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Egwene se rembrunit.

— Et voilà, nous en avons terminé. (Rand s’inclina à l’intention d’Egwene – l’ombre d’une courbette, presque un signe de tête.) Egwene al’Vere, Protectrice des Sceaux et Flamme de Tar Valon, ai-je l’autorisation de me retirer ?

Une demande formulée si poliment… Egwene hésita. Se payait-il sa tête, ou non ?

« Ne me force pas à faire quelque chose que je regretterai », semblait dire son expression.

Pouvait-elle l’enfermer ici ? Après ce qu’elle avait assené à Elaida sur la nécessité qu’il soit libre ?

— Je ne te laisserai pas briser les sceaux. Ce serait de la folie.

— Dans ce cas, rencontrons-nous à l’endroit appelé le champ de Merrilor, très au nord d’ici. Avant mon départ pour le mont Shayol Ghul, nous en reparlerons. Pour l’heure, je ne veux pas te défier, Egwene. Mais je dois partir.

Aucun des deux jeunes gens ne détourna le regard. Les témoins, dans la salle, osaient à peine respirer. Dans un tel silence, Egwene entendit le souffle doux de la brise qui faisait grincer la rosace installée pour boucher le trou laissé par l’attaque des Seanchaniens.

— Comme tu voudras, Rand. Mais ce n’est pas fini…

— Il n’existe pas de fin, Egwene, souffla le Dragon.

Puis il salua encore la jeune dirigeante et se marcha vers la sortie. Par la Lumière ! Il avait perdu la main gauche, s’avisa enfin Egwene. Comment était-ce arrivé ?

Les sœurs et les Champions s’écartèrent à contrecœur. Prise de tournis, Egwene porta une main à sa tête.

— Lumière ! s’écria Silviana. Mère, comment as-tu pu réfléchir pendant… ça ?

— Ça ?

Egwene balaya le Hall du regard. La plupart des représentantes étaient prostrées sur leur siège.

— Quelque chose a saisi mon cœur, dit Barasine, une main volant vers sa poitrine. Puis serré si fort que je n’osais pas parler.

— Moi, dit Yukiri, j’ai essayé. Mais ma bouche refusait de bouger.

— Un ta’veren, fit Saerin. Mais avec un effet si puissant… J’ai cru être écrasée de l’intérieur.

— Comment as-tu fait pour résister, Mère ?

Egwene plissa pensivement le front. Elle n’avait rien senti de semblable. Peut-être parce qu’elle avait pensé à « Rand »…

— Nous devons discuter de ses propos… Le Hall de la Tour se réunira de nouveau dans une heure pour mener les débats.

Cette conversation, elle, se déroulerait sous un dôme de silence.

— En attendant, que quelqu’un le suive pour savoir s’il s’en va vraiment.

— Gareth Bryne s’en charge déjà, annonça Chubain.

Encore tremblantes, les représentantes se levèrent.

— Tu as raison, Mère, dit Silviana en se penchant vers Egwene. On ne peut pas lui permettre de briser les sceaux. Mais que faire ? Si tu ne veux pas le capturer…

— Je doute que nous aurions pu le retenir… En lui, il y a quelque chose de… J’ai eu l’impression qu’il aurait pu briser le bouclier sans le moindre effort.

— Alors, comment l’arrêterons-nous ?

— Il nous faut des alliés. (Egwene inspira à fond.) Des gens en qui il a confiance pourraient le convaincre.

Sinon, il faudrait le forcer à changer de plan en lui opposant une puissante alliance.

En conséquence, il était plus vital que jamais qu’Egwene contacte Elayne et Nynaeve.

4

La Trame grince

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Perrin en essayant d’ignorer l’odeur entêtante de chair pourrie.

Il ne voyait pas l’ombre d’un cadavre. Mais à en croire son nez, le sol aurait dû en être jonché.

Avec un détachement avancé, il se tenait sur un côté de la route de Jehannah et sondait le nord à travers une plaine moutonnante très peu boisée. L’herbe était brun et jaune, comme à d’autres endroits, mais elle devenait plus sombre à mesure qu’on s’éloignait de la route, comme si une infection la frappait.

