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– Bon Dieu! c'est l'assassin! s'écria-t-il. À moi, les amis, attrapez-le! C'est Hannay, l'auteur du crime de Portland Place.

Il me saisit par le bras, et ses compagnons m'entourèrent. Bien qu'il n'en pût résulter pour moi aucun ennui, ma mauvaise humeur me poussa à me conduire stupidement. Un policeman survint. J'aurais dû lui dire la vérité, et au cas où il ne m'eût pas cru, lui demander de me conduire à Scotland Yard, ou du moins au poste de police le plus proche. Mais sur le moment tout délai me parut insupportable, et je ne pus me contenir devant la tête de crétin que faisait Marmie. Je lui appliquai un «gauche», et eus la satisfaction de le voir s'étaler de tout son long dans le ruisseau. Il s'ensuivit une affreuse bagarre. Tous sautèrent sur moi en un instant, et le policeman me prit à revers. Je distribuai quelques bons coups, et je pense qu'en combat loyal je les aurais tous roulés; mais le policeman me ceintura par-derrière, et un autre individu en profita pour me serrer à la gorge.

En proie à une fureur noire, j'entendis le gardien de l'ordre demander de quoi il s'agissait, et Marmie déclarer entre ses dents brisées, que j'étais l'assassin Hannay.

– Oh! Assez, nom de Dieu! m'écriai-je. Faites-le taire! Quant à vous, l'agent, je vous conseille de me laisser tranquille. Scotland Yard est édifié sur mon compte, et vous attraperez un fameux savon si vous vous occupez de moi.

– Il vous faut venir avec moi, jeune homme, dit le policeman. Je vous ai vu frapper ce monsieur avec une brutalité inouïe. C'est vous d'ailleurs qui avez commencé, car il ne vous faisait rien. Je vous ai vu. Si vous ne venez pas tranquillement, je serai forcé de vous attacher.

Mon exaspération, jointe à l'idée tyrannique qu'à aucun prix je ne devais m'attarder, me donna la force d'un éléphant en rut. Je culbutai proprement le policeman, envoyai au plancher l'homme qui me tenait au collet, et détalai à toute allure dans Duke Street. J'entendis derrière moi un coup de sifflet, et une ruée de gens.

Je suis doué d'une jolie vitesse, et ce soir-là j'avais des ailes. En un clin d'œil je fus dans Pall Mall et tournai vers Saint-James's Park. J'évitai le policeman de garde aux portes du palais, plongeai dans un embarras de voitures à l'entrée du Mall, et me dirigeai vers le pont, le tout avant que mes poursuivants eussent traversé la chaussée. Dans les allées du parc, je me lançai à fond de train. Heureusement elles étaient presque désertes, et personne ne tenta de m'arrêter. Je ne voyais qu'une chose: arriver à Queen Anne's Gate.

Lorsque je pénétrai dans cette paisible artère, elle me parut vide. En face de l'hôtel de sir Walter, situé dans la partie resserrée, je vis trois ou quatre autos arrêtées. Je ralentis à quelques mètres en avant, et marchai droit à la porte. Si le majordome me refusait l'entrée, ou si même il tardait à m'ouvrir, j'étais fichu.

Il ne tarda point. J'avais à peine sonné que la porte s'ouvrit.

– Il faut que je voie sir Walter, haletai-je. Mon affaire est d'importance capitale.

Le majordome était de haute taille. Sans qu'un de ses muscles bougeât, il me tint le battant ouvert, puis le referma sur moi.

– Sir Walter est occupé, monsieur, et j'ai reçu l'ordre de n'introduire personne chez lui. Vous voudrez bien attendre.

L'hôtel était à l'ancienne mode, avec un grand vestibule où des pièces donnaient de chaque côté. Au fond se voyait un réduit, pourvu d'un téléphone et d'une couple de chaises, où le majordome m'offrit de m'asseoir.

