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— Allez ! On y va ! Mais il va nous falloir une arme… (O’Mearah lui montra le Magnum ; il commença par en voir deux puis fit la mise au point.) Bien. (Ça revenait, mais pas d’un coup, comme à la boxe quand l’un des gars se ramasse un méchant crochet dans le menton.) Tu le gardes. Je prendrai le fusil sous le tableau de bord.

Il s’ébranla vers la porte et, cette fois, fit plus que tituber, bascula, et dut se retenir au mur pour ne pas s’étaler.

— Tu crois que ça ira ?

Le doute était perceptible dans la voix d’O’Mearah.

— Parfaitement, si on le rattrape.

Ils sortirent. Leur départ ne soulagea pas Johnny autant que celui du tordu au costard bleu, mais presque.

2

Delevan et O’Mearah n’eurent même pas à discuter de la direction prise par leur gibier en sortant de chez Clements ; la radio les renseigna sitôt qu’ils la branchèrent.

— Code 19, répétait la fille sans apparemment s’en lasser, code 19, vol à main armée en cours, coups de feu tirés. Code 19, code 19. Emplacement : 395, 49e Rue Ouest, pharmacie Katz. Agresseur : grand, blond-roux, costume bleu…

Des coups de feu, retint Delevan entre les assauts plus violents que jamais de son mal de crâne. Partis de quel pistolet ? Du mien ou de celui de George ? Des deux, qui sait ? Si ce fumier a fait des morts, on est fichus. À moins de mettre la main dessus.

— Démarre, dit-il à O’Mearah qui ne se le fit pas répéter, obsédé par les mêmes pensées que son collègue et souffrant moins que lui, donc plus lucide.

Il enclencha sirène et gyrophare et se lança dans la circulation. Ça commençait à se compliquer avec la sortie des bureaux et il roulait deux roues dans le caniveau, les deux autres sur le trottoir, suscitant des envols de piétons effarés. Côté chaussée, l’aile arrière d’un poids lourd garda le rude souvenir de leur passage. Ils avaient les yeux rivés sur les éclats de verre qui miroitaient là-bas devant et les oreilles déjà pleines des stridences de l’alarme. Les passants s’étaient tous abrités sur les pas de porte ou derrière les poubelles, mais dans les étages, on semblait s’être rué aux fenêtres comme s’il s’agissait d’une série télé disposant enfin d’un budget correct ou d’un film qu’on pouvait voir sans payer.

Devant l’immeuble, la rue n’avait pas attendu d’être barrée pour se vider de toute circulation.

— Espérons qu’il y est encore, dit Delevan, et, d’un tour de clé, il libéra les deux courtes barres d’acier qui bloquaient l’étrier du fusil à pompe sous le tableau de bord. Ouais, espérons seulement que cette saloperie de putain de fumier n’a pas déjà fichu le camp.

Ce qu’ils s’acharnaient tous deux à ne pas comprendre, c’était que, quand on se retrouvait confronté au Pistolero, il valait souvent mieux lui foutre la paix.

3

Quand Roland était ressorti du drugstore, le gros flacon de Keflex avait rejoint la moitié des munitions dans la poche de veste de Jack Mort mais le 38 de Cari Delevan n’avait pas regagné son étui… car c’était rudement bon de tenir de nouveau un pistolet dans une main droite à laquelle il ne manquait aucun doigt.

Il entendit la sirène et vit la voiture qui se ruait sur lui. Eux, pensa-t-il, et il allait lever son arme quand il se rappela : c’étaient des pistoleros. Des pistoleros dans l’accomplissement de leur tâche. Il pivota sur ses talons et rentra dans la boutique de l’alchimiste.

— Pas plus loin, salopard, hurla Delevan.

Les yeux du Pistolero volèrent jusqu’au miroir convexe et s’y posèrent à l’instant où l’un de ses pairs en ce monde — celui qui avait saigné de l’oreille — se penchait avec un fusil à la fenêtre du véhicule que son coéquipier faisait piler net, dans le crissement et la fumée des roues en caoutchouc freinant sur l’étrange et lisse pierre noire de la chaussée. Il le vit faire monter d’un coup de levier une cartouche dans la chambre de l’arme.

