Выбрать главу

Le cadavre…

Les gardes s’écartèrent, consentant à contrecœur à laisser passer les visiteurs. Après avoir descendu le couloir, ceux-ci s’engouffrèrent dans la petite salle de lecture. Une fois entré, Gawyn jeta un coup d’œil dans le couloir, et vit des Acceptées passer la tête au coin d’un corridor latéral, tout en murmurant entre elles.

Avec cet assassinat, on en était à quatre sœurs défuntes. Une catastrophe pour Egwene, qui s’efforçait d’empêcher les Ajah de se sauter à la gorge. Pourtant, elle avait ordonné à toutes les sœurs d’être vigilantes et de ne pas se déplacer seules. Ses membres y ayant vécu des années durant, l’Ajah Noir connaissait très bien la Tour Blanche. En utilisant des portails, ces traîtresses pouvaient se glisser partout et tuer à leur guise.

En tout cas, c’était l’explication officielle. Gawyn avait plus que des doutes…

Il avança dans la pièce, Sleete sur les talons.

Chubain les attendait.

— Seigneur Trakand, salua-t-il, lèvres pincées.

— Capitaine, répondit Gawyn en balayant la salle du regard.

Elle était minuscule, avec un unique bureau contre le mur du fond et un brasero présentement éteint. Dans un coin, une lampe en pied fournissait une chiche lumière, et un tapis rond, au centre du sol dallé, occupait presque tout l’espace encore disponible. Une tache sombre s’y répandait, s’infiltrant sous le bureau.

— Vous pensez vraiment trouver quelque chose qui aurait échappé aux sœurs, Trakand ? demanda Chubain en croisant les bras.

— Je ne cherche pas la même chose qu’elles…

Gawyn s’accroupit pour inspecter le tapis.

Chubain grogna puis sortit dans le couloir. Jusqu’à ce que des serviteurs viennent tout nettoyer, la Garde de la Tour surveillerait la zone. Donc, Gawyn avait quelques minutes devant lui.

Sleete approcha d’un garde qui s’était campé dans l’encadrement de la porte. Contre lui, il y avait beaucoup moins d’hostilité qu’envers Gawyn – qui ne comprenait pas pourquoi ces hommes lui en voulaient tant.

— Elle était seule ? demanda Sleete.

— Oui, répondit le garde. Elle n’aurait pas dû ignorer le conseil de la Chaire d’Amyrlin.

— Qui était-ce ?

— Kateri Nepvue, de l’Ajah Blanc. Elle portait le châle depuis vingt ans.

Gawyn continua à inspecter le tapis. Quatre sœurs, aucune du même Ajah. Deux soutenaient Egwene, une était du côté d’Elaida et la quatrième, très récemment de retour, avait opté pour la neutralité. Chacune tuée dans un niveau différent de la tour, à une heure différente.

L’œuvre de l’Ajah Noir, à n’en pas douter. Ces sœurs-là ne visaient pas des cibles spécifiques, mais simplement faciles…

Trop simple pour être ça… Dans ce cas, pourquoi ne pas se transporter de nuit dans les quartiers des sœurs et les tuer toutes dans leur sommeil ? Et pourquoi, autour des scènes de crime, aucune Aes Sedai n’avait-elle senti qu’on canalisait le saidar ?

Sleete étudia soigneusement la porte et la serrure.

Une fois autorisé par Egwene à inspecter les scènes de crime, Gawyn avait demandé s’il pouvait s’adjoindre les services du Champion. Lors de leurs précédents contacts, Sleete s’était révélé à la fois méticuleux et discret.

Gawyn continua ses recherches. Egwene était inquiète au sujet d’une chose bien précise, il en aurait mis sa main au feu. À propos de ces meurtres, elle ne jouait pas totalement franc jeu.

Le jeune homme ne trouva aucune marque sur le tapis ou sur les dalles. Pas de trace sur les meubles non plus.

Selon Egwene, les tueuses s’introduisaient via un portail. Jusque-là, Gawyn n’en avait pas trouvé le début d’une preuve. Bien entendu, il n’était pas expert en portails, et en théorie, on pouvait les faire léviter au-dessus du sol, pour qu’ils n’abîment rien. Mais pourquoi l’Ajah Noir se serait-il donné cette peine ? De plus, dans une si petite pièce, entrer sans laisser d’indice aurait tenu du miracle.

