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Grâce à Dieu, la nuit était sombre. La lune, à son dernier quartier, ne se lèverait que très tard. Vers 9 heures, autant que j'en pus juger, n'y tenant plus de soif, je me mis en devoir de descendre. Ce n'était pas facile; et de plus, arrivé à mi-chemin, j'entendis s'ouvrir la porte de derrière de la maison, et vis la lueur d'une lanterne sur le mur du moulin. Durant quelques minutes d'angoisse je restai suspendu au lierre et priai Dieu que l'individu, quel qu'il fût, ne vînt pas vers le colombier. Enfin la lumière disparut, et je me laissai tomber le plus doucement possible sur le pavé de la cour.

Je rampai à plat ventre, dissimulé derrière une digue de pierre, jusqu'au rideau d'arbres qui entourait la maison. Si j'avais su comment m'y prendre, j'aurais mis l'aéro en action, mais je compris que toute tentative de ce genre serait probablement vaine. Comme je ne doutais pas qu'il y eût une protection quelconque autour de la maison, je m'enfonçai dans le bois sur les mains et les genoux, en tâtant avec précaution chaque pouce de terrain devant moi. Je faisais sagement, car j'arrivai bientôt à un fil de fer tendu à deux pieds du sol. Si j'avais buté contre, il n'eût pas manqué de mettre en branle une sonnerie dans la maison, et j'étais pris.

Cent mètres plus loin, je trouvai un autre fil ingénieusement disposé sur la berge d'un ruisselet. Plus loin c'était la lande, et au bout de cinq minutes j'étais enfoncé dans la fougère et la bruyère. Peu après je contournais l'épaulement de la hauteur, par le petit ravin d'où coulait le ru du moulin. Dix minutes plus tard je trempais ma figure dans la source et j'absorbais des pintes de l'eau béatifique.

Mais je ne fis halte pour de bon qu'après avoir mis une douzaine de milles entre moi et cette maudite demeure.

7 Le pêcheur à la mouche

Je m'assis au sommet d'une colline et envisageai ma situation. J'étais médiocrement satisfait, car la joie résultant de mon évasion disparaissait sous un violent malaise physique. Les gaz de la cheddite m'avaient positivement empoisonné, et les heures d'insolation sur le colombier n'avaient pas amélioré les choses. J'éprouvais un mal de tête fou, et me sentais malade comme un chien. Mon épaule était mal arrangée. Au début je croyais qu'il s'agissait seulement d'une ecchymose, mais elle commençait à enfler, et je ne pouvais plus me servir de mon bras gauche.

J'avais projeté de retrouver la cabane de Mr Turnbull, afin de reprendre mes affaires, et en particulier le calepin de Scudder, après quoi je rejoindrais la grande ligne et retournerais vers le sud. Il me semblait que plus tôt je me mettrais en relations avec l'homme du Foreign Office, sir Walter Bullivant, mieux cela vaudrait. Je ne voyais pas comment je pourrais obtenir plus de preuves que je n'en avais déjà. Il accepterait mon histoire ou la rejetterait, mais de toute façon, avec lui, je serais en meilleures mains qu'avec ces diaboliques Allemands. J'éprouvais une bienveillance croissante à l'égard de la police anglaise.

Il faisait un merveilleux clair d'étoiles, et je n'eus pas grande difficulté à trouver mon chemin. La carte de sir Harry m'avait donné une idée générale du pays, et je n'eus qu'à me diriger vers l'ouest-sud-ouest pour atteindre la rivière où j'avais rencontré le cantonnier. Dans toutes ces pérégrinations j'ignorais les noms des localités, mais je crois que cette rivière n'était rien de moins que le cours supérieur de la Tweed. D'après mon calcul je devais m'en trouver à quelque dix-huit milles, ce qui m'empêcherait d'y être avant le matin. Il me fallait donc passer la journée quelque part, car je ne pouvais, mis comme je l'étais, me montrer au grand jour. Je n'avais ni veste ni gilet, ni col ni chapeau; mon pantalon était en loques, mon visage et mes mains noircis par l'explosion. Je suppose que j'avais encore d'autres agréments, car je me sentais les yeux terriblement injectés. Bref je n'étais pas un spectacle à offrir sur une grand-route à d'honnêtes citoyens.

Peu après le lever du jour, je tentai de me débarbouiller dans un torrent, puis me dirigeai vers une cabane de paysan, car j'avais besoin de nourriture. Le paysan était sorti, et sa femme restait seule, sans voisin une lieue à la ronde. C'était une honnête vieille, et courageuse d'ailleurs, car malgré l'effroi que lui inspirait ma vue, elle s'empara d'une hache, dont elle n'eût pas hésité à se servir contre un malfaiteur.

– J'ai fait une chute, lui dis-je, sans donner d'explications.

Et elle vit à mon air que j'étais très mal en point. Sans me poser de questions, cette bonne samaritaine me donna une jatte de lait additionnée d'une rasade de whisky, et m'offrit de me reposer un peu devant l'âtre de la cuisine. Elle voulut panser mon épaule, mais celle-ci me faisait tant de mal que je ne lui permis pas d'y toucher.

Je ne sais pour quoi elle me prit – un voleur repentant, peut-être; car lorsque j'allai pour lui payer le lait, et lui tendis un souverain (je n'avais pas de plus petite monnaie) elle secoua la tête et marmotta que «je ferais mieux de donner ça à ceux à qui ça revenait». Là-dessus je protestai si énergiquement qu'elle dut finir par me croire honnête: elle accepta la pièce et me donna en échange, outre un vieux chapeau de son homme, un plaid chaud et neuf. Elle me montra la manière de draper le plaid autour de mes épaules, et quand je sortis de la chaumière je représentais au naturel l'Écossais type que l'on voit sur les illustrations des poèmes de Burns. Mais en tout cas j'étais plus ou moins vêtu.

Je m'en trouvai bien, car le temps changea dans la matinée, et la pluie se mit à tomber dru. Je cherchai un abri dans le creux d'un ravin, sous un rocher où une accumulation de fougères mortes faisait une couche passable. Je m'y livrai au sommeil, et ne me réveillai qu'à la tombée de la nuit, misérablement courbaturé, lanciné par mon épaule comme par une rage de dents. Je mangeai le pain d'avoine et le fromage que la vieille m'avait donnés, et me remis en marche avant l'obscurité.

Je ne dis rien des souffrances de cette nuit passée dans l'humidité des montagnes. Faute d'étoiles pour me guider, je dus m'en tirer tant bien que mal d'après mes souvenirs de la carte. Par deux fois je perdis mon chemin, et je fis plusieurs mauvaises chutes dans des trous à tourbe. Je n'avais à parcourir qu'environ dix milles à vol d'oiseau, mais j'en fis plus près de vingt, grâce à mes erreurs. Vers la fin du trajet, je marchais les dents serrées, la tête vide et bourdonnante. Mais j'en vins à bout, et au petit jour je frappais à la porte de M. Turnbull. Le brouillard était dense et opaque, et de la cabane je ne voyais pas la grand-route.

Turnbull en personne m'ouvrit – dégrisé, et même plus que dégrisé. Il était tiré à quatre épingles dans un complet noir, antique mais bien conservé; il s'était rasé pas plus tard que le soir précédent, il portait un col de toile, et dans sa main gauche il tenait une bible de poche. Il ne me reconnut pas tout de suite.

– Qui êtes-vous, pour venir vagabonder par ici un dimanche matin? me demanda-t-il.