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Cela la fit rire, et elle dit : « Oh, tu resteras en vie un certain temps ; ne le vois-tu donc pas ? Tu es stupide ! Très bien ; montre-moi ces tours d’illusion. Je sais que ce sont des artifices et je n’aurai pas peur. Je n’aurais pas davantage peur si c’était vrai, soit dit en passant. Mais commence donc. Ta précieuse peau est sauve, pour ce soir, en tout cas. »

Il s’esclaffa à ces mots, comme elle venait de le faire elle-même. Ils se renvoyaient sa vie de l’un à l’autre, en jouant comme avec une balle.

— « Que souhaitez-vous que je vous montre ? »

— « Que peux-tu me montrer ? »

— « N’importe quoi. »

— « Vantardise ! »

— « Non », fit-il, manifestement piqué au vif. « Je ne me vante pas. En tout cas, je n’en avais pas l’intention. »

— « Montre-moi quelque chose qui vaille la peine d’être vu, selon toi. N’importe quoi ! »

Il inclina la tête et contempla un moment ses mains. Rien ne se produisit. La haute chandelle dans sa lanterne brûlait d’une lueur faible et régulière. Les images noires sur les murs, les personnages aux ailes d’oiseau qui ne pouvaient voler, avec leurs yeux peints en rouge et blanc ternes, se dessinaient, menaçantes au-dessus de lui, au-dessus d’elle. Il n’y avait pas de bruit. Elle soupira, déçue et quelque peu chagrinée. Il était faible ; il parlait de grandes choses, mais ne faisait rien. Il n’était rien d’autre qu’un habile menteur, et pas même un habile voleur. « Eh bien », dit-elle enfin, rassemblant ses jupes autour d’elle pour se lever. La laisse bruissa d’étrange façon lorsqu’elle remua. Elle se regarda, et se redressa en sursaut.

La lourde robe noire qu’elle portait depuis des années avait disparu ; celle-ci était à présent en soie de couleur turquoise, brillante et douce comme le ciel du soir. Elle ballonnait à partir des hanches, et toute la jupe était brodée de minces fils d’argent et de semence de perle, et de minuscules particules de cristal, si bien qu’elle chatoyait doucement, comme la pluie en avril.

Sans voix, elle regarda le magicien. « Cela vous plaît-il ? »

— « Où… »

— « Cela ressemble à une robe que j’ai vue sur une princesse, une fois, à la Fête du Retour du Soleil, dans le Nouveau Palais de Havnor », dit-il, en la regardant avec satisfaction. « Vous m’avez demandé de vous montrer quelque chose qui en vaille la peine. C’est vous-même que je vous montre. »

— « Fais… fais disparaître cela. »

— « Vous m’avez bien donné votre manteau », dit-il, d’un ton plaisant. « Ne puis-je rien vous donner ? Mais ne vous inquiétez pas. Ce n’est qu’une illusion ; voyez. »

Il ne leva pas un doigt, à ce qu’il sembla en tout cas, et ne dit pas un mot ; mais la merveille de soie bleue avait disparu, et elle se retrouvait dans la robe noire et rêche qui était la sienne.

Elle demeura un moment immobile.

« Comment puis-je savoir », dit-elle enfin, « si vous êtes bien ce que vous semblez être ? »

— « Vous ne le pouvez pas. J’ignore comment vous me voyez. »

Elle réfléchit encore. « Vous pourriez me duper, afin que je vous voie comme… » Elle s’interrompit, car il avait levé la main vers le plafond, esquissant brièvement un geste. Elle crut qu’il jetait un sort, et recula vivement vers la porte ; mais, suivant son geste, ses yeux rencontrèrent, là-haut dans la sombre voûte, le petit carré du judas qui s’ouvrait dans le temple des Dieux Jumeaux.

Il ne laissait passer nulle lumière ; elle ne voyait rien, n’entendait rien qui indiquât une présence ; mais il avait désigné le plafond, et posé sur elle un regard interrogateur.

Tous deux demeurèrent parfaitement immobile durant un moment.

« Ta magie n’est que sottise, tout juste bonne pour des enfants ! » dit-elle distinctement. « Ce ne sont que supercheries et mensonges. J’en ai vu assez. Tu serviras de pâture aux Innommables. Je ne reviendrai pas. »

Elle prit sa lanterne et sortit, faisant retenir avec force les verrous. Puis elle resta derrière la porte, consternée. Que devait-elle faire ?

