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— Seigneur, demanda Turne pendant que ses hommes se mettaient en chemin, tu as vraiment des réserves de nourriture ?

— Vraiment, oui. Je viens de le dire.

— Et elles ne pourrissent pas après une nuit passée sans surveillance ?

— Bien sûr que non. Pas si on sait les conserver.

Dans le grain, il y avait peut-être des charançons. Mais ça restait mangeable. Turne semblait trouver ça impossible, comme si Perrin lui avait annoncé que ses chariots allaient s’envoler pour franchir les montagnes par voie aérienne.

— File, fit Perrin. Et n’oublie pas de dire à tes gars que c’est un camp sérieux. Pas de bagarre ni de vol. Si l’un d’entre vous sème la pagaille, vous serez tous éjectés comme des minables.

— Compris, seigneur, grogna Turne.

Puis il se hâta de rattraper ses hommes. À l’odeur, Perrin le jugeait sincère. Tam ne serait pas content de devoir surveiller un nouveau petit groupe de mercenaires, mais les Shaido rôdaient toujours dans le coin, il valait mieux ne pas l’oublier. Le gros de la meute semblait être parti vers l’est. Après que Perrin eut été obligé de lambiner, il se demandait si les guerriers du désert n’allaient pas rebrousser chemin pour se venger.

Flanqué d’une paire de gars de Deux-Rivières, il fit avancer Marcheur. Depuis la mort d’Aram, les hommes du territoire avaient – hélas – décidé d’être les anges gardiens du mari de Faile. Les deux parasites du jour se nommaient Wil al’Seen et Reed Soalen. Perrin avait essayé de dissuader ses anciens copains de le couver, mais ils s’étaient montrés têtus, et il avait des affaires bien plus urgentes à régler.

Ses étranges rêves figuraient tout au début de la liste. Se voir presque toutes les nuits dans une forge, sans être fichu d’accoucher d’une création utile…

Oublie ces horreurs, se dit-il tout en remontant la colonne, al’Seen et Soalen dans son sillage. Tu as assez de cauchemars quand tu ne dors pas. Règle ce problème d’abord.

Autour du jeune homme, une prairie s’étendait à l’infini. Hélas, l’herbe jaunissait et plusieurs bosquets fleuris étaient déjà en train de se faner. De pourrir, pour être plus exact. Les pluies printanières, cette année, tendaient des pièges de gadoue aux voyageurs.

Ramener tant de réfugiés revenait à se condamner à traîner, même sans tenir compte de la bulle maléfique et du bourbier. Dans cette aventure, tout prenait plus longtemps que prévu. Pour sortir de Malden, il avait fallu des heures…

Les bottes des soldats projetaient des gerbes de boue. Du coup, les jupes et les pantalons des réfugiés en étaient maculés. Pour ne rien arranger, l’air ambiant, très humide, puait autant que des feuillées.

Perrin atteignit le début de la colonne, où avançaient des lanciers de Mayene. Les célèbres Gardes Ailés… Le seigneur Gallenne ouvrait la marche, son casque à plumet rouge serré contre son flanc. À le voir droit comme un « i » et plus solennel qu’un chambellan, on aurait pu croire qu’il participait à une parade. Une impression trompeuse. Son œil unique, en fait, ne cessait jamais de scruter les environs.

Un bon soldat, ce type. Parmi les hommes de Perrin, on trouvait bien des combattants d’élite, mais un problème se posait en permanence : les empêcher de se sauter à la gorge les uns les autres.

— Seigneur Perrin ! cria une voix.

Celle d’Arganda, premier capitaine du Ghealdan. Fendant les lignes de Mayene, il avançait vers Perrin, perché sur un hongre géant. Ses hommes marchaient en colonne à côté des Gardes Ailés.

Depuis le retour d’Alliandre, Arganda était traité comme tous les autres officiers. Las de l’entendre se plaindre de ne jamais chevaucher en tête – contrairement à ses rivaux de Mayene –, Perrin avait ordonné que les deux forces avancent côte à côte.

— Encore un groupe de mercenaires ? demanda Arganda en faisant trotter son cheval à côté de celui de Perrin.

— Un groupuscule, répondit le jeune homme. Sans doute les anciens gardes d’un noble local.

