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Se nettoyer lui fournissait un but, le forçait à bouger et l’empêchait de penser à la douleur. Très délicatement, il s’attaqua au sang séché, sur son nez et ses joues. Manquant de salive, il dut se morde la langue pour en obtenir.

Les cordons n’étaient pas en toile, mais dans un matériau plus léger. Et ils empestaient la poussière.

Galad cracha sur une partie propre, puis il continua sa tâche. La plaie à la tête, la poussière sur les joues… Des signes de victoire pour les Confesseurs ! Donc, il fallait les éliminer. Face aux tortures, il aurait un visage immaculé.

Dehors, il entendit des cris. Des hommes s’apprêtaient à démonter le camp. L’interrogatoire en serait-il retardé ? Il en doutait. Lever un camp pouvait prendre des heures…

Il continua à se nettoyer, procédant comme si c’était un rituel qui l’aidait à mieux se concentrer sur ses méditations. La migraine se calma et ses autres misères devinrent presque secondaires.

Il ne s’évaderait pas. Même s’il y était parvenu, ça aurait annulé son accord avec Asunawa. Mais il affronterait ses ennemis sans perdre sa dignité.

Alors qu’il en terminait, il entendit des voix dehors. Ils arrivaient !

Sans hâte, il alla se replacer là où il était au début. Après avoir pris une grande inspiration malgré la douleur, il se mit à genoux. Enfin, s’appuyant au pieu de fer, il se releva tant bien que mal.

D’abord vacillant, il parvint à se stabiliser. Ses souffrances n’existaient plus, désormais. À l’occasion, il avait senti des piqûres d’insectes bien plus douloureuses.

Écartant les jambes, il tendit les bras et croisa les poignets. Puis il riva les yeux sur le rabat. Ce qui faisait un homme, ce n’était pas sa cape, son uniforme, ses armoiries ou son épée, mais sa façon d’affronter la mort.

Le rabat s’ouvrit. Même si la lumière du jour lui blessa les yeux, Galad ne baissa pas les paupières. Et il ne tressaillit pas.

Sur un fond de ciel plombé, des silhouettes hésitèrent sur le seuil. Ces gens n’étaient pas qu’un peu surpris de le trouver debout.

— Par la Lumière ! s’écria l’un d’eux. Damodred, comment peux-tu être conscient ?

Une voix familière. Ça, ce n’était pas prévu au programme.

— Trom ? demanda Galad.

Des hommes entrèrent sous la tente. Plissant les yeux, Galad reconnut Trom, effectivement, ainsi que Bornhald et Byar.

Trom brandit un trousseau de clés.

— Arrêtez ça ! dit Galad. Je vous ai donné des ordres ! Bornhald, il y a du sang sur ta cape. Vous ne deviez pas tenter de me libérer.

— Tes hommes t’ont obéi, Damodred, dit une nouvelle voix.

Trois autres Fils entrèrent. Berab Golever, grand et barbu, Allabar Harnesh, le crâne rasé et l’oreille gauche manquante, et Brandel Vordarian, un Andorien blond comme les blés. Trois seigneurs capitaines qui avaient soutenu Asunawa.

— Que se passe-t-il ? demanda Galad.

Harnesh ouvrit un sac et vida sur le sol son contenu peu ragoûtant. Une tête.

Celle d’Asunawa.

Les trois capitaines dégainèrent leur lame et s’agenouillèrent devant Galad. Trom approcha et ouvrit les fers qui entravaient son chef.

— Je vois…, fit Galad. Vous avez tourné vos épées contre d’autres Fils.

— Qu’aurions-nous pu faire d’autre ? demanda Brandel, toujours à genoux.

Galad secoua la tête.

— Je n’en sais rien… Et vous avez sans doute raison : je n’ai pas le droit de critiquer votre choix. C’était peut-être le seul possible. Mais pourquoi avez-vous changé d’avis ?

— En moins de six mois, nous avons perdu deux seigneurs généraux, dit Harnesh. La Forteresse de la Lumière est devenue un terrain de jeu pour les Seanchaniens. Le monde a plongé dans le chaos.

