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— Non, répondit Shedemei. Vos garçons retrouveront leur bon sens une fois séparés d’Akma. Et la paix du royaume dépend d’une succession dans les règles. Vos fils ne doivent pas mourir.

— Mais un père qui prie le Gardien de tuer son fils… fit Motiak.

— Jamais je ne prierai pour cela ! le coupa Akmaro. Je n’ai pas la sagesse nécessaire pour dire au Gardien ce qu’il doit faire. Seulement celle d’écouter mon épouse pour cesser d’implorer le Gardien de laisser vivre mon fils.

— C’est horrible ! murmura Pabul. Père Akmaro, je regrette de ne pas être mort à Chelem ; tu ne serais pas aujourd’hui dans cette situation.

— Personne ne m’a mis dans cette situation, répondit Akmaro. C’est Akma lui-même qui s’y est mis tout seul. L’unique espoir de miséricorde pour notre peuple, c’est que le Gardien juge Akma. C’est donc ce que je vais demander. » Il se leva avec un profond et terrible soupir. « C’est ce que je vais demander de tout mon cœur : le jugement de mon fils. J’espère qu’il aura le courage de regarder le Gardien en face. »

Akmaro quitta la clairière et s’enfonça sous les arbres qui bordaient le Tsidorek. « Je ne sais plus ce qu’il faut espérer, dit Motiak.

— Il n’est plus l’heure d’espérer, fit Shedemei. Akmaro et Chebeya ont enfin trouvé le courage d’affronter ce qu’ils devaient affronter. Je dois maintenant rentrer à la cité pour voir si je puis faire la même chose à ma petite mesure. »

Tout le monde se garda bien de lui demander ses intentions.

« Je vous accompagne, dit Pabul.

— Non, répondit sèchement Shedemei. Restez ici. Akmaro va avoir besoin de vous. Chebeya aussi. Moi pas. » Son ton excluait toute désobéissance. Elle se mit en route sans même emporter une gourde.

« Elle n’aura pas d’ennuis ? demanda Motiak. Dois-je envoyer quelques-uns de mes espions garder un œil sur elle ?

— Tout ira bien pour elle, répondit Chebeya. Je ne crois pas qu’elle ait envie de compagnie. Ni de témoins. »

Il faisait nuit lorsque la navette, volant sans bruit, passa au-dessus du Tsidorek et s’arrêta en l’air à un pas de la berge. Shedemei franchit ce pas et pénétra dans le petit appareil – enfin, petit à côté du Basilica, mais énorme comparé à n’importe quel véhicule terrien. Une fois sa passagère installée et sans qu’elle en donne l’ordre, la navette s’envola ; Surâme connaissait les consignes et elle emmena Shedemei dans un jardin qu’elle avait créé au creux d’une vallée cachée, très loin au-dessus des terres habitées de Darakemba. Surâme s’entretint avec elle pendant le trajet.

C’est toi qui as voulu que j’interfère avec la mission de Monush, il y a des années de cela ; et maintenant, tu refuses que j’intervienne sur Akma.

— Exact.

Je pourrais lui barrer la route.

— Tu n’as rien pu faire contre Nafai et Issib sur Harmonie, alors que tu disposais d’une influence maximale. Akma possède une volonté de fer ; il te résisterait. Je crois même qu’il y prendrait plaisir.

Cette situation est en train de tuer Akmaro à petit feu. Le royaume est en pièces. Tu as tout mon pouvoir au bout des doigts et tu n’en fais rien.

— Mon plan n’a plus d’importance, à présent. Il n’en a jamais eu. Nous étions aussi orgueilleuses et stupides qu’Akma lorsque nous avons essayé de provoquer la Gardienne en contrecarrant la mission de Monush. Ce que nous ne comprenions pas, c’est qu’elle nous laisse intervenir, puis qu’elle s’arrange pour contourner notre obstacle. Ce que nous faisons ne l’affecte pas. Elle veut la réussite de cette société, de la nation de Darakemba ; mais si ses habitants préfèrent ne pas l’écouter et fabriquer un monstre plutôt que de profiter de cette occasion de créer la beauté, eh bien, qu’il en soit ainsi. Elle trouvera d’autres fidèles.

