La cartouche qu’il avait essayé d’emporter avec la pièce gisait sur le sable au pied de la porte.
La réponse était néanmoins satisfaisante. Le prisonnier allait pouvoir Passer la Douane. Leurs hommes du guet auraient beau le fouiller de la tête aux pieds, de la bouche au trou du cul…
… ils ne trouveraient rien.
Le Pistolero se réinstalla confortablement chez son hôte, content de lui, et inconscient — du moins pour l’heure — de ce qu’il n’avait pas encore saisi toutes les dimensions du problème.
Le 727 effectua son approche en souplesse au-dessus des salines de Long Island, abandonnant derrière lui les traînées de suie du carburant consumé. Son train d’atterrissage descendit, grondement suivi d’un choc sourd.
Le 3A, celui qui avait les yeux de deux couleurs, se redressa et Jane lui vit entre les mains — vit pour de bon — un pistolet-mitrailleur au profil compact avant de s’apercevoir qu’il s’agissait seulement de la carte de déclaration en douane et d’une de ces petites pochettes qu’utilisent les hommes pour ranger leurs papiers.
L’avion se posa sur du velours.
Parcourue d’un frisson convulsif, Jane revissa complètement le capuchon de la thermos.
— Tu peux me traiter d’andouille, glissa-t-elle à Suzy tout en bouclant le harnais maintenant qu’il était trop tard. (Elle avait informé sa collègue de ses soupçons afin qu’elle se tînt prête.) Tu en as parfaitement le droit.
— Non, dit Suzy. Tu as fait ce qu’il fallait.
— J’en ai trop fait. Du coup, je suis bonne pour te payer le resto.
— Ça, tu n’y couperas pas. Mais arrête de le regarder. Regarde-moi. Et souris, Janey.
Jane sourit. Hocha la tête. Se demanda ce qui allait se passer maintenant.
— Tu regardais ses mains, reprit Suzy, puis elle rit et Jane se joignit à elle. Moi je regardais sa chemise quand il s’est baissé pour ouvrir son sac. Il a sous les bras de quoi approvisionner tout un rayon du Woolworth’s. Sauf que ce n’est pas le genre d’article qu’on trouve en magasin, je crois.
Jane rejeta la tête en arrière et rit de nouveau, se faisant l’effet d’être une marionnette.
— Comment on s’y prend ?
Suzy était son aînée de cinq ans dans la carrière d’hôtesse et Jane — qui quelques instants auparavant avait estimé avoir la situation en main, du moins sur le mode désespéré — était à présent bien contente d’avoir Suzy près d’elle.
— Ça, ce n’est pas notre problème. Tu vas tout raconter au commandant pendant qu’on nous remorque. Il en parlera aux douanes. Ton petit copain va faire la queue comme tout le monde, sauf qu’à un moment donné des hommes vont le faire sortir du troupeau pour l’escorter jusqu’à une petite pièce. Et je crains que ce ne soit pour lui la première d’une très longue série de petites pièces.
— Seigneur !
Jane continuait de sourire, mais elle était parcourue de frissons tour à tour brûlants et glacés.
Elle enfonça le bouton qui la libérait du harnais tandis que les rétro-freins commençaient à s’essouffler, tendit la thermos à Suzy, puis se leva et alla frapper à la porte du poste de pilotage.
Pas un terroriste mais un trafiquant de drogue. Merci, mon Dieu, pour cette petite aubaine. Pourtant, en un sens, c’était affreux. Elle l’avait trouvé mignon.
Pas très mignon, mais un peu.
Dieu du ciel ! Il ne s’est toujours aperçu de rien, songea le Pistolero, rageur, dans un désespoir naissant.