– Écoutez, chuchotai-je. Il se passe du vilain et j'y suis mêlé. Mais sir Walter est au courant, et c'est pour lui que je travaille. Si on vient vous demander après moi, dites que vous ne m'avez pas vu.

Il fit un signe d'assentiment, et tout aussitôt un bruit de voix s'éleva au-dehors, et on sonna violemment. Le majordome fut admirable. Il ouvrit la porte, et l'air impassible comme une image attendit la question. Puis il leur en donna de sa façon. Il leur dit à qui appartenait l'hôtel, répéta les ordres reçus, et les repoussa du seuil, majestueusement. Je voyais tout de mon réduit, et m'amusais comme au théâtre.

J'attendais depuis peu de temps lorsqu'on sonna de nouveau. Le majordome ne fit pas de difficultés à introduire le nouveau visiteur.

Pendant qu'il retirait son pardessus, je vis qui c'était. On ne pouvait alors ouvrir un journal ou une revue sans rencontrer cette figure – la barbe grise taillée en bouc, les dures mâchoires de lutteur, le nez carré du bout, et les yeux bleus et perçants. C'était le Premier Lord de l'Amirauté, l'homme qui a, dit-on, reconstitué la flotte britannique.

Il passa devant mon réduit, et pénétra dans une salle en arrière du vestibule. La porte en s'ouvrant me laissa entendre un bruit de voix assourdies. Elle se referma, et je me trouvai de nouveau seul.

Durant vingt minutes, je restai là, sans savoir à quoi me résoudre. J'éprouvais encore l'absolue conviction que j'étais nécessaire, mais quand ou comment, je l'ignorais tout à fait. Je ne cessais de consulter ma montre, et lorsque les aiguilles approchèrent de 10 heures et demie, je commençai à croire que la conférence tirait à sa fin. D'ici un quart d'heure, Royer filerait sur la route de Portsmouth.

Soudain un timbre retentit, et le majordome parut. La porte de la salle du fond se rouvrit, et le Premier Lord de l'Amirauté sortit. Comme il passait devant moi, il jeta un coup d'œil dans ma direction, et pendant une seconde nous nous dévisageâmes.

Cela ne dura qu'une seconde, mais c'en fut assez pour me faire bondir le cœur. Je n'avais jamais vu le grand homme auparavant, et il ne me connaissait pas non plus. Mais au cours de cette durée infime, une lueur parut dans son regard: il me reconnaissait! Impossible de s'y méprendre. C'était un éclair, une étincelle, un rien, mais ce rien signifiait une chose, et une seule. Ce fut involontaire de sa part, et cela disparut aussitôt. Il continua son chemin. Livré à un tourbillon de folles imaginations, j'entendis la porte de la rue se refermer sur lui.

J'attrapai l'annuaire du téléphone et cherchai le numéro de son domicile. La communication me fut donnée aussitôt, et je perçus la voix d'un valet.

– Est-ce que Sa Seigneurie est chez elle? demandai-je.

– Mylord est rentré il y a une demi-heure, fit la voix. Il est déjà couché, car il est indisposé ce soir. Peut-on faire votre commission, monsieur?

Je raccrochai et me laissai tomber sur une chaise. Mon rôle dans cette affaire n'était décidément pas terminé. Nous l'échappions belle, mais j'arrivais à temps.

Il n'y avait pas un instant à perdre. Je me dirigeai vers la porte de la salle du fond, où j'entrai sans frapper. Cinq personnes installées autour d'une table ronde levèrent sur moi des yeux étonnés. Il y avait là sir Walter, et le ministre de la guerre, Drew, que je connaissais par ses photographies. Un petit homme âgé devait être Whittaker, le chef de l'amirauté, et j'identifiai le général Winstanley grâce à la longue cicatrice de son front. Le cinquième était un gros petit homme à la moustache poivre et sel et aux sourcils broussailleux, qui venait de s'arrêter au milieu d'une phrase.

Les traits de sir Walter exprimaient la surprise et l'irritation.