— En outre, ajouta Golever, Asunawa nous a conduits jusqu’ici pour que nous affrontions d’autres Fils. Ce n’était pas juste, Damodred. Nous avons tous vu comment tu as fait face au danger et comment tu nous as empêchés de massacrer nos frères. Alors que le Haut Inquisiteur traitait de « Suppôt des Ténèbres » un homme que nous savions honorable, comment aurions-nous pu rester inactifs ?

Galad acquiesça.

— Vous m’acceptez comme seigneur général ?

Les trois hommes hochèrent la tête.

— Tous les seigneurs capitaines te soutiennent, annonça Golever. Nous avons dû tuer un tiers des porteurs du bâton de berger. D’autres se sont ralliés à nous et d’autres encore ont fui. Ou essayé… Les Amadiciens ne sont pas intervenus. Beaucoup affirment préférer se joindre à nous que retourner auprès des Seanchaniens. Les autres et les Confesseurs qui ont tenté de s’enfuir, nous les tenons à la pointe de l’épée.

— Laissez partir ceux qui le désirent…, dit Galad. Qu’ils retournent près de leur famille et de leurs maîtres. Le temps qu’ils aient rejoint les Seanchaniens, nous serons hors de leur portée.

Les capitaines approuvèrent du chef.

— Moi, j’accepte votre allégeance, conclut Galad. Rassemblez les autres seigneurs capitaines, et faites-moi un rapport sur nos réserves. Nous levons le camp. En route pour Andor.

Personne ne demanda si Galad avait besoin de repos. Cela dit, Trom eut l’air inquiet…

Galad accepta la tunique blanche qu’un Fils lui proposa, puis il s’assit à la hâte sur une chaise apportée par un autre Fils. Enfin, Candeiar, un expert en blessures, vint examiner celles du jeune homme.

Pour porter le titre de seigneur général, Galad ne se sentait ni assez fort ni assez sage. Mais les Fils avaient fait leur choix.

Et la Lumière les protégerait.

3

La colère de la Chaire d’Amyrlin

Egwene dérivait dans les ténèbres. Sans forme ni substance, elle n’avait bien entendu pas de corps. Les pensées, les fantaisies, les inquiétudes, les espoirs et les idées du monde entier s’étendaient à l’infini devant elle.

C’était le fameux espace entre les rêves et la réalité – une obscurité constellée de milliers et de milliers de points lumineux, chacun plus compact et brillant que les étoiles.

Certains étaient des rêves qu’elle aurait pu espionner, mais elle s’en abstint. Ceux qui l’intéressaient étaient protégés et, aux autres, elle ne comprendrait rien.

Bien entendu, elle brûlait d’envie de s’introduire dans un rêve en particulier. Mais elle s’en empêchait. Même si ses sentiments pour Gawyn restaient très forts, son opinion sur le jeune homme en avait pris un coup, ces derniers temps. Se perdre dans ses songes n’y changerait rien.

Elle sonda les ténèbres infinies. De plus en plus souvent, elle venait ici pour se laisser dériver et réfléchir. Les rêves des gens – certains issus de son monde et d’autres de variantes fantomatiques de ce même monde – lui rappelaient pourquoi elle se battait. Coûte que coûte, elle ne devait jamais oublier que la vie ne se limitait pas aux murs de la Tour Blanche. La mission d’une Aes Sedai était de servir le monde entier.

Alors qu’elle se dorait à la lueur des rêves, le temps passa. Ayant soudain envie de bouger, elle repéra un songe qu’elle connaissait – même si elle n’aurait su dire comment.

Le rêve parut se précipiter sur elle et emplir son champ de vision.

Elle y plaqua sa volonté et y envoya un message.

« Nynaeve, il faut que tu cesses de m’éviter. Il y a du pain sur la planche, et j’ai des nouvelles pour toi. Rendez-vous d’ici à deux heures dans le Hall de la Tour. Si tu ne viens pas, je devrai prendre des mesures. Tes badinages amoureux nous mettent tous en danger. »