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Le jeune homme ravala ses questions. Sur le Rêve, il savait peu de choses. À part qu’Egwene avait le don. En gros, c’était équivalent à celui de prédire…

— Je n’en ai pas parlé à l’ensemble des sœurs. Si elles l’apprennent, je crains que la division reparte de plus belle, pire que sous le règne d’Elaida. Tout le monde soupçonnera tout le monde.

» Les sœurs croient que des traîtresses noires se servent de portails pour venir nous tuer, et c’est déjà très grave. Au moins, ça ne les incitera pas à se retourner les unes contre les autres. De plus, Mesaana ne se doute pas que je suis au courant… Bref, voilà le secret que tu me réclamais. Nous ne traquons pas une sœur noire, mais une Rejetée.

Un sacré choc. Cela dit, apprendre que le Dragon Réincarné arpentait le monde avait été plus stupéfiant encore. Une Rejetée à la Tour Blanche, c’était bien plus plausible qu’Egwene dans la peau de la Chaire d’Amyrlin.

— On réglera le problème, assura Gawyn avec une confiance feinte.

— Des sœurs fouillent le passé des personnes présentes à la tour, annonça Egwene. D’autres guettent les propos ou les comportements suspects. Oui, nous la démasquerons. Mais je ne vois pas comment améliorer la sécurité des sœurs sans provoquer une panique dévastatrice.

— Des Champions ! insista Gawyn.

— Je vais y réfléchir… Pour l’instant, je veux te demander une faveur.

— Si c’est en mon pouvoir, elle est accordée d’avance, tu le sais.

— Vraiment ? Parfait… J’exige que tu cesses de garder ma porte la nuit.

— Quoi ? Egwene, ne me demande pas ça !

La Chaire d’Amyrlin secoua la tête.

— Tu vois ? Ta première réaction, c’est de défier mon autorité !

— En privé, quand son Aes Sedai est concernée, la contredire est le devoir d’un Champion.

Une leçon donnée par le Champion et maître d’armes Hammar…

— Mais tu n’es pas mon Champion, Gawyn !

Un argument massue.

— En outre, tu ne pourrais pas faire grand-chose pour arrêter une Rejetée. Cette bataille sera livrée par des sœurs, et j’ai mis en place des tissages de garde très subtils. Je veux que mes appartements semblent vulnérables. Si Mesaana m’attaque, je lui tendrai une embuscade.

— Dont tu serais l’appât ? Egwene, c’est de la folie !

— Non, du pur désespoir. Des femmes placées sous ma responsabilité meurent, poignardées en pleine nuit. En un temps, tu l’as dit, où nous avons besoin de chacune d’entre elles.

Pour la première fois, la lassitude apparut sous le masque – quelque chose dans le ton, plus un léger affaissement des épaules. L’air soudain épuisée, Egwene croisa les mains devant elle.

— Des sœurs collectent toutes les informations dont nous disposons sur Mesaana. Ce n’est pas une guerrière, mais une administratrice capable de planifier. Si je peux l’affronter, je la vaincrai. D’abord, il faut la trouver. Servir d’appât est un de mes plans parmi beaucoup d’autres. Tu as raison, c’est dangereux. Mais j’ai pris de grandes précautions.

— Je n’aime pas du tout ça.

— Quand ai-je demandé ton aval ? Tu devras me faire confiance.

— J’ai en toi une confiance aveugle.

— Alors, montre-la, pour une fois !

Gawyn serra les dents. Puis il s’inclina devant Egwene et sortit du bureau en s’efforçant – en vain – de ne pas claquer la porte. Du coup, Silviana lui coula un regard désapprobateur quand il passa devant elle.

Une fois dans le couloir, il prit la direction du terrain d’exercice. Tant pis pour les spectres et les mauvais souvenirs. Il avait besoin d’une longue séance d’escrime.

Egwene se radossa à son siège et lâcha un long soupir avant de fermer les yeux. Pourquoi avait-elle tant de mal à contrôler ses sentiments face à Gawyn ? Quand il était là, elle aurait juré être la pire Aes Sedai de l’histoire.