— Des déserteurs, grogna Arganda. Tu aurais dû me faire appeler. La reine les aurait sûrement condamnés à la pendaison. N’oublie pas que nous sommes au Ghealdan, désormais.

— Ta reine est ma vassale, rappela Perrin alors qu’ils atteignaient la tête de la colonne. Sans preuves d’un crime, nous n’exécuterons personne. Quand tous les réfugiés seront de retour chez eux, tu pourras enquêter sur les mercenaires et, peut-être, en accuser certains. Jusque-là, ils resteront des hommes affamés en quête d’un panache auquel se rallier.

Arganda empestait la frustration. Après l’assaut victorieux sur Malden, Perrin avait gagné quelques semaines de répit – même chose avec Gallenne –, mais dans le bourbier, sous un ciel cauchemardesque, les vieilles dissensions reprenaient leurs droits.

— Ne t’inquiète pas, dit Perrin. Des hommes à moi surveillent les nouveaux arrivants.

Et les réfugiés, par-dessus le marché. Certains étaient si dociles qu’ils n’auraient pas fréquenté les feuillées sans qu’on le leur ait ordonné. D’autres regardaient toujours par-dessus leur épaule, comme s’ils redoutaient que des Shaido surgissent de la forêt d’une seconde à l’autre. Des gens qui puaient tellement la terreur pouvaient être un problème. Et il n’y avait pas besoin de ça pour exacerber les tensions entre les différentes factions de la colonne.

— Tu peux envoyer quelqu’un parler aux nouveaux arrivants, dit Perrin à Arganda. Parler, rien de plus. Par exemple, pour découvrir d’où ils viennent, s’ils servaient un seigneur ou s’ils peuvent nous aider à affiner les cartes.

« Affiner » était un euphémisme. Ils ne disposaient d’aucune carte fiable, et ils avaient dû demander aux lanciers du Ghealdan – Arganda compris – d’en dessiner de mémoire.

Arganda fit demi-tour et Perrin continua jusqu’à la tête de la colonne. Parfois, être le chef avait ses avantages. À l’avant, l’odeur de crasse et la puanteur de la boue étaient moins fortes. Un peu…

En première position, Perrin put enfin voir la route de Jehannah, un long et étroit serpent qui traversait les plaines des hautes terres en direction du nord-ouest.

Perdu dans ses pensées, Perrin chevaucha en silence.

Quand la route fut enfin là, il devint vite évident qu’elle était beaucoup moins boueuse que les prairies traversées jusque-là. Cela dit, comme toutes les routes du monde, elle présenterait des passages inondés et même de petits bourbiers.

Du coin de l’œil, Perrin vit que Gaul approchait. De retour d’une mission de repérage, sans doute… Un cavalier avançait derrière lui.

C’était Fennel, un des maréchaux-ferrants que le jeune homme avait envoyés en avant avec maître Gill et d’autres personnes. Le voir le rassura d’abord, mais ça ne dura pas. Où étaient ses compagnons ?

— Seigneur Perrin ! s’écria Fennel.

Gaul s’écarta pour le laisser passer. Les épaules larges, comme tous ses collègues, le maréchal-ferrant portait une hache de bûcheron attachée dans le dos. Dans son odeur, Perrin reconnut du soulagement.

— La Lumière soit louée ! J’ai cru ne jamais vous revoir ! Votre éclaireur m’a dit que la mission de sauvetage a réussi.

— C’est le cas, mon ami. Où sont les autres ?

— Ils ont continué leur chemin, seigneur. (Sur sa selle, Fennel se fendit d’une courbette.) Je suis resté en arrière pour vous attendre. Et vous expliquer.

— M’expliquer ?

— Mes compagnons se sont dirigés vers Lugard. Sur cette route.

— Quoi ? grogna Perrin. Je leur ai ordonné de marcher vers le nord.

— Seigneur, fit Fennel, l’air penaud, nous avons rencontré des voyageurs qui en venaient… Selon eux, la boue rend impraticable les voies qui mènent au nord. Pour les chariots et les charrettes, en tout cas. Maître Gill a décidé que rallier Caemlyn via Lugard serait la meilleure façon d’exécuter vos ordres. Désolé si ça vous déplaît. Il fallait que l’un de nous reste en arrière pour vous informer.