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Pas étonnant que les éclaireurs n’aient pas trouvé Gill et ses compagnons. Quand on ne suivait pas la bonne direction…

Après des semaines à patauger dans la gadoue – en devant s’arrêter quand il pleuvait trop –, Perrin ne pouvait pas blâmer Gill d’avoir changé de plan. Mais ça n’apaisait pas pour autant sa frustration…

— Combien ont-ils d’avance sur nous ?

— J’attends depuis cinq jours, seigneur.

Donc, Gill et son groupe avaient été retardés aussi. C’était au moins ça…

— Fennel, va manger un morceau… Merci de nous avoir attendus. Pour rester seul si longtemps, il t’a fallu du courage.

— Quelqu’un devait s’y coller, seigneur… (Fennel hésita.) Beaucoup de mes compagnons craignaient… eh bien, que les choses tournent mal pour vous. Puisque nous avions les charrettes, nous pensions que notre avance fondrait vite. Mais je vois que vous avez emmené la ville entière.

Les Shaido en moins, ce n’était pas loin de la vérité, malheureusement…

Perrin fit signe à Fennel de filer.

— Je l’ai trouvé sur la route il y a une heure, annonça Gaul. Près d’une colline qui abriterait très bien un camp. Un cours d’eau à son pied, un poste d’observation élevé…

Perrin acquiesça. Il allait y avoir des décisions à prendre. Attendre que Grady et Neald soient assez rétablis pour ouvrir de très larges portails ? Suivre maître Gill et sa bande ? Envoyer le gros de la colonne vers le nord et une petite partie en direction de Lugard ?

Décisions ou pas, camper pour la nuit ferait du bien à tout le monde.

Perrin se tourna vers Gaul :

— Fais passer le mot, si tu veux bien. Nous allons gagner ta colline, puis nous déciderons de la suite. Demande à quelques Promises d’explorer la route dans l’autre direction, histoire de s’assurer que personne ne nous tombera dessus par surprise.

Gaul acquiesça et partit accomplir sa mission.

Perché sur Marcheur, Perrin reprit sa réflexion. Il envisageait d’envoyer Arganda et Alliandre vers le nord-ouest – dès maintenant – en route pour Jehannah. Mais selon les Promises, des Shaido continuaient à épier l’armée du jeune homme. Ces espions étaient sûrement là pour s’assurer que Perrin n’était plus une menace, mais ils l’inquiétaient quand même. En des temps difficiles, il fallait se méfier de tout.

Pour l’instant, mieux valait garder avec lui Alliandre et ses hommes. Autant pour la sécurité de la reine que pour la sienne, au moins jusqu’à ce que Grady et Neald soient remis.

La bulle maléfique avait durement frappé les deux Asha’man. Masuri, la seule Aes Sedai affectée, avait aussi sacrément dérouillé.

Par bonheur, Grady reprenait des couleurs. Bientôt, il serait capable d’ouvrir un portail assez large pour que l’armée puisse traverser. Après, Perrin renverrait chez eux les troupes d’Alliandre et les hommes de Deux-Rivières. De son côté, il pourrait retourner auprès de Rand et faire mine de se réconcilier avec lui. La plupart des gens continueraient à penser qu’ils s’étaient séparés fâchés, mais bon…

Enfin, Perrin se débarrasserait de Berelain et de ses Gardes Ailés. Alors, tout reviendrait à la normale, comme il se devait.

La Lumière veuille que tout ça soit si facile !

Perrin secoua la tête pour chasser les couleurs tourbillonnantes et les images qui apparaissaient dans sa tête dès qu’il pensait à Rand.

Non loin de lui, Berelain et ses forces s’étaient engagées sur la route, ravies de trouver un sol moins meuble. Toujours aussi splendide, la Première Dame aux cheveux noirs portait une jolie robe verte et une ceinture incrustée de pierres précieuses. En ce jour, son décolleté était désagréablement plongeant. Pendant l’absence de Faile, Perrin s’était souvent reposé sur elle – une fois qu’elle avait eu cessé de le considérer comme un trophée à chasser puis à dépecer.

