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— Suis-moi, dit Moridin.

Il s’éloigna de la cheminée et sortit dans le couloir.

Graendal lui emboîta le pas, intriguée mais pas rassurée. Il la guida jusqu’à une autre porte et l’ouvrit.

Graendal entra derrière lui. Très étroite, la pièce était remplie de rayonnages. Dessus, l’Élue reconnut des dizaines, voire des centaines d’artefacts liés au Pouvoir.

Que les Ténèbres m’engloutissent ! Où en a-t-il trouvé autant ?

Moridin avança jusqu’au fond de la pièce et étudia les objets exposés sur une étagère.

Graendal écarquilla les yeux de stupéfaction.

— C’est une lance-choc ? demanda-t-elle en désignant une longue barre de métal. Et là, tu as trois bâtons-liens ? Et un rema’kar ? Ces pièces appartiennent à…

— Aucune importance, coupa Moridin en s’emparant d’un artefact.

— Si je pouvais seulement…

— Tu n’es pas loin de la disgrâce, Graendal, dit Moridin, menaçant.

Se retournant, il brandit une longue tige de métal argenté munie d’une tête également en métal, mais incrusté d’or.

— Je n’ai trouvé que deux exemplaires de cet objet… Le premier est utilisé très judicieusement en ce moment même. Tu te serviras du second.

— Un aiguillon des rêves ? fit Graendal, les yeux de plus en plus ronds. (Elle aurait donné cher pour en avoir un.) Et tu en détiens deux ?

Moridin tapota la tête de l’aiguillon, qui disparut de sa main.

— Tu sauras où le trouver ?

— Oui, souffla Graendal, vorace.

Un artefact très puissant et utile d’un nombre incroyable de façons…

Moridin approcha et riva ses yeux dans ceux de l’Élue.

— Graendal, fit-il, menaçant, je connais la clé de cet artefact. Tu ne devras pas l’utiliser contre moi ou un autre Élu. Sinon, le Grand Seigneur le saura. Tant que Perrin Aybara ne sera pas mort, tu auras une très faible marge de manœuvre, si tu vois ce que je veux dire…

— Je… Oui, bien entendu…

Soudain, Graendal eut l’impression de geler. Comment pouvait-elle avoir froid ici ? Et tout en continuant à transpirer ?

— Aybara peut arpenter le Monde des Rêves, avertit Moridin. Je te prêterai un autre outil : l’homme aux deux âmes. Mais il est à moi, comme l’aiguillon. Et comme toi. Tu saisis ?

Graendal acquiesça. Elle aurait été incapable de s’en empêcher. La pièce sembla devenir plus obscure. À présent, la voix de son interlocuteur ressemblait un peu à celle du Grand Seigneur.

Moridin prit entre le pouce et l’index le menton de l’Élue.

— Si tu réussis, le Grand Seigneur sera content. Très content, même. Ce qui t’a été accordé avec parcimonie jusque-là te sera libéralement distribué.

Graendal s’humecta les lèvres.

Moridin parut soudain étrangement… distant.

— Moridin ? l’interpella-t-elle, troublée.

Sans répondre, il lâcha le menton de Graendal et traversa la pièce. Sur une table, il prit un grimoire recouvert de cuir clair, l’ouvrit à une page donnée et lut en silence. Puis il fit signe à l’Élue d’approcher.

Graendal obéit prudemment. Quand elle posa les yeux sur la page, elle frissonna.

Au nom des Ténèbres !

— Quel est ce livre ? parvint-elle à demander. Et d’où viennent ces prophéties ?

— Je les connais depuis longtemps, fit Moridin sans lever les yeux du grimoire. Je suis un des seuls, même parmi les Élus. Les femmes et les hommes qui les ont énoncées ont été isolés et gardés au secret. La Lumière ne doit jamais découvrir ces mots. Nous connaissons les prédictions de l’autre camp, mais il ne faut pas qu’il soit informé des nôtres.

— Mais… (Graendal relut le passage.) Ce texte dit qu’Aybara va mourir.