Qu’avait vu ou entendu Kossil de cette scène ? Qu’avaient-ils dit ? Elle ne pouvait s’en souvenir. Il lui semblait qu’elle ne disait jamais au prisonnier ce qu’elle avait l’intention de lui dire. Il la troublait sans cesse avec ses histoires de dragons, de tours, et cette façon de donner des noms aux Innommables, et de vouloir rester en vie, et de lui être reconnaissant pour son manteau. Jamais il ne disait ce qu’elle attendait de lui. Elle ne l’avait même pas questionné sur le talisman, qu’elle portait toujours, caché contre son sein. C’était aussi bien, puisque Kossil écoutait.

Après tout, quelle importance cela avait-il ? En quoi Kossil pouvait-elle lui nuire ? Mais, en même temps qu’elle se posait la question, elle connaissait la réponse. Rien n’est plus facile à tuer qu’un faucon en cage. L’homme était sans défense, enchaîné dans cette cage de pierre. Il suffisait à la prêtresse du Dieu-Roi d’envoyer son serviteur Duby l’étrangler cette nuit ; ou, si elle et Duby ne savaient pas comment se rendre dans cette partie du Labyrinthe, de souffler de la poudre empoisonnée par le judas dans la Chambre Peinte. Elle possédait des boîtes et des fioles de substances malignes, certaines pour empoisonner l’eau ou la nourriture, d’autres pour rendre l’air toxique. Et il serait mort au matin, et tout serait fini. Il n’y aurait jamais plus de lumière sous les Tombeaux.

Arha se hâta au long des étroits passages de pierre jusqu’à l’entrée de l’En-Dessous des Tombeaux, où l’attendait Manan, accroupi et patient comme un vieux crapaud dans le noir. Ces visites au prisonnier le mettaient mal à l’aise. Elle refusait qu’il l’accompagne jusqu’au bout, aussi s’étaient-ils mis d’accord sur ce compromis. À présent elle était heureuse qu’il fût là, à sa disposition. À lui, au moins, elle pouvait se fier.

« Manan, écoute. Tu vas aller à la Chambre Peinte, tout de suite. Dis à l’homme que tu l’emmènes pour l’enterrer vivant sous les Tombeaux. » Les petits yeux de Manan s’allumèrent. « Dis cela à haute voix. Défais la chaîne, et conduis-le à… » Elle s’interrompit, car elle n’avait pas encore décidé quelle serait la meilleure cachette pour le prisonnier.

— « Dans l’En-Dessous des Tombeaux », fit Manan avec empressement.

— « Non, idiot. Je t’ai dit de le dire, pas de le faire. Attends… »

Quel endroit était à l’abri de Kossil et des espions de Kossil ? Aucun, sinon les plus profonds des lieux souterrains, les lieux les plus sacrés et les plus cachés du domaine des Innommables, où elle-même n’osait aller. Cependant, Kossil n’était-elle pas femme à oser presque tout ? Elle pouvait avoir peur des ténèbres, mais elle était de celles qui domineraient leur peur pour arriver à leurs fins. On ne pouvait dire ce qu’elle avait vraiment appris du plan du Labyrinthe, que ce fut de Thar ou de l’Arha de la vie antérieure, ou même d’explorations clandestines qu’elle aurait effectuées au cours des années passées ; Arha la soupçonnait d’en savoir plus qu’elle ne le prétendait. Mais il était une voie qu’elle ne pouvait certainement pas connaître, le secret-le-mieux-gardé.

« Tu dois mener l’homme là où je vais te conduire, et tu dois le faire dans le noir. Puis, quand je te ramènerai ici, tu creuseras une fosse dans l’En-Dessous des Tombeaux, et fabriqueras un cercueil que tu placeras, vide, dans la fosse, que tu combleras, de manière cependant qu’on puisse la trouver si on la cherche. Comprends-tu ? »

— « Non », fit Manan, buté et chagrin. « Petite, cette supercherie n’est pas sage. Ce n’est pas bien. Il ne devrait pas y avoir d’homme ici ! Un châtiment viendra… »