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Perrin se leva, ce qui surprit pas mal de gens. Allait-il sortir ? Avançant jusqu’à un flanc ouvert du pavillon, il passa la tête dehors et appela :

— Wil, viens par ici !

Un dôme de silence isolait les débats qui se tenaient sous le pavillon. Morgase distinguait les tissages de Masuri qui assuraient cette protection. Leur complexité semblait faire un pied de nez à ses chiches compétences en matière de Pouvoir.

Masuri tapotant sa tasse, Morgase se hâta de la remplir. Quand elle était nerveuse, la sœur aimait siroter une boisson chaude.

Perrin revint à sa place en compagnie d’un beau jeune homme qui portait un objet enveloppé dans du tissu.

— Déballe-le, ordonna Perrin.

L’air craintif, le jeune gars déroula l’étendard à la tête de loup.

— Je n’ai pas fabriqué cet étendard, dit Perrin, et je ne l’ai jamais voulu. Mais après avoir pris conseil, je l’ai laissé flotter au vent. En un temps où il y avait des raisons à ça. Ce temps révolu, j’ai ordonné plusieurs fois qu’on abaisse ce drapeau, mais on ne m’obéit jamais très longtemps. (Il regarda son compagnon.) Wil, fais circuler dans tout le camp. C’est un ordre, pas une recommandation. Je veux que tous les exemplaires de ce fichu étendard soient brûlés. Tu m’entends ?

— Mais…, souffla Wil, blanc comme un linge.

— Exécution ! fit Perrin. Alliandre, tu jureras allégeance à Rand dès que nous l’aurons retrouvé. Tu ne chevaucheras pas sous mon étendard, parce que je n’en aurai plus ! Je suis un forgeron, fin de l’histoire. Et je supporte depuis trop longtemps ces idioties.

— Perrin…, intervint Faile, surprise. Est-ce bien sage ?

Quel idiot ! Au minimum, il aurait dû en parler à sa femme. Mais c’était bien des hommes, ça… Ils adoraient avoir leurs petits secrets et leurs plans.

— Sage ? Je n’en sais rien. Mais c’est ce que je vais faire. File, Wil ! Ces étendards seront en cendres avant ce soir. Et pas d’entourloupe, compris ?

Wil serra les dents, pivota sur lui-même et sortit du pavillon sans lâcher un mot. On aurait juré qu’il se sentait trahi. Bizarrement, Morgase éprouvait à peu près le même sentiment. Ridicule ! C’était ce qu’elle voulait et ce que Perrin devait faire. Mais les gens avaient peur, et on ne pouvait pas les en blâmer. Le ciel, tout ce qui se passait dans le monde… À un moment pareil, on pouvait peut-être pardonner à un homme de prendre le pouvoir.

— Tu es un idiot, Perrin Aybara, dit Masuri.

De notoriété publique elle n’avait pas la langue dans sa poche.

— Fiston, dit Tam, les gars sont très attachés à cet étendard.

— Bien trop, grogna Perrin.

— Peut-être, mais il est agréable de veiller sur quelque chose. Quand tu as supprimé l’autre étendard, ils en ont pris un coup. Là, ce sera pire.

— Il faut en finir ! insista Perrin. Les gars de Deux-Rivières font une fixation sur cet étendard. Ils parlent de rester avec moi au lieu d’aller retrouver leur famille au pays. Quand nous disposerons à nouveau de portails, Tam, tu les ramèneras au bercail. (Perrin regarda Berelain.) Je ne réussirai pas à me débarrasser de tes hommes et de toi, j’imagine. Vous me suivrez jusqu’à la jonction avec Rand.

— J’ignorais que tu voulais te débarrasser de nous, fit la Première Dame, grinçante. Quand tu avais besoin de mes Gardes Ailés pour sauver ta femme, tu étais moins regardant.

Perrin prit une grande inspiration.

— J’ai apprécié votre aide – je parle pour tout le monde. À Malden, nous avons fait du bon boulot, pas seulement pour Faile et Alliandre. Ce travail, il fallait le faire ! Mais que la Lumière me brûle, c’est terminé, à présent. Si vous voulez continuer à chercher Rand, je suis sûr qu’il vous acceptera. En ce qui me concerne, mes Asha’man sont épuisés et j’ai accompli ma mission. Il reste ces espèces de crochets, en moi, qui me tirent vers Rand. Avant de le rejoindre, je dois en avoir terminé avec vous tous.

