage ?” Il se peut même que ce soit la vérité, quelquefois ! Dois-je les punir, dans ce cas ? »

Dudagu s’accorda un moment de réflexion. « Bon, eh bien, si les fouisseurs s’en vont, laisse-les partir ! S’ils s’en vont tous, le problème sera résolu. »

Motiak la regarda en silence jusqu’à ce qu’elle se rende compte que quelque chose n’allait pas, lève les yeux et voie les traits de son époux déformés par une fureur glaciale.

Elle eut un hoquet d’inquiétude. « J’ai dit une bêtise ?

— Des gens dans mon royaume estiment que certains de mes citoyens sont de trop et les chassent du pays contre ma volonté, et tu oses me dire qu’une fois qu’ils seront partis, le problème sera résolu ! Avec chaque personne du peuple de la terre qui s’exile de Darakemba, notre nation s’enfonce davantage dans le mal et mon rôle de roi commence à me faire horreur !

— Tu me fais peur. Tu ne ferais pas l’idiotie d’abdiquer, n’est-ce pas ?

— Pour mettre Aronha sur le trône des années avant terme ? Pour le voir rétablir ses fameuses Coutumes ancestrales, cette abomination, comme religion officielle de l’empire ? Je ne lui ferai pas ce plaisir ! Non, je resterai roi jusqu’à mon dernier souffle. Tout ce que j’espère, c’est avoir la force de ne jamais souhaiter que mes fils meurent tous avant moi. »

À ces mots, Dudagu jaillit de son lit et se planta devant lui, toute petite mais pleine d’une rage majestueuse. « Ne répète jamais quelque chose d’aussi monstrueux ! Trois d’entre eux ne sont pas mes fils, je le sais, et je sais également qu’ils me détestent et m’estiment inutile, mais ce sont tes fils et il n’y a rien de plus sacré au monde ! Aucun homme digne de ce nom ne peut souhaiter à ses fils de mourir avant lui, même si c’est le roi et si ce ne sont que de sales petits morveux perfides et menteurs, comme s’est révélé mon Khimin ! » Elle éclata en sanglots.

Motiak la reconduisit à son lit. « Là, là, je ne pensais pas ce que je disais, j’étais en colère, c’est tout.

— Moi aussi, mais moi, j’avais raison de l’être, répondit-elle.

— C’est vrai, et je te présente mes excuses. Mes paroles ont dépassé ma pensée.

— Je t’en prie, ne t’en va pas.

— Je vais partir, parce que c’est ce que je dois faire. Et toi, tu vas cesser de me harceler, parce que je n’ai pas à me sentir coupable d’accomplir mon devoir de roi.