Tant d’émotions tourbillonnaient en elle, comme différents crus de vin qui se seraient mélangés. La rage face à l’entêtement de ce garçon. L’envie folle d’être dans ses bras. Le trouble devant son incapacité à faire passer l’une avant l’autre ou l’autre avant l’une…

Gawyn avait l’art de s’infiltrer dans sa peau et dans son cœur. Sa passion était enthousiasmante. Si elle le prenait pour Champion, serait-elle « contaminée » ? Exactement, comment ça fonctionnait ? Ça faisait quoi d’être liée à quelqu’un et de sentir ses émotions ?

Avec Gawyn, elle désirait avoir la connexion que les autres sœurs partageaient avec leur Champion. De plus, il était vraiment important qu’elle fréquente des gens capables de la contredire en privé. Des proches d’Egwene al’Vere, pas de la Chaire d’Amyrlin.

Mais le jeune homme n’était pas assez fiable. Un chien fou…

Egwene relut sa lettre au nouveau roi de Tear. Elle y révélait que Rand menaçait de briser les sceaux. Son plan visant à l’arrêter dépendrait du nombre de compagnons du Dragon qu’elle convaincrait. Sur Darlin Sisnera, les rapports se contredisaient. Certains le présentaient comme un des plus loyaux fidèles de Rand, et d’autres sous les traits d’un de ses plus irréductibles détracteurs.

Laissant la lettre reposer, Egwene prit quelques notes sur la meilleure façon d’aborder le Hall au sujet des « Champions obligatoires ». Même s’il extrapolait, Gawyn était loin de délirer. Mais il faudrait plutôt suggérer aux sœurs sans Champion d’en prendre un (au moins) en insistant sur les vies que ça sauverait et le soutien que ce serait contre les Ténèbres. Oui, c’était ce qu’il fallait faire…

La Chaire d’Amyrlin se servit un peu d’infusion à la menthe. Bizarrement, les feuilles pourrissaient moins facilement, ces derniers temps, et celle-là avait très bon goût.

À Gawyn, elle n’avait pas dit toute la vérité. Si elle ne le voulait plus devant sa porte, c’était aussi parce qu’elle avait du mal à dormir en le sachant si près d’elle. Un soir, elle aurait risqué de déraper… et d’aller le chercher.

Les coups de Silviana n’étaient jamais parvenus à briser sa volonté… Gawyn Trakand, lui, semblait dangereusement près de réussir.

Graendal avait anticipé l’arrivée du messager. Même ici, dans son fief le plus secret, sa venue n’avait rien d’inattendu. Aucun Élu ne pouvait se dissimuler aux yeux du Grand Seigneur.

La cachette n’était pas un palais, un riche manoir ou une antique forteresse. Il s’agissait d’une grotte dont personne n’avait rien à faire, sur une île de l’océan d’Aryth où nul ne venait jamais. Et pour cause ! À la connaissance de Graendal, il n’y avait rien d’intéressant sur ce caillou.

Bien entendu, le confort se révélait minimaliste. Six chiots de médiocre qualité entretenaient les lieux, qui se réduisaient à trois salles. L’issue étant scellée par de la roche, il fallait un portail pour entrer et sortir. Une source naturelle assurait l’alimentation en eau, les réserves de nourriture étaient abondantes et des fissures garantissaient une bonne ventilation. Sinon, l’endroit pouvait être qualifié d’obscur et de miteux.

En d’autres termes, exactement le genre de refuge où personne n’aurait cru trouver Graendal. Car son goût du luxe et sa phobie du dénuement étaient universellement connus. Cette réputation n’était pas usurpée. Mais le grand avantage d’être prévisible, c’était de pouvoir faire à loisir des choses… imprévisibles.

Hélas, rien de tout ça ne fonctionnait avec le Grand Seigneur.

Étendue sur un divan tendu de soie jaune et bleu, Graendal regardait le portail qui venait de s’ouvrir devant elle. Vêtu de noir et de rouge, le messager arborait un visage plat à la peau cuivrée. Inutile qu’il parle – sa présence suffisait.