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Il en résulte que le véritable enjeu de cette partie, que les deux plus puissants royaumes jouaient pour le bon plaisir de deux hommes amoureux, était un simple regard d’Anne d’Autriche.

Le premier avantage avait été au duc de Buckingham: arrivé inopinément en vue de l’île de Ré avec quatre-vingt-dix vaisseaux et vingt mille hommes à peu près, il avait surpris le comte de Toiras, qui commandait pour le roi dans l’île; il avait, après un combat sanglant, opéré son débarquement.

Relatons en passant que dans ce combat avait péri le baron de Chantal; le baron de Chantal laissait orpheline une petite fille de dix-huit mois.

Cette petite fille fut depuis Mme de Sévigné.

Le comte de Toiras se retira dans la citadelle Saint-Martin avec la garnison, et jeta une centaine d’hommes dans un petit fort qu’on appelait le fort de La Prée.

Cet événement avait hâté les résolutions du cardinal; et en attendant que le roi et lui pussent aller prendre le commandement du siège de La Rochelle, qui était résolu, il avait fait partir Monsieur pour diriger les premières opérations, et avait fait filer vers le théâtre de la guerre toutes les troupes dont il avait pu disposer.

C’était de ce détachement envoyé en avant-garde que faisait partie notre ami d’Artagnan.

Le roi, comme nous l’avons dit, devait suivre, aussitôt son lit de justice tenu, mais en se levant de ce lit de justice, le 28 juin, il s’était senti pris par la fièvre; il n’en avait pas moins voulu partir, mais, son état empirant, il avait été forcé de s’arrêter à Villeroi.

Or, où s’arrêtait le roi s’arrêtaient les mousquetaires; il en résultait que d’Artagnan, qui était purement et simplement dans les gardes, se trouvait séparé, momentanément du moins, de ses bons amis Athos, Porthos et Aramis; cette séparation, qui n’était pour lui qu’une contrariété, fût certes devenue une inquiétude sérieuse s’il eût pu deviner de quels dangers inconnus il était entouré.

Il n’en arriva pas moins sans accident au camp établi devant La Rochelle, vers le 10 du mois de septembre de l’année 1627.

Tout était dans le même état: le duc de Buckingham et ses Anglais, maîtres de l’île de Ré, continuaient d’assiéger mais sans succès, la citadelle de Saint-Martin et le fort de La Prée, et les hostilités avec La Rochelle étaient commencées depuis deux ou trois jours à propos d’un fort que le duc d’Angoulême venait de faire construire près de la ville.

Les gardes, sous le commandement de M. des Essarts, avaient leur logement aux Minimes.

Mais nous le savons, d’Artagnan, préoccupé de l’ambition de passer aux mousquetaires, avait rarement fait amitié avec ses camarades; il se trouvait donc isolé et livré à ses propres réflexions.

Ses réflexions n’étaient pas riantes: depuis un an qu’il était arrivé à Paris, il s’était mêlé aux affaires publiques; ses affaires privées n’avaient pas fait grand chemin comme amour et comme fortune.

Comme amour, la seule femme qu’il eût aimée était Mme Bonacieux, et Mme Bonacieux avait disparu sans qu’il pût découvrir encore ce qu’elle était devenue.

Comme fortunes il s’était fait, lui chétif, ennemi du cardinal, c’est-à-dire d’un homme devant lequel tremblaient les plus grands du royaume, à commencer par le roi.

Cet homme pouvait l’écraser, et cependant il ne l’avait pas fait: pour un esprit aussi perspicace que l’était d’Artagnan, cette indulgence était un jour par lequel il voyait dans un meilleur avenir.

Puis, il s’était fait encore un autre ennemi moins à craindre, pensait-il, mais que cependant il sentait instinctivement n’être pas à mépriser: cet ennemi, c’était Milady.

En échange de tout cela il avait acquis la protection et la bienveillance de la reine, mais la bienveillance de la reine était, par le temps qui courait, une cause de plus de persécution; et sa protection, on le sait, protégeait fort maclass="underline" témoins Chalais et Mme Bonacieux.

Ce qu’il avait donc gagné de plus clair dans tout cela c’était le diamant de cinq ou six mille livres qu’il portait au doigt; et encore ce diamant, en supposant que d’Artagnan dans ses projets d’ambition, voulût le garder pour s’en faire un jour un signe de reconnaissance près de la reine n’avait en attendant, puisqu’il ne pouvait s’en défaire, pas plus de valeur que les cailloux qu’il foulait à ses pieds.

Nous disons «que les cailloux qu’il foulait à ses pieds», car d’Artagnan faisait ces réflexions en se promenant solitairement sur un joