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Enfin, dans le mur du fond, un guichet s'ouvrit : un surveillant passa la tête. Antoine lui jeta sa carte avec celle de son père, et demanda, d'un ton sec, à parler au directeur.

Près de cinq minutes s'écoulèrent.

Antoine, exaspéré, s'apprêtait à pénétrer plus avant dans la maison, lorsqu'un pas léger glissa dans le couloir : un jeune homme à lunettes, vêtu de flanelle havane, tout blond, tout rond, accourait vers lui, sautillant sur ses babouches, avec un visage radieux et les deux mains tendues :

— « Bonjour, docteur ! La bonne surprise ! C'est votre frère qui va être ravi ! Je vous connais bien, Monsieur le Fondateur parle souvent de son grand fils médecin ! D'ailleurs, il y a un air de famille… Si fait », fit-il en riant, « je vous assure ! Mais entrez dans mon bureau, je vous en prie. Et excusez-moi. Je suis M. Faîsme, le directeur. »

Il poussait Antoine vers le cabinet directorial, traînant les pieds et le suivant de près, les bras levés, les mains ouvertes, comme s'il eût craint qu'Antoine ne fît un faux pas et qu'il eût voulu pouvoir le rattraper au vol.

Il obligea Antoine à s'asseoir et prit place à son bureau.

— « Monsieur le Fondateur est en bonne santé ? » questionna-t-il de sa voix flûtée. « Il ne vieillit pas, il est extraordinaire ! Quel dommage qu'il n'ait pas pu vous accompagner ! »

Antoine inspectait les lieux d'un regard méfiant, et considérait sans complaisance cette figure de Chinois blond et ces lunettes d'or derrière lesquelles deux petits yeux bridés papillotaient sans cesse avec une expression joyeuse. Mal préparé à cet accueil volubile, et fort dérouté de trouver, sous l'aspect souriant d'un jeune homme en pyjama, ce directeur de bagne, qu'il imaginait sous les traits rébarbatifs d'un gendarme en civil, tout au plus d'un principal de collège, il eut besoin de faire un effort pour reprendre son aplomb.

— « Sapristi ! » s'écria soudain M. Faîsme, « mais c'est que vous arrivez juste pendant la grand-messe ! Tous nos enfants sont à la chapelle ; votre frère aussi. Comment faire ? » Il consulta sa montre. « Vingt minutes encore, une demi-heure peut-être, si les communions sont nombreuses. Et c'est possible. Monsieur le Fondateur a dû vous le dire : nous possédons la crème des aumôniers, un prêtre jeune, allant, d'une adresse incomparable ! Depuis qu'il est ici, les sentiments religieux de la Fondation sont transformés. Mais quel dommage, comment faire ? »

Antoine se leva sans aménité. Le but de son enquête restait bien présent à son esprit.

— « Puisque vos locaux sont pour l'instant inoccupés », dit-il en regardant le petit homme, « serait-il indiscret de visiter la colonie ? Je serais curieux de voir les choses de près ; j'en entends si souvent parler depuis mon enfance… »

— « Vraiment ? » fit l'autre surpris. « Rien n'est plus facile », reprit-il, mais il ne bougea pas de son siège. Il souriait, et, sans cesser de sourire, parut rêver un instant. « Oh, vous savez, la bâtisse n'a rien d'intéressant. C'est ni plus ni moins une petite caserne : et cela dit, vous la connaissez aussi bien que moi. »

Antoine restait debout.

— « Non, cela m'intéresserait », déclara-t-il. Et comme le directeur l'examinait de ses petits yeux plissés, avec une expression amusée et incrédule : « Je vous assure », insista-t-il.

— « Eh bien, docteur, très volontiers. Le temps de passer un veston, des bottines, et je suis à vous. »

Il disparut. Antoine entendit un coup de sonnette. Puis une cloche, dans la cour, tinta cinq fois. « Ah, ah », pensa-t-il, « on donne l'alarme, l'ennemi est dans la maison ! » Il ne pouvait rester assis. Il s'approcha de la croisée, mais les vitres étaient dépolies. « Du calme », se disait-il. « Ouvrir l'œil. Se faire une certitude. Agir. C'est mon affaire. »

M. Faîsme reparut enfin.

Ils descendirent.

— « Notre cour d'honneur ! » présenta pompeusement le directeur ; et il rit avec indulgence. Puis il courut au molosse qui recommençait à aboyer, et lui décocha dans le flanc un coup de pied brutal, qui fit rentrer l'animal dans sa niche.

— « Êtes-vous un peu horticulteur ? Mais si, un médecin ça se connaît en plantes, sapristi ! » Il s'arrêtait avec complaisance au milieu du jardinet. « Conseillez-moi. Comment cacher ce pan de mur ? Du lierre ? Il faudra des années… »

Antoine, sans répondre, l'entraîna vers le bâtiment central. Ils parcoururent le rez-de-chaussée. Antoine marchait devant, l'œil tendu, ouvrant d'autorité la moindre porte close ; rien ne lui échappait. Les murs étaient blanchis dans leur partie haute et badigeonnés de goudron noir jusqu'à deux mètres du sol. Toutes les fenêtres étaient, comme celle du directeur, en carreaux dépolis, et renforcées de barreaux. Antoine voulut tirer l'une d'elles ; mais il fallait une clef spéciale ; le directeur sortit l'outil de son gousset et fit jouer la croisée ; Antoine remarqua l'adresse de ses petites mains jaunes et potelées. Il plongea son regard de policier dans la cour intérieure : elle était déserte : une grande esplanade rectangulaire, en boue piétinée et séchée, sans un arbre et enclose entre de hautes murailles hérissées de tessons.

M. Faîsme, avec entrain, détaillait la destination des locaux : salles d'étude, ateliers de menuiserie, de serrurerie, d'électricité, etc. Les pièces étaient petites, proprement tenues. Dans les réfectoires, des garçons de service achevaient d'essuyer les tables de bois blanc ; une odeur aigre montait des éviers placés dans les angles.

— « Chaque pupille vient là, à la fin du repas, laver sa gamelle, son gobelet et sa cuillère. Jamais de couteaux, bien entendu, ni même de fourchettes… » Antoine le regardait sans comprendre. Il ajouta, en clignant des yeux : « Rien de pointu… »

Au premier étage, se succédaient d'autres salles d'étude, d'autres ateliers, et une installation de douches, qui ne devait pas servir souvent mais dont le directeur semblait particulièrement fier. Il allait et venait gaiement d'une pièce dans l'autre, les bras écartés, les mains en avant, et, tout en parlant, d'un geste machinal, il repoussait un établi contre le mur, ramassait un clou à terre, fermait à bloc un robinet, rangeait tout ce qui n'était pas à sa place.

Au second, s'ouvraient les dortoirs. Ils étaient de deux sortes. La plupart contenaient une dizaine de couchettes alignées sous des couvertures grises, et ils eussent, avec leurs planches à paquetages, ressemblé à de petites chambrées militaires, sans une sorte de cage de fer, munie d'un fin grillage, et qui en occupait le centre.

— « Vous en enfermez là-dedans ? » questionna Antoine.

M. Faîsme leva les bras d'une manière terrifiée et comique, puis se mit à rire.