Faile de retour, la trêve avec Berelain semblait bonne pour les oubliettes. Comme toujours, Annoura chevauchait à côté de la Première Dame – mais elle ne passait plus son temps à bavarder avec elle, comme naguère.

Perrin n’avait jamais découvert pourquoi Annoura avait si souvent rencontré le Prophète. Sachant ce qui était arrivé à Masema, il y avait peu de chances qu’il l’apprenne un jour.

Le lendemain de l’assaut contre Malden, des éclaireurs avaient trouvé plusieurs cadavres. Tués par des flèches, ces gens avaient été dépouillés de leurs souliers, de leur ceinture et de tous leurs objets de valeur. Même si des corbeaux avaient dévoré tous les yeux, Perrin avait senti l’odeur de Masema planer sur ce charnier.

Le Prophète était mort, abattu par des bandits. Une fin appropriée, certes – pourtant, Perrin avait le sentiment d’avoir échoué. Rand voulait qu’il lui ramène cet homme…

Les couleurs tourbillonnèrent de nouveau.

Quoi qu’il en soit, pour Perrin, il était temps de retourner vers Rand.

Une image apparut : le Dragon debout devant un bâtiment dont la façade avait brûlé. La tête tournée vers l’ouest, il sondait le lointain.

Perrin chassa cette image de son esprit.

Après tout, il avait accompli son devoir. Il s’était occupé du Prophète et l’alliance avec Alliandre serait plus forte que jamais. Pourtant, quelque chose clochait toujours…

Il toucha le casse-tête, dans sa poche.

« Pour comprendre un objet, tu dois comprendre ses pièces. »

Avant d’entendre dans son dos les sabots du cheval de Faile, le jeune homme sentit qu’elle approchait.

— Ainsi, Gill est parti pour Lugard ? demanda-t-elle.

Perrin acquiesça.

— C’était peut-être avisé… Si on l’imitait ? Les nouveaux venus, ce sont des mercenaires ?

— Exact.

— En quelques semaines, nos rangs ont grossi de près de cinq mille hommes. Plus, peut-être. C’est étrange, dans un coin si désert.

Avec ses cheveux aile de corbeau et ses traits typiques du Saldaea – plus un nez tout aussi typique entre ses yeux inclinés –, Faile était à couper le souffle. Pour voyager, elle avait choisi une tenue rouge qui lui allait à merveille. Perrin adorait cette femme et remerciait la Lumière de la lui avoir rendue. Alors, pourquoi était-il si mal à l’aise avec elle ?

— Tu es perturbé, mon mari, fit-elle.

On eût dit qu’elle captait elle aussi les odeurs et savait les interpréter. Mais si elle comprenait Perrin à la perfection, c’était une question d’intuition féminine. Berelain aussi lisait en lui comme dans un livre ouvert.

— Nous avons emmené trop de gens, grogna-t-il. Je devrais commencer à les larguer dans la nature.

— Ils seraient capables de retrouver la colonne, mon époux.

— Comment ? Je peux donner des ordres afin que…

— Personne ne peut donner des ordres à la Trame, Perrin.

Faile jeta un coup d’œil aux réfugiés.

— Que veux-tu… ? (Perrin n’alla pas plus loin, car il venait de comprendre.) Tu penses que c’est à cause de moi ? Parce que je suis ta’veren ?

— À chaque étape, tu t’es gagné davantage de partisans. Malgré les pertes subies contre les Aiels, nous sommes sortis de Malden plus nombreux qu’avant la bataille. N’as-tu pas trouvé bizarre que tant d’anciens gai’shain suivent les cours d’escrime de Tam ?

— Ils ont été malmenés si souvent… Ils désirent sans doute que ça ne se produise plus.

— Ainsi, des tonneliers apprennent à se battre et se découvrent doués pour ça. Des maçons pacifiques qui ne se sont pas opposés aux Shaido s’entraînent au bâton de combat. Enfin, des soldats et des mercenaires nous rejoignent en masse.

— Une coïncidence.