— J’ai déjà vu ça, dit Seonid.

La petite Aes Sedai au teint pâle se pencha et fit tourner entre ses doigts la feuille arrachée à une plante. Vêtue d’une robe de laine verte – bien coupée mais très simple –, elle arborait sa bague au serpent à l’exception de tout autre bijou.

Dans le lointain, le tonnerre grondait. Derrière Seonid, six Matriarches, visage impénétrable et bras croisés, scrutaient aussi le terrain. Perrin n’avait même pas envisagé d’ordonner aux Matriarches et à leurs deux Aes Sedai – des apprenties – de rester en arrière. Il devait plutôt se réjouir qu’elles l’aient autorisé à les accompagner.

— Moi aussi, déclara Nevarin. (Dans un concert de cliquetis de bracelets, elle s’agenouilla et prit la feuille que triturait Seonid.) Gamine, je suis allée dans la Flétrissure. Mon père estimait que je devais voir à quoi elle ressemblait. Ce phénomène me rappelle ce que j’ai observé là-bas.

Perrin avait également été dans la Flétrissure. L’aspect de cette pourriture noire se révélait effectivement facile à reconnaître. Piquant de la cime d’un arbre, dans le lointain, un geai rouge tenta de trouver sa pitance parmi les feuilles, mais il ne dénicha rien et reprit son envol.

Ici, et c’était le plus perturbant, les plantes semblaient pourtant en meilleure santé que tout au long du chemin. Souillées de noir, certes, mais vivantes et même vivaces.

Perrin prit la feuille que lui tendait Nevarin et la porta à ses narines. Elle empestait la pourriture.

Dans quel monde faut-il vivre pour que la Flétrissure soit la meilleure de deux possibilités ?

— Mori a fait le tour de la zone, dit Nevarin en désignant une Promise. Près du centre, c’est de plus en plus noir. Elle n’a pas pu voir ce qu’il y avait là.

Perrin tira Marcheur à l’écart de la route. Faile le suivit, pas une trace de peur dans son odeur. Les gars de Deux-Rivières, eux, hésitèrent visiblement.

— Seigneur Perrin ? lança Wil.

— Ce n’est probablement pas dangereux… Des animaux entrent et sortent de cette zone…

La Flétrissure était mortelle à cause des créatures qui la peuplaient. Si ces monstres avançaient vers le sud, il fallait absolument le découvrir.

Les Aielles suivirent sans dire un mot. Faile étant de l’aventure, Berelain lui emboîta le pas. Bien entendu, Annoura et Gallenne lui collèrent aux basques. Par bonheur, Alliandre avait consenti à rester en arrière. Pendant l’absence de Perrin, elle se chargerait du camp et des réfugiés.

Déjà rétifs, les chevaux ne s’améliorèrent pas dans cet environnement. Pour atténuer la puanteur, Perrin s’efforça de respirer par la bouche. À cause des nuages qui refusaient obstinément de laisser passer les rayons de soleil, le sol était trempé. Pour ménager les jambes des équidés, la petite expédition prit son temps.

La plus grande partie de la prairie était couverte d’herbe, de trèfle et de petites plantes. En avançant, le centre parut de plus en plus noir. Très vite, les plantes devinrent brunâtres, le vert et le jaune oubliés.

Après un moment, la colonne déboucha dans un petit val niché au milieu de trois collines. Quand Perrin tira sur les rênes de Marcheur, tous les autres s’arrêtèrent en catastrophe autour de lui. Dans le val, un étrange village de huttes se dressait. Construites dans une variété de bois inconnue – on eût dit du bambou, mais en beaucoup plus large –, ces demeures arboraient des toits de chaume conçus avec des feuilles deux fois plus grandes qu’une paume d’homme.

Pas de plantes dans ce coin, uniquement un sol sablonneux.

Perrin se laissa glisser de sa selle puis s’agenouilla et fit couler les grains entre ses doigts. Quand il regarda ses compagnons, ils semblaient plus que perplexes.

Non sans précautions, Perrin conduisit son cheval au centre exact du village. À l’endroit, très précisément, d’où se diffusait la Flétrissure – mais sans que le hameau fût touché.