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– Je vous souhaite le bonsoir, dit-il gravement. Voilà une belle nuit pour courir les routes.

De la maison m'arrivait l'odeur de la tourbe qui brûle, mêlée à celle d'un rôti succulent.

– Est-ce là une auberge? lui demandai-je.

– À votre service, monsieur, répondit-il poliment. J'en suis le patron, et j'espère que vous allez y passer la nuit, car à vous dire vrai je n'ai pas eu un voyageur depuis huit jours.

Je m'installai sur le parapet du pont et bourrai une pipe. Je devinais en lui un allié.

– Vous êtes bien jeune pour un aubergiste, dis-je.

– Mon père est mort il y a un an, et j'ai repris son commerce. J'habite avec ma grand-mère. C'est un métier bien sédentaire pour un jeune homme, et ma vocation était tout autre.

– Quelle était-elle?

Il rougit fortement.

– Je voulais écrire des livres, répondit-il.

– Hé, mon ami, que pouvez-vous demander de mieux pour cela? m'écriai-je. J'ai souvent pensé qu'un aubergiste ferait le meilleur romancier du monde.

– Plus de nos jours, répliqua-t-il avec vivacité. Autrefois peut-être, quand pèlerins et trouvères couraient les routes, avec les voleurs de grand chemin et les malles-poste. Mais plus de nos jours. Il ne vient ici que des autos pleines de grosses dames qui s'arrêtent pour déjeuner, puis quelques pêcheurs au printemps, et les chasseurs en automne. Il n'y a pas grande matière à tirer de là. Ce que je voudrais, c'est voir le monde, voyager, et écrire des choses comme Kipling et Conrad. Mais jusqu'ici j'ai eu tout au plus quelques vers insérés dans le Chamber's Journal.

Je considérai l'auberge qui ressortait, dorée par le couchant, sur les collines assombries.

– J'ai pas mal roulé ma bosse par le monde, et je ne mépriserais pas un pareil ermitage. Croyez-vous donc que l'aventure se rencontre seulement sous les tropiques ou parmi les seigneurs en chemise rouge? L'aventure! Qui sait si vous n'en frôlez pas une en ce moment même?

– C'est bien ce que dit Kipling, fit-il, les yeux brillants.

Et il me cita quelques vers de la pièce: «Le roman qu'amena le train de 9 h 15.»

– Eh bien donc voici pour vous un conte véridique, m'écriai-je, et dans un mois d'ici vous pourrez en faire un roman.

Installé sur le pont, dans le doux crépuscule de mai, je lui arrangeai une histoire délicieuse. Elle était vraie dans les grandes lignes d'ailleurs, quoique j'en truquai les détails secondaires. Je prétendis être un potentat des mines de Kimberley, qui avait eu de gros ennuis avec l'I. D. B. [5] pour avoir démasqué une bande noire. Celle-ci m'avait poursuivi au-delà des mers, avait tué mon meilleur ami, et se trouvait à cette heure sur mes traces.

Je racontai fort bien l'histoire, même ce qui n'en était pas vrai. Je décrivis ma fuite vers l'Afrique allemande, à travers le Kalahari, les jours embrasés sans une goutte d'eau, les merveilleuses nuits de velours bleu. J'improvisai un attentat contre ma vie durant le voyage de retour, et je fis un chef-d'œuvre d'horreur avec l'affaire de Portland Place.

– Vous cherchiez l'aventure, m'écriai-je; eh bien! voici que vous la trouvez. Ces démons sont à ma poursuite, et la police avec eux. C'est une course que j'ai l'intention de gagner.

– Bon Dieu! souffla-t-il, respirant à peine; c'est du Ridder Haggard et du Conan Doyle tout purs.

– Vous me croyez donc? fis-je avec satisfaction.

– Bien entendu je vous crois. (Et il me tendit la main.) Je crois tout ce qui sort de l'ordinaire. Le banal seul mérite de la méfiance.

Il était bien jeune, mais il m'en donnait pour mon argent.

