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Du coup, Gawyn et lui contribuaient à une cause commune. Hélas, Chubain se comportait comme s’ils avaient un contentieux personnel.

De son point de vue, nous en avons un. Lors du schisme, il a été vaincu par le camp de Bryne. Et à ses yeux, je suis un des hommes préférés du général.

Gawyn n’était pas un Champion, pourtant il avait des liens d’amitié avec la Chaire d’Amyrlin. Et il dînait avec Bryne. Comment Chubain jugeait-il ça, surtout depuis que le jeune homme s’était vu accorder le droit d’enquêter sur les meurtres ?

Par la Lumière ! Il croit que j’ai des vues sur sa position. Que je rêve d’être haut capitaine de la garde.

Quelle idée ridicule ! Gawyn aurait pu être le Premier Prince de l’Épée. Non, il aurait dû l’être, même. Chef de l’armée andorienne et protecteur de la reine… Enfin, il était le fils de Morgase Trakand, une des souveraines les plus puissantes et rayonnantes d’influence que le pays ait connues. Qu’avait-il à faire du poste de cet homme ?

Chubain voyait les choses autrement. Après l’attaque des Seanchaniens, son prestige en avait pris un coup. Normal qu’il s’inquiète pour sa position.

— Capitaine, dit Gawyn, puis-je vous parler en privé ?

Chubain eut un regard soupçonneux, puis il désigna le couloir, où les deux hommes se mirent à l’écart des domestiques nerveux qui attendaient de nettoyer le sang.

Chubain croisa les bras et dévisagea Gawyn.

— Que voulez-vous me dire, seigneur ?

Sur ce titre, le capitaine appuyait souvent avec une lourde ironie.

Du calme, songea Gawyn. Il se souvenait encore de son entrée grandiloquente et honteuse dans le camp de Bryne. Il valait mieux que ça. Hélas, vivre avec les Jeunes Gardes, dans la confusion puis la honte consécutive au drame de la tour, avait fait de lui un autre homme.

Certes, mais il ne pouvait pas continuer dans cette voie.

— Capitaine, j’apprécie que vous m’ayez laissé inspecter la pièce.

— Je n’avais guère le choix.

— J’en suis conscient. Pourtant, je vous remercie. Il est très important que la Chaire d’Amyrlin sache que je fais tout pour l’aider. Si je trouve quelque chose qui a échappé aux sœurs, ça remontera ma cote…

— Oui, c’est très possible…

— Egwene fera peut-être de moi son Champion.

Chubain sursauta.

— Son Champion ?

— Il fut un temps où j’étais sûr qu’elle me choisirait. À présent… Bref, si je peux vous aider lors de cette enquête, elle sera moins furieuse contre moi. (Gawyn posa une main sur l’épaule de l’officier.) Je n’oublierai pas que vous m’avez mis le pied à l’étrier. Vous m’appelez « seigneur », mais ce titre n’a plus aucun sens pour moi, désormais. Mon seul désir, c’est d’être le Champion d’Egwene – pour la protéger.

Chubain plissa le front. Puis il hocha la tête et se détendit.

— Je vous ai entendu parler… Vous cherchiez des traces de portail. Pourquoi ?

— Je doute que ces crimes soient l’œuvre de l’Ajah Noir. Selon moi, c’est le travail d’un Homme Gris, ou d’un tueur dans ce genre. Un Suppôt infiltré dans le personnel de la tour, par exemple. Enfin, voyez le modus operandi. Des meurtres au couteau !

Chubain acquiesça.

— Il y a aussi des indices d’affrontement… Les sœurs les ont mentionnés. Les livres tombés de la table, elles pensent qu’ils ont été renversés par la victime, alors qu’elle agonisait.

— Étrange, fit Gawyn. Si j’étais une sœur noire, j’utiliserais le Pouvoir sans craindre que quelqu’un le sente. Après tout, des femmes canalisent sans arrêt, ici. Pourquoi s’en priver ? Après avoir immobilisé ma victime avec des flux, je l’exécuterais puis je filerais avant que quelqu’un ait des soupçons. Aucun affrontement.

— Bien vu, concéda Chubain. Mais la Chaire d’Amyrlin semble sûre que l’Ajah Noir est derrière ces meurtres.

— Je lui parlerai afin de comprendre pourquoi. En attendant, vous devriez suggérer aux sœurs qui mènent l’enquête d’interroger tous les domestiques. Vous êtes d’accord ?

— Oui… Je crois que je vais le faire…

Dès qu’il se sentait moins menacé, un homme perdait beaucoup de son agressivité.

Gawyn et Chubain s’écartèrent. D’un geste, Chubain fit signe aux domestiques d’aller nettoyer la pièce. Sleete en sortit, l’air pensif. Entre le pouce et l’index, il tenait quelque chose.

— De la soie noire, dit-il. Impossible de dire si ça vient de l’assassin.

Chubain s’empara de l’indice.

— Bizarre, ça…

— Une sœur noire ne clamerait pas son allégeance en portant du noir, dit Gawyn. Un tueur plus « ordinaire », en revanche…

Chubain emballa l’indice dans son mouchoir et l’empocha.

— Je vais transmettre cette preuve à Seaine Sedai, dit-il, l’air impressionné.

Gawyn fit un signe de tête à Sleete. Ensemble, les deux hommes s’éloignèrent.

— Avec le retour de certaines sœurs et l’arrivée de nouveaux Champions, dit Sleete, la Tour Blanche grouille d’activité. Même en étant très furtive, comment une personne vêtue de noir aurait-elle pu se balader dans les niveaux supérieurs ?

— Les Hommes Gris sont doués pour ne pas attirer l’attention. Selon moi, nous avançons vers mon hypothèse. Tout de même, il est étrange que personne n’ait vu ces maudites sœurs noires. Mais bien entendu, nous sommes en pleine spéculation…

Les yeux rivés sur un trio de novices qui regardaient les gardes avec des yeux ronds, Sleete acquiesça.

Quand elles virent qu’on les avait repérées, les filles en blanc gloussèrent bêtement puis s’éparpillèrent comme une volée de moineaux.

— Egwene en sait plus long qu’elle en dit, affirma Gawyn. Je lui parlerai…

— En supposant qu’elle te reçoive…

Gawyn en grogna d’agacement.

Empruntant une série d’escaliers et de rampes, les deux hommes gagnèrent le niveau qui abritait le bureau de la Chaire d’Amyrlin. L’Aes Sedai de Sleete – une sœur verte nommée Hattori – ayant peu de missions à lui confier, le Champion faisait à peu près ce qu’il voulait.

Hattori aurait bien pris Gawyn en complément de Sleete. Avec la façon dont le traitait Egwene, le jeune homme était tenté d’accepter.

Enfin, non, pas vraiment… Même si elle lui battait froid, l’emplissant de frustration, il aimait Egwene. Abandonner Andor et la Jeune Garde pour elle n’avait pas été une décision facile. Malgré ces sacrifices, elle refusait toujours de le lier.

Dans l’antichambre du bureau, Silviana trônait derrière sa table de travail toujours impeccablement rangée. Elle étudia Gawyn, le regard impénétrable sur son masque d’Aes Sedai. Mais le jeune homme aurait parié qu’elle ne l’aimait pas.

— La Chaire d’Amyrlin rédige une lettre de la toute première importance, dit la Gardienne. Vous allez devoir attendre.

Gawyn voulut protester.

— Elle ne veut pas être dérangée… (Silviana s’intéressa de nouveau au document qu’elle consultait.) Il faut attendre.

Gawyn capitula. Voyant qu’il allait patienter, Sleete lui fit signe qu’il filait. Pourquoi l’avait-il accompagné, pour commencer ? Un drôle de type, vraiment…

Gawyn le salua de la main puis le regarda sortir dans le couloir.

L’antichambre aux riches boiseries était en réalité une grande pièce au sol couvert d’un tapis rouge foncé. D’expérience, Gawyn savait qu’aucun siège n’était confortable. Mais au moins, il y avait une fenêtre. Le jeune homme alla y respirer un peu, les coudes appuyés sur le rebord. À une hauteur pareille, l’air semblait plus mordant et plus frais.

En bas, Gawyn pouvait contempler le nouveau terrain d’exercice des Champions. L’ancien se trouvait à l’endroit où Elaida avait fait creuser les fondations de son palais délirant. Avec Egwene, personne ne savait ce qu’il adviendrait de ce projet.