Et Harmonie ? Que devient ma mission sur Terre ?

— Peut-être la Gardienne attend-elle de voir ce que vont choisir ces enfants d’Harmonie, ici et maintenant, avant d’être à même de te donner les instructions que tu es venue chercher.

Ainsi, le sort de ces gens lui importe peu, en réalité. Ils ne l’intéressent que dans la mesure où ils s’intègrent à son plan.

— Si, elle s’intéresse à eux ; mais elle voit le tableau dans son entier, tout l’empan du temps. Si, pour sauver une dizaine ou un millier ou un million de personnes, elle doit sacrifier le bonheur de milliards d’individus sur des millions d’années, elle s’y refusera. Elle raisonne à long terme.

Donc, Akmaro perd son temps.

— Je l’ignore. Comment savoir ? Nous, nous avons perdu le nôtre en essayant de lui mettre des bâtons dans les roues. Mais si Chebeya voit juste – et qui peut dire jusqu’à quel point une déchiffreuse perçoit la vérité ? – si elle voit juste, la Gardienne peut se laisser influencer, non par des révoltés, mais par ses plus fidèles amis. Akmaro lui faisait donc peut-être obstacle, comme l’a dit Chebeya, et grâce aux prières qu’il lui adresse à présent, la situation va peut-être se débloquer.

Et alors, on me dira ce que je dois faire ?

— Possible, mais pas certain. Qu’en sais-je ?

Tu pressens quelque chose, sinon tu ne m’aurais pas demandé d’envoyer la navette.

— Lorsque le temps sera venu de forcer le passage pour sortir de l’impasse, il n’est pas impossible que la Gardienne ait besoin de moi, voilà ce que je pense.

Et comment le sauras-tu ?

— Quelqu’un fera un rêve. C’est le mode d’intervention de la Gardienne. Tu capteras ce rêve, tu me le raconteras et nous le décrypterons pour savoir s’il indique ce que j’ai à faire.

C’est peut-être toi qui le feras, ce rêve.

— Je n’en ai plus fait depuis celui où je me voyais m’occuper d’un jardin dans le ciel. Il s’est réalisé il y a bien longtemps et je n’en espère pas d’autre.

Tu ne peux pas me mentir, Shedemei. Je perçois tes désirs, que tu les exprimes ou non à haute voix.

— Bon, d’accord, j’aurais plaisir à savoir que la Gardienne a quelque chose à me dire, évidemment. Je suis aussi orgueilleuse que n’importe qui.

Alors, va vite te coucher, que tu puisses rêver.

— Ça ne marcherait pas. Je ne suis pas encore fatiguée. »

Elle sortit dans l’air glacé de la nuit et fit un tour dans son jardin, remarquant par habitude la croissance des plantes, la prépondérance relative d’une espèce sur une autre, le taux de brachiation, la taille des feuillages. Surâme entra ses observations dans l’ordinateur du vaisseau sous forme de notes. Depuis longtemps, elles avaient cessé de remarquer l’ironie d’une situation qui faisait d’un programme informatique conçu pour gérer un monde tout entier le scribe personnel d’une biologiste solitaire.

Surâme interrompit ses pensées. J’ai beau chercher la Gardienne, essayer de découvrir un lieu où elle pourrait se trouver, de comprendre comment elle fait pour envoyer des rêves dans l’esprit de certains, humains, anges et fouisseurs, je n’arrive à rien.

— Tu n’étais pas déjà parvenue à la même conclusion il y a quatre cents ans ?

Si, et depuis j’attends.

— Tu as attendu quarante millions d’années sur Harmonie, et te voici soudain impatiente ?

J’étais occupée, sur Harmonie. J’étais utile.

— Tu dirigeais tout, veux-tu dire. S’il existait un projet, c’est toi qui en étais l’auteur. Et soudain, les gens se sont mis à faire des rêves qui ne venaient pas de toi. Ç’a dû vaguement t’inquiéter, non ?