Silence de Roland.
— Tu veux que je te dise la seule chose que mon frère m’ait jamais apprise ?
— Oui.
Le Pistolero s’était penché, rivant son regard dans celui d’Eddie.
— Il m’a appris que, si l’on tuait ce qu’on aimait, on était damné.
— Je le suis déjà, répondit calmement Roland. Mais il se peut que même les damnés puissent être sauvés.
— Vas-tu nous faire tous tuer ?
Silence de Roland.
Eddie agrippa Roland par les haillons de sa chemise.
— Vas-tu la faire tuer, elle ?
— Nous mourrons tous à notre heure, dit le Pistolero. Il n’y a pas que le monde qui soit soumis au changement. (Ses yeux plongèrent dans ceux d’Eddie, leur bleu délavé presque ardoise dans cette lumière.) Mais nous atteindrons la splendeur. (Il marqua une pause.) Ce n’est pas seulement un monde qui est à conquérir, Eddie. Je ne risquerais ni ta vie ni la sienne — et je n’aurais pas permis que mourût l’enfant — s’il n’y avait eu que cela.
— De quoi tu parles ?
— De tout ce qui est, répondit le Pistolero, serein. On va y aller, Eddie. On va se battre. On va être blessés. Et à la fin, nous serons debout.
Maintenant, le silence était celui d’Eddie qui ne trouvait plus rien à dire.
Roland lui prit le bras en douceur.
— Même les damnés connaissent l’amour, dit-il.
Eddie finit par aller s’étendre aux côtés de Susannah, cette troisième carte tirée par le Pistolero pour former un nouveau brelan. Roland, lui, resta éveillé à l’écoute des voix de la nuit cependant que le vent séchait les larmes sur ses joues.
Damnation ?
Salut ?
La Tour.
Il atteindrait la Tour Sombre et, là, chanterait leurs noms. Là, il chanterait leurs noms. Tous leurs noms.
Le soleil tacha l’orient d’un rose poussiéreux, et Roland, non plus dernier pistolero mais l’un des trois derniers, s’endormit et rêva ses rêves de colère où ne se faufilait que l’apaisement de ce seul fil bleu :
Là, je chanterai tous leurs noms !
POSTFACE
Ici s’achève le deuxième des sept livres qui constitueront ce long récit que j’ai intitulé La Tour Sombre. Le troisième, Terres Perdues, narre par le détail une moitié de la quête de Roland, d’Eddie et de Susannah. Le quatrième, Magie et Cristal, parle d’un enchantement et d’une séduction mais se rapporte pour l’essentiel à la vie de Roland avant que le lecteur n’ait fait connaissance avec lui sur la piste de l’homme en noir.
Ma surprise à l’accueil favorable reçu par le premier volet de cet ouvrage — qui n’a rien à voir avec ceux pour lesquels je suis mieux connu — ne le cède qu’à ma gratitude envers ceux qui l’ont lu et aimé. C’est là, semble-t-il, ma propre Tour : ces personnages me hantent, Roland plus que tout autre. Sais-je vraiment ce qu’est cette Tour, et ce qu’en attend Roland (s’il l’atteint, car il faut vous préparer à l’éventualité bien réelle qu’il ne soit pas celui qui, en définitive, y parviendra) ? Oui… et non. Je ne sais qu’une chose : que ce récit n’a cessé de me solliciter sur une période de dix-sept ans. Ce deuxième volume, pourtant plus long, laisse à coup sûr bon nombre de questions sans réponse et loin encore dans l’avenir le point culminant de l’histoire, mais j’y sens un ouvrage plus achevé que le premier.
Et la Tour se rapproche.