Il se plaqua au sol.

4

Katz n’eut pas besoin de miroir pour comprendre ce qui allait se passer. Au lieu d’un cinglé, trois. Un braqueur et deux flics. Oy vay.

— Baissez-vous ! cria-t-il à son assistant et à Ralph, le vigile, en se laissant tomber sur les genoux derrière le comptoir, sans se soucier de vérifier si son conseil était suivi.

Puis il sut que c’était du moins le cas pour le préparateur puisqu’une fraction de seconde avant que Delevan ne tirât, il reçut le jeune homme sur le dos et s’affaissa sous son poids. Il alla cogner du menton contre le carrelage et se fractura la mâchoire en deux points.

La décharge de douleur qui lui jaillit dans le crâne ne noya pas complètement le coup de feu ; il l’entendit comme il entendit voler en éclats le restant de sa vitrine ainsi que l’eau de Cologne, l’after-shave, le parfum, le sirop pour la toux… bref, tout ce qui était bouteilles. Un millier d’odeurs contradictoires se mêlèrent, créant un véritable enfer olfactif, et, avant de tourner de l’œil, Katz exhorta une dernière fois Dieu à faire pourrir son père dans l’éternité pour lui avoir à l’origine attaché au pied le boulet infect de cette pharmacie.

5

Roland vit les flacons et les boîtes voler en tous sens sous la gifle des plombs. La vitre d’un présentoir se désintégra. Les montres qu’il contenait furent projetées en arrière sous forme de dense et scintillant nuage.

Ils n’avaient aucun moyen de savoir s’il restait ou non des innocents dans la boutique, songea-t-il. Et ils se sont quand même servis d’une arme à tir dispersé !

C’était impardonnable. Une bouffée de colère l’envahit qu’il réprima. C’étaient des pistoleros. Plutôt se dire que le choc entre leurs deux crânes en avait altéré le contenu que de les imaginer faisant sciemment ce qu’ils faisaient, sans nul souci de ceux qu’ils risquaient de blesser ou de tuer.

Ils s’attendaient à le voir fuir ou répondre à leur tir.

Au lieu de cela, il se redressa et rampa vers eux à quatre pattes, se lacérant mains et genoux sur les bouts de verre. La douleur fit reprendre conscience à Jack Mort, ce dont Roland fut enchanté : il allait avoir besoin de son hôte et, supportant aisément la cuisson des plaies que les tessons ouvraient dans les chairs, se fichait éperdument de leur gravité, les sachant infligées à un monstre qui les méritait cent fois plutôt qu’une.

Il atteignit le soubassement de ce qui n’offrait plus qu’une lointaine ressemblance avec une vitrine de verre blindé et se tapit derrière, juste à droite de la porte. Puis il rengaina l’arme qu’il avait — jusqu’alors et par plaisir — gardée au poing.

Il n’allait pas avoir à s’en servir.

6

— Arrête de déconner, Cari ! hurla O’Mearah.

Un gros titre du Daily News venait de s’inscrire brutalement dans sa tête :

BAVURE POLICIÈRE DANS UN DRUGSTORE DU WEST SIDE : QUATRE MORTS

Delevan l’ignora totalement et pompa une cartouche neuve dans le fusil.

— Finissons-en avec c’t’ordure.

7

Tout se passa conformément aux espoirs du Pistolero. Furieux d’avoir été sans effort bernés puis désarmés par un homme qui ne devait pas se distinguer à leurs yeux des autres moutons parqués dans les rues de cette ville apparemment infinie, et toujours groggy du choc qui les avait assommés, ils s’engouffrèrent dans la boutique avec, en tête, l’imbécile qui avait tiré à la grenaille. Ils couraient légèrement penchés en avant, tels des soldats chargeant une position ennemie, mais c’était là leur seule concession à l’idée que leur adversaire fût toujours à l’intérieur. Ils le voyaient déjà en train de s’enfuir par-derrière.