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– Mais il me semble que dans votre lutte avec lui, vous n’avez pas eu à vous plaindre de la fortune.

– La fortune est une courtisane: favorable hier, elle peut me trahir demain.

– Ce qui veut dire que vous hésitez maintenant.

– Non, je n’hésite pas, Dieu m’en garde; mais serait-il juste de me laisser aller à une mort possible sans m’avoir donné au moins un peu plus que de l’espoir?»

Milady répondit par un coup d’œil qui voulait dire:

«N’est-ce que cela? parlez donc.»

Puis, accompagnant le coup d’œil de paroles explicatives.

«C’est trop juste, dit-elle tendrement.

– Oh! vous êtes un ange, dit le jeune homme.

– Ainsi, tout est convenu? dit-elle.

– Sauf ce que je vous demande, chère âme!

– Mais, lorsque je vous dis que vous pouvez vous fier à ma tendresse?

– Je n’ai pas de lendemain pour attendre.

– Silence; j’entends mon frère: il est inutile qu’il vous trouve ici.»

Elle sonna; Ketty parut.

«Sortez par cette porte, dit-elle en poussant une petit porte dérobée, et revenez à onze heures; nous achèverons cet entretien: Ketty vous introduira chez moi.»

La pauvre enfant pensa tomber à la renverse en entendant ces paroles.

«Eh bien, que faites-vous, mademoiselle, à demeurer immobile comme une statue? Allons, reconduisez le chevalier; et ce soir, à onze heures, vous avez entendu!»

«Il paraît que ses rendez-vous sont à onze heures, pensa d’Artagnan: c’est une habitude prise.»

Milady lui tendit une main qu’il baisa tendrement.

«Voyons, dit-il en se retirant et en répondant à peine aux reproches de Ketty, voyons, ne soyons pas un sot; décidément cette femme est une grande scélérate: prenons garde.»

CHAPITRE XXXVII

LE SECRET DE MILADY

D’Artagnan était sorti de l’hôtel au lieu de monter tout de suite chez Ketty, malgré les instances que lui avait faites la jeune fille, et cela pour deux raisons: la première parce que de cette façon il évitait les reproches, les récriminations, les prières; la seconde, parce qu’il n’était pas fâché de lire un peu dans sa pensée, et, s’il était possible, dans celle de cette femme.

Tout ce qu’il y avait de plus clair là-dedans, c’est que d’Artagnan aimait Milady comme un fou et qu’elle ne l’aimait pas le moins du monde. Un instant d’Artagnan comprit que ce qu’il aurait de mieux à faire serait de rentrer chez lui et d’écrire à Milady une longue lettre dans laquelle il lui avouerait que lui et de Wardes étaient jusqu’à présent absolument le même, que par conséquent il ne pouvait s’engager, sous peine de suicide, à tuer de Wardes. Mais lui aussi était éperonné d’un féroce désir de vengeance; il voulait posséder à son tour cette femme sous son propre nom; et comme cette vengeance lui paraissait avoir une certaine douceur, il ne voulait point y renoncer.

Il fit cinq ou six fois le tour de la place Royale, se retournant de dix pas en dix pas pour regarder la lumière de l’appartement de Milady, qu’on apercevait à travers les jalousies; il était évident que cette fois la jeune femme était moins pressée que la première de rentrer dans sa chambre.

Enfin la lumière disparut.

Avec cette lueur s’éteignit la dernière irrésolution dans le cœur de d’Artagnan; il se rappela les détails de la première nuit, et, le cœur bondissant, la tête en feu, il rentra dans l’hôtel et se précipita dans la chambre de Ketty.

La jeune fille, pâle comme la mort, tremblant de tous ses membres, voulut arrêter son amant; mais Milady, l’oreille au guet, avait entendu le bruit qu’avait fait d’Artagnan: elle ouvrit la porte.

«Venez», dit-elle.

Tout cela était d’une si incroyable imprudence, d’une si monstrueuse effronterie, qu’à peine si d’Artagnan pouvait croire à ce qu’il voyait et à ce qu’il entendait. Il croyait être entraîné dans quelqu’une de ces intrigues fantastiques comme on en accomplit en rêve.

Il ne s’élança pas moins vers Milady, cédant à cette attraction que l’aimant exerce sur le fer. La porte se referma derrière eux.

Ketty s’élança à son tour contre la porte.

La jalousie, la fureur, l’orgueil offensé, toutes les passions enfin qui se disputent le cœur d’une femme amoureuse la poussaient à une révélation; mais elle était perdue si elle avouait avoir donné les mains à une pareille machination; et, par-dessus tout, d’Artagnan était perdu pour elle. Cette dernière pensée d’amour lui conseilla encore ce dernier sacrifice.

D’Artagnan, de son côté, était arrivé au comble de tous ses vœux: ce n’était plus un rival qu’on aimait en lui, c’était lui-même qu’on avait l’air d’aimer. Une voix secrète lui disait bien au fond du cœur qu’il n’était qu’un instrument de vengeance que l’on caressait en attendant qu’il donnât la mort, mais l’orgueil, mais l’amour-propre, mais la folie faisaient taire cette voix, étouffaient ce murmure. Puis notre Gascon, avec la dose de confiance que nous lui connaissons, se comparait à de Wardes et se demandait pourquoi, au bout du compte, on ne l’aimerait pas, lui aussi, pour lui-même.

Il s’abandonna donc tout entier aux sensations du moment. Milady ne fut plus pour lui cette femme aux intentions fatales qui l’avait un instant épouvanté, ce fut une maîtresse ardente et passionnée s’abandonnant tout entière à un amour qu’elle semblait éprouver elle-même. Deux heures à peu près s’écoulèrent ainsi.

Cependant les transports des deux amants se calmèrent; Milady, qui n’avait point les mêmes motifs que d’Artagnan pour oublier, revint la première à la réalité et demanda au jeune homme si les mesures qui devaient amener le lendemain entre lui et de Wardes une rencontre étaient bien arrêtées d’avance dans son esprit.

Mais d’Artagnan, dont les idées avaient pris un tout autre cours, s’oublia comme un sot et répondit galamment qu’il était bien tard pour s’occuper de duels à coups d’épée.

Cette froideur pour les seuls intérêts qui l’occupassent effraya Milady, dont les questions devinrent plus pressantes.

Alors d’Artagnan, qui n’avait jamais sérieusement pensé à ce duel impossible, voulut détourner la conversation, mais il n’était plus de force.

Milady le contint dans les limites qu’elle avait tracées d’avance avec son esprit irrésistible et sa volonté de fer.

D’Artagnan se crut fort spirituel en conseillant à Milady de renoncer, en pardonnant à de Wardes, aux projets furieux qu’elle avait formés.

Mais aux premiers mots qu’il dit, la jeune femme tressaillit et s’éloigna.

«Auriez-vous peur, cher d’Artagnan? dit-elle d’une voix aiguë et railleuse qui résonna étrangement dans l’obscurité.

– Vous ne le pensez pas, chère âme! répondit d’Artagnan; mais enfin, si ce pauvre comte de Wardes était moins coupable que vous ne le pensez?

– En tout cas dit gravement Milady, il m’a trompée, et du moment où il m’a trompée il a mérité la mort.

– Il mourra donc, puisque vous le condamnez!» dit d’Artagnan d’un ton si ferme, qu’il parut à Milady l’expression d’un dévouement à toute épreuve.

Aussitôt elle se rapprocha de lui.

Nous ne pourrions dire le temps que dura la nuit pour Milady; mais d’Artagnan croyait être près d’elle depuis deux heures à peine lorsque le jour parut aux fentes des jalousies et bientôt envahit la chambre de sa lueur blafarde.

Alors Milady, voyant que d’Artagnan allait la quitter, lui rappela la promesse qu’il lui avait faite de la venger de de Wardes.

«Je suis tout prêt, dit d’Artagnan, mais auparavant je voudrais être certain d’une chose.

– De laquelle? demanda Milady.

– C’est que vous m’aimez.

– Je vous en ai donné la preuve, ce me semble.

– Oui, aussi je suis à vous corps et âme.

– Merci, mon brave amant! mais de même que je vous ai prouvé mon amour, vous me prouverez le vôtre à votre tour, n’est-ce pas?

– Certainement. Mais si vous m’aimez comme vous me le dites, reprit d’Artagnan, ne craignez-vous pas un peu pour moi?