– Je crois les avoir dépistés provisoirement, mais je dois rester caché un couple de jours. Pouvez-vous me garder chez vous?

Dans son empressement, il me prit par le bras et m'entraîna vers la maison.

– Vous serez mieux à l'abri ici que dans un creux de mousse. Du reste je veillerai à ce que personne ne jase. Et vous me donnerez encore quelques tuyaux sur vos aventures?

En montant le perron de l'auberge j'entendis au loin le ronflement d'un moteur. À l'horizon crépusculaire se silhouettait mon ami, le monoplan.

Il me donna une chambre sur le derrière de la maison, avec une belle vue sur le plateau, et mit à ma disposition son propre cabinet de travail, où s'empilaient des éditions à bon marché de ses auteurs favoris. Je ne vis pas la grand-mère, probablement alitée. Une vieille femme du nom de Margaret m'apportait mes repas, et l'aubergiste rôdait autour de moi à toute heure. Afin d'obtenir un peu de répit, je lui donnai de la besogne. Comme il possédait une motocyclette, je l'envoyai au matin chercher le journal qui arrivait dans la soirée avec le courrier. Je lui recommandai d'ouvrir l'œil, et de remarquer toutes les têtes inconnues qu'il verrait, en surveillant spécialement les autos et avions. Puis je me plongeai de toute mon attention dans le calepin de Scudder.

Il revint à midi avec le Scotsman. La feuille ne contenait rien d'intéressant pour moi qu'un nouvel interrogatoire de Paddock et du laitier, et une redite de l'affirmation de la veille, que l'assassin avait gagné le Nord. J'y trouvai par ailleurs un long article, emprunté au Times, concernant Karolidès et les affaires balkaniques, mais où il n'était pas fait mention de voyage en Angleterre. Je me débarrassai de l'aubergiste pour l'après-midi, car l'étude du cryptogramme me passionnait de plus en plus.

Comme je l'ai dit, c'était un cryptogramme numérique, et une laborieuse série de recherches avait fini par me livrer la signification des zéros et des points. Le hic restait le mot-clef, et quand je songeais aux quelque cent mille mots qu'il avait pu employer, je me sentais prêt à y renoncer. Mais vers 3 heures il me vint une soudaine inspiration.

Le nom de Julia Czechenyi me traversa la mémoire. Scudder voyait en elle la clef de voûte de l'affaire Karolidès, et je m'avisai d'appliquer ce nom au chiffre.

Il marchait! Les cinq lettres de «Julia» me donnèrent la position des cinq voyelles. A égalait J, dixième lettre de l'alphabet, qui était représenté par X dans le chiffre. E égalait U =XXI, et ainsi de suite «Czechenyi» me donna l'ordre numérique des principales consonnes. Je notai ce résultat sur un bout de papier et m'appliquai à lire les pages de Scudder.

Au bout d'une demi-heure je lisais encore, tout pâle et tambourinant des doigts sur la table.

Je jetai un coup d'œil par la fenêtre et vis une grosse voiture de tourisme qui remontait la vallée dans la direction de l'auberge. Elle s'arrêta devant la porte, et il se fit un remue-ménage de gens qui descendent. Ils étaient deux – deux hommes en imperméable et passe-montagne.

Dix minutes plus tard l'aubergiste se glissait dans ma chambre, les yeux brillants d'animation.

– Il y a en bas deux types qui vous cherchent, me dit-il à voix basse. Je les ai laissés dans la salle à manger devant des whiskies-sodas. Ils ont demandé de vos nouvelles, et prétendu vous avoir donné rendez-vous ici. Ah! c'est qu'ils vous ont décrit joliment bien, sans oublier vos bottines ni votre chemise. Je leur ai raconté que vous étiez arrivé ici hier soir et reparti ce matin à motocyclette, et là-dessus l'un des types a juré comme un matelot.

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[5]Illicit Diamond Broking : trafic illégal de diamants, exercé en Afrique du Sud.