— Mon époux, dit Faile d’un ton sec, puis-je te suggérer de commencer par ceux qui veulent s’en aller ?

— Bien parlé, fit Aravine.

L’ancienne gai’shain était assise au fond de la salle. De quoi passer inaperçue, même pour une personne devenue essentielle dans l’administration du camp. Pour Perrin, elle était une sorte de bras droit officieux.

— Certains réfugiés seront heureux de rentrer chez eux.

— Je préférerais renvoyer tout le monde, si c’est possible, insista Perrin. Grady ?

L’Asha’man haussa les épaules.

— Les portails que j’ai ouverts pour les éclaireurs ne m’ont pas trop fatigué. Je pense pouvoir en ouvrir de plus grands. Bien qu’encore un peu faible, je ne suis plus malade. Neald, lui, aura besoin de plus de temps.

— Seigneur, intervint Balwer en toussotant, comme toujours. J’ai réalisé des projections… Pour faire traverser tout ce monde, il faudra des heures, voire des jours. Ce ne sera pas une formalité, comme lorsque nous approchions de Malden.

— Ça risque d’être délicat, seigneur, dit Grady. Je doute de pouvoir maintenir si longtemps un portail géant. Pas si on veut me garder assez en forme pour combattre, au cas où…

Perrin recommença à étudier la carte.

Voyant que la tasse de Berelain était vide, Morgase s’empressa d’aller la remplir.

— Dans ce cas, fit Perrin, c’est d’accord. Nous commencerons par de petits groupes de réfugiés, en sélectionnant d’abord ceux qui sont pressés de partir.

— Une autre chose, mon époux, dit Faile. Il serait temps d’envoyer des messagers au seigneur Dragon. Qui sait, il nous déléguera peut-être plus d’Asha’man.

— Bonne idée…, approuva Perrin.

— Aux dernières nouvelles, dit Seonid, il était au Cairhien. La plupart des réfugiés en viennent. On pourrait donc en renvoyer quelques-uns chez eux en même temps que les éclaireurs chargés de contacter le seigneur Dragon.

— Il n’est plus au Cairhien, lâcha Perrin.

— Comment le sais-tu ?

Edarra posa sa tasse. Morgase fit le tour du pavillon pour aller la remplir. Aînée des Matriarches et peut-être leur chef – avec ces Aielles, c’était difficile à dire –, Edarra semblait incroyablement jeune pour l’âge qu’on lui prêtait. Si faible qu’elle fût dans le Pouvoir, Morgase sentait à quel point cette femme y excellait. La plus puissante de l’assemblée, sans doute…

— Je…

Perrin parut gêné pour répondre. Avait-il une source d’information secrète ?

— Rand a le génie d’être là où on ne l’attend pas. Je doute qu’il soit toujours au Cairhien. Mais Seonid a raison : c’est là qu’il faut commencer à le chercher.

— Seigneur, fit Balwer, j’ai peur des bêtises que nous risquons de faire si nous ne sommes pas assez prudents. Des légions de réfugiés retournant chez eux via des portails, sans qu’on les attende ? Nous sommes coupés de tout depuis un bon moment. En plus de contacter le Dragon, nous devrions collecter… des informations.

— Une motion que j’approuve…, fit Perrin.

Balwer parut satisfait, pour autant qu’on pouvait le dire chez un homme si doué pour cacher ses émotions. Pourquoi tenait-il tant à envoyer des gens au Cairhien ?

— J’avoue être inquiet à l’idée de déplacer des foules, dit Grady. Même quand Neald sera rétabli, maintenir si longtemps des portails sera épuisant.

— Perrin Aybara, dit Edarra, il y a peut-être un moyen de résoudre ce problème.

— Lequel ?

— Nos apprenties ont évoqué quelque chose… Je crois que ça s’appelle un « cercle ». Si nous nous lions aux Asha’man, ça pourrait leur permettre d’ouvrir de plus grands portails.