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La conversation, cependant, manqua d'entrain. Une ou deux fois, Kin-Fo la mit sur le compte de Lao-Shen. Il demanda au guide ce qu'était ce Taï-ping, s'il le connaissait. Le guide secoua la tête en homme qui n'est pas rassuré, et, autant que possible, il évita de répondre.

«Vient-il quelquefois dans la province? demanda Kin-Fo.

– Non, répondit le guide, mais des Taï-ping de sa bande ont plusieurs fois passé la Grande-Muraille, et il ne faisait pas bon les rencontrer! Bouddha nous garde des Taï-ping!»

A ces réponses, dont le guide ne pouvait évidemment comprendre toute l'importance qu'y attachait son interlocuteur, Craig et Fry se regardaient en fronçant le sourcil, tiraient leur montre, la consultaient, et, finalement, hochaient la tête.

«Pourquoi, dirent-ils, ne resterions-nous pas tranquillement ici en attendant le jour?

– Dans cette masure! s'écria le guide. J'aime encore mieux la rase campagne! On risque moins d'être surpris!

– Il est convenu que nous serons ce soir à la Grande- Muraille, répondit Kin-Fo. je veux y être et j'y serai.»

Ceci fut dit d'un ton qui n'admettait pas de discussion.

Soun, déjà galopé par la peur, Soun lui-même, n'osa pas protester.

Le repas terminé – il était à peu près neuf heures -, le guide se leva et donna le signal du départ.

Kin-Fo se dirigea vers sa monture. Craig et Fry allèrent alors à lui.

«Monsieur, dirent-ils, vous êtes bien décidé à vous remettre entre les mains de Lao-Shen?

– Absolument décidé, répondit Kin-Fo. Je veux avoir ma lettre à quelque prix que ce soit.

– C'est jouer très gros jeu! reprirent-ils, que d'aller au campement du Taï-ping!

– Je ne suis pas venu jusqu'ici pour reculer! répliqua Kin-Fo. Libre à vous de ne pas me suivre!»

Le guide avait allumé une petite lanterne de poche. Les deux agents s'approchèrent, et consultèrent une seconde fois leur montre.

«Il serait certainement plus prudent d'attendre à demain, dirent-ils en insistant.

– Pourquoi cela? répondit Kin-Fo, Lao-Shen sera aussi dangereux demain ou après-demain qu'il peut l'être aujourd'hui! En route!

– En route!» répétèrent Fry-Craig.

Le guide avait entendu ce bout de conversation. Plusieurs fois déjà, pendant la halte, lorsque les deux agents avaient voulu dissuader Kin-Fo d'aller plus avant, un certain mécontentement s'était révélé sur son visage. En cet instant, lorsqu'il les vit revenir à la charge, il ne put retenir un mouvement d'impatience.

Ceci n'avait point échappé à Kin-Fo, bien décidé, d'ailleurs, à ne pas reculer d'une semelle. Mais sa surprise fut extrême, lorsque, au moment où il l'aidait à remonter sur sa bête, le guide se pencha à son oreille et murmura ces mots: «Défiez-vous de ces deux hommes!»

Kin-Fo allait demander l'explication de ces paroles… Le guide lui fit signe de se taire, donna le signal du départ, et la petite troupe s'aventura dans la nuit à travers la campagne.

Un grain de défiance était-il entré dans l'esprit du client de Fry-Craig? Les paroles, absolument inattendues et inexplicables, prononcées par le guide, pouvaient-elles contrebalancer dans son esprit les deux mois de dévouement que les agents avaient mis à son service?

Non, en vérité! Et cependant, Kin-Fo se demanda pourquoi Fry-Craig lui avaient conseillé ou de remettre sa visite au campement du Taï-ping, ou d'y renoncer?

N'était-ce donc pas pour rejoindre Lao-Shen qu'ils avaient brusquement quitté Péking? L'intérêt même des deux agents de la Centenaire n'était-il pas que leur client rentrât en possession de cette absurde et compromettante lettre?

Il y avait donc là une insistance assez peu compréhensible.

Kin-Fo ne manifesta rien des sentiments qui l'agitaient. Il avait repris sa place derrière le guide. Craig-Fry le suivaient, et ils allèrent ainsi pendant deux grandes heures.

Il devait être bien près de minuit, lorsque le guide, s'arrêtant, montra dans le nord une longue ligne noire, qui se profilait vaguement sur le fond un peu plus clair du ciel. En arrière de cette ligne s'argentaient quelques sommets, déjà éclairés par les premiers rayons de la lune, que l'horizon cachait encore.

«La Grande-Muraille! dit le guide.

– Pouvons-nous la franchir ce soir même? demanda Kin-Fo.

– Oui, si vous le voulez absolument! répondit le guide.

– Je le veux!»

Les chameaux s'étaient arrêtés.

«Je vais reconnaître la passe, dit alors le guide. Demeurez et attendez-moi.»

Il s'éloigna.

En ce moment, Craig et Fry s'approchèrent de Kin-Fo.

«Monsieur?… dit Craig.

– Monsieur?» dit Fry.

Et tous deux ajoutèrent: «Avez-vous été satisfait de nos services, depuis deux mois que l'honorable William J. Bidulph nous a attachés à votre personne?

– Très satisfait!

– Plairait-il à monsieur de nous signer ce petit papier pour témoigner qu'il n'a eu qu'à se louer de nos bons et loyaux services?

– Ce papier? répondit Kin-Fo, assez surpris, à la vue d'une feuille, détachée de son carnet, que lui présentait Craig.

– Ce certificat, ajouta Fry, nous vaudra peut-être quelque compliment de notre directeur!

– Et sans doute une gratification supplémentaire, ajouta Fry.

– Voici mon dos qui pourrait servir de pupitre à monsieur, dit Craig en se courbant.

– Et l'encre nécessaire pour que monsieur puisse nous donner cette preuve de gracieuseté écrite», dit Fry.

Kin-Fo se mit à rire et signa.

«Et maintenant, demanda-t-il, pourquoi toute cette cérémonie en ce lieu et à cette heure?

– En ce lieu, répondit Fry, parce que notre intention n'est pas de vous accompagner plus loin!

– A cette heure, ajouta Craig, parce que, dans quelques minutes, il sera minuit!

– Et que vous importe l'heure?

– Monsieur, reprit Craig, l'intérêt que vous portait notre Compagnie d'assurances…

– Va finir dans quelques instants… ajouta Fry.

– Et vous pourrez vous tuer…

– Ou vous faire tuer…

– Tant qu'il vous plaira!»

Kin-Fo regardait, sans comprendre, les deux agents, qui lui parlaient du ton le plus aimable. En ce moment, la lune parut au-dessus de l'horizon, à l'orient, et lança jusqu'à eux son premier rayon.

«La lune!… s'écria Fry.

– Et aujourd'hui, 30 juin!… s'écria Craig. Elle se lève à minuit… Et votre police n'étant pas renouvelée… Vous n'êtes plus le client de la Centenaire…

– Bonsoir, monsieur Kin-Fo!… dit Craig.

– Monsieur Kin-Fo, bonsoir!» dit Fry.

Et les deux agents, tournant la tête de leur monture, disparurent bientôt, laissant leur client stupéfait.

Le pas des chameaux qui emportaient ces deux Américains, peut-être un peu trop pratiques, avait à peine cessé de se faire entendre, qu'une troupe d'hommes, conduite par le guide, se jetait sur Kin-Fo, qui tenta vainement de se défendre, sur Soun, qui essaya vainement de s'enfuir.