— Gawyn, approche ! lança Sleete.

Il était déjà agenouillé près de la porte.

Gawyn le rejoignit et l’imita. Sleete fit jouer plusieurs fois le pêne dans la serrure.

— Cette porte doit avoir été forcée. Tu vois l’éraflure, sur le pêne ? On peut crocheter ce genre de serrure en utilisant une aiguille. Il suffit de faire bouger le pêne puis d’actionner plusieurs fois la poignée. C’est réalisable presque sans bruit.

— Pourquoi l’Ajah Noir s’amuserait-il à forcer une porte ?

— Parce que le portail d’arrivée donnait dans le couloir. Ensuite, la tueuse a dû chercher une porte d’où filtrait de la lumière.

— Pourquoi ne pas avoir utilisé un autre portail pour entrer ?

— Canaliser le saidar aurait pu alarmer la cible…

— Bien raisonné, reconnut Gawyn.

Il regarda la flaque noire. Le bureau était orienté de telle façon que son occupante tournait le dos à la porte. Cette configuration glaça les sangs de Gawyn. Qui aurait disposé un bureau ainsi ? Une Aes Sedai qui se croyait en parfaite sécurité et qui aurait voulu s’isoler du chaos du monde extérieur. Malgré leur intelligence supérieure, les sœurs étaient parfois dotées d’un instinct de survie déficient.

Ou elles ne réfléchissaient pas comme des soldats, simplement. Parce que leurs Champions s’en chargeaient.

— Avait-elle un Champion ? demanda Gawyn.

— Non, répondit Sleete. Je l’avais croisée une fois ou deux. Pas de Champion. (Il hésita.) Aucune des victimes n’en avait.

Gawyn arqua un sourcil.

— C’est logique, fit Sleete. La coupable ne tient pas à nous alerter.

— Mais pourquoi ces meurtres au couteau ? (Les quatre sœurs avaient péri ainsi.) Les sœurs noires ne sont pas tenues de respecter les Trois Serments. Elles peuvent utiliser le Pouvoir pour tuer. C’est plus direct et plus simple.

— Avec le risque d’alerter la victime ou les sœurs les plus proches…

Encore une bonne hypothèse. Pourtant, quelque chose n’allait pas avec ces meurtres.

Ou Gawyn s’accrochait-il à des riens pour avoir l’impression d’être en mesure d’aider ? Dans un coin de son esprit, il espérait qu’Egwene, s’il lui était utile, serait moins dure avec lui. Au point, peut-être, de lui pardonner son calamiteux « sauvetage », pendant l’attaque contre la tour.

Chubain revint sur ces entrefaites.

— Votre Seigneurie a eu assez de temps, selon moi, dit-il d’un ton sec. Les domestiques sont prêts à faire le ménage.

Sale type ! pesta intérieurement Gawyn. Est-il obligé de me mépriser ainsi ? Je devrais…

Non ! Le jeune homme se força à garder son calme. Mais avant tout ça, ce n’était pas si difficile…

Pourquoi Chubain lui cherchait-il des noises ? Et comment sa mère aurait-elle géré un tel malotru ?

En général, il ne pensait pas à Morgase, parce que ça l’obligeait à se remémorer l’existence d’al’Thor. Ce criminel-là avait pu sortir de la tour comme si de rien n’était. Alors qu’elle le tenait, Egwene l’avait laissé filer.

D’accord, il était le Dragon Réincarné. Pourtant, Dragon ou pas, Gawyn rêvait de le défier et de lui transpercer le torse avec son épée.

Il te réduirait en bouillie avec le Pouvoir de l’Unique. Tu es un crétin, Gawyn Trakand.

Peut-être, mais la haine d’al’Thor continuait à le consumer.

Un des gardes arriva et désigna la porte. Chubain parut agacé que ses hommes n’aient pas vu qu’on l’avait forcée. Mais la Garde de la Tour n’était pas une force de police. Les sœurs n’en avaient pas besoin. De plus, quand il s’agissait d’enquêter, elles se révélaient les meilleures…

Gawyn vit que le capitaine avait vraiment à cœur d’interrompre cette série de meurtres. Protéger la tour et ses occupantes constituait l’essentiel de son devoir.