— Chaque prophétie peut être interprétée de plusieurs façons. Pourtant, c’est bien ça. Cette prédiction annonce qu’Aybara périra de notre main. Tu m’apporteras la tête de ce loup, Graendal. Et quand tu l’auras fait, tout ce que tu demandes te sera accordé. (Moridin referma le livre.) Mais prends garde ! Si tu échoues, tu perdras tout ce que tu as gagné. Et même bien plus que ça.

D’un geste, Moridin créa un portail pour sa visiteuse. Avec ses maigres aptitudes pour le Vrai Pouvoir – qu’on ne lui avait pas retirées –, Graendal vit des lignes brisées déchirer l’air et ouvrir un passage dans le tissu même de la Trame.

Un passage qui la conduirait à sa grotte secrète, devina-t-elle.

Sans un mot, elle traversa. Quand on risquait d’avoir la voix qui tremble, autant ne rien dire.

6

Des intentions… malencontreuses

Ancienne reine d’Andor, Morgase Trakand faisait le service d’infusion. Sous le grand pavillon que Perrin avait récupéré à Malden, elle passait de personne en personne.

Les côtés de cette tente géante pouvaient être relevés et il n’y avait pas de sol en toile.

Malgré la taille du pavillon, on manquait de place pour tous ceux qui désiraient assister à la réunion. Perrin et Faile étaient là, bien entendu, assis sur le sol. Elyas aux yeux jaunes se tenait à côté d’eux ainsi que Tam al’Thor, le paysan très simple aux larges épaules et aux manières paisibles. Le père du Dragon Réincarné, vraiment ? Morgase avait vu Rand al’Thor une seule fois, et à l’époque, il ressemblait lui aussi à un fermier.

À côté de Tam se tenait le secrétaire desséché de Perrin, Sebban Balwer. Que savait le jeune homme du passé de ce type ?

Jur Grady était là aussi, en veste noire avec une épée d’argent miniature au col. Sur son visage tanné de paysan – et pourtant pâle après la maladie dont il avait souffert –, les yeux restaient profondément enfoncés. L’autre Asha’man, Neald, n’était pas là. Pas encore remis de ses morsures de serpent.

Les trois Aes Sedai étaient présentes. Seonid et Masuri avaient pris place près des Matriarches et Annoura à côté de Berelain. De temps en temps, elle jetait un coup d’œil aux six Aielles.

Gallenne se tenait sur l’autre flanc de la Première Dame. Alliandre et Arganda étaient placés en face.

Les deux officiers rappelaient Gareth Bryne à Morgase. Un homme qu’elle n’avait plus vu depuis longtemps, après l’avoir banni pour des raisons qu’elle ne comprenait pas elle-même. De cette époque de sa vie, elle gardait peu de souvenirs cohérents. S’était-elle vraiment amourachée d’un homme au point d’avoir exilé Aemlyn et Ellorien ?

Quoi qu’il en soit, ces temps étaient révolus. À présent, Morgase sillonnait le pavillon pour s’assurer que toutes les tasses étaient pleines.

— Votre travail a pris plus longtemps que je m’y attendais, dit Perrin.

— Tu nous as donné un devoir à accomplir, Perrin Aybara, répondit Nevarin. Et nous l’avons accompli. Il nous a fallu… eh bien, exactement le temps requis pour le faire convenablement. Tu n’insinues pas qu’il en a été autrement ?

La Matriarche aux cheveux clairs était assise devant Seonid et Masuri.

— Arrête ça, Nevarin, fit Perrin tout en déroulant sur le sol une carte dessinée par Balwer selon les instructions des soldats du Ghealdan. Je ne te soupçonne de rien. Je me demandais simplement si vous aviez eu des difficultés à incendier le village.

— Le village est en cendres, répondit Nevarin. Même chose pour toutes les plantes touchées par la Flétrissure. Une totale réussite. Vous, les gens des terres mouillées, vous auriez eu du mal à affronter un adversaire aussi mortel que la Flétrissure.

— Je crois, intervint Faile, que tu serais très surprise…

Morgase regarda Faile, qui défiait la Matriarche du regard. L’épouse de Perrin, assise comme une reine, resplendissait dans une robe d’équitation vert et violet plissée sur les côtés. Bizarrement, l’instinct du commandement de Faile était encore plus aiguisé depuis sa captivité chez les Shaido.