Eddie s’était penché afin de prendre les papiers dont il avait besoin pour le rituel et, quand il avait relevé les yeux, la soldate le regardait, les yeux exorbités, les joues blanches comme le papier revêtant le dossier des sièges. Le tube d’argent au capuchon rouge que Roland avait d’abord pris pour une sorte de gourde lui faisait maintenant l’effet d’une arme. Elle tenait l’objet à hauteur de ses seins. Il se dit que, d’un instant à l’autre, elle allait le lancer ou en dévisser la coiffe et lui tirer dessus.
Puis il la vit se détendre et boucler son harnais bien qu’un choc sourd les eût tous avertis que la diligence du ciel s’était posée. Elle se tourna pour dire quelque chose à l’autre fille de l’armée qui s’était assise à côté d’elle et qui se mettait à présent à rire en hochant la tête. Mais si c’était là un rire franc, Roland voulait bien être un crapaud des rivières.
Il se demandait comment l’homme dans l’esprit duquel son ka de pistolero avait élu domicile pouvait être aussi bête. En partie à cause de ce qu’il se mettait dans le corps bien sûr… une des versions locales de l’herbe du diable. En partie seulement, car sans être stupide au même point que les autres, il pouvait se montrer inattentif et mou comme eux.
Ils sont ce qu’ils sont parce qu’ils vivent dans la lumière, se dit soudain le Pistolero. Cette lumière de la civilisation qu’on t’a appris à révérer par-dessus tout. Il vit dans un monde qui n’a pas changé.
Si c’était là le type de citoyens qu’engendrait un tel monde, Roland n’était pas sûr de ne pas lui préférer celui des ténèbres. « Avant que le monde n’eût changé », disaient les gens de cet univers, et ils le disaient toujours sur un ton de poignante nostalgie… Mais peut-être s’agissait-il d’une tristesse absurde, irréfléchie.
Elle a cru que je/il avait l’intention de sortir une arme quand je/il s’est penché pour prendre les papiers. Quand elle les a vus, elle s’est détendue, a fait ce que tout le monde avait fait avant que la diligence ne touche le sol. Maintenant, elle et son amie sont en train de causer et de rire, mais leur expression — et particulièrement celle de la soldate qui tient le tube de métal — dit autre chose. Elles parlent, d’accord, mais elles ne font que semblant de rire… pour la simple raison que le sujet de leur conversation, c’est moi/lui.
Le véhicule céleste roulait à présent sur ce qui avait toutes les apparences d’une longue route cimentée. Si essentiellement rivée que fût son attention sur les deux femmes, le Pistolero voyait çà et là, du coin de l’œil, d’autres diligences sur d’autres chaussées similaires. Certaines se traînaient, d’autres filaient à une vitesse incroyable — comme celle de projectiles jaillis d’un revolver ou d’un canon —, prenant leur élan pour bondir dans les airs. En dépit du tour critique pris par sa situation, une part de son être brûlait du désir de passer au premier plan et de tourner la tête pour suivre leur envol. C’étaient des machines de facture humaine, mais non moins fabuleuses que dans les histoires du Grand Plumeux qui était censé avoir vécu dans le lointain (et probablement légendaire) royaume de Garlan — peut-être même plus fabuleuses pour la simple raison que des hommes les avaient fabriquées.
La femme qui lui avait apporté le popkin décrocha son harnais (et ce, moins d’une minute après l’avoir bouclé), puis se dirigea vers une petite porte. C’est là qu’est le cocher, se dit-il, mais quand la porte s’ouvrit et que la femme entra, il s’aperçut qu’il en fallait apparemment trois pour conduire la diligence du ciel. Le bref coup d’œil qu’il put jeter sur ce qui semblait être un bon million de cadrans, de manettes et de petites lumières suffit d’ailleurs à lui faire comprendre pourquoi.
Son hôte regardait tout ça mais ne voyait rien — Cort aurait commencé par l’accabler de sarcasmes avant de l’expédier contre le mur le plus proche. L’esprit du prisonnier était entièrement requis par l’extraction du sac de sous le siège, par l’acte de retirer une veste légère du placard ménagé dans le plafond… et par la perspective du rituel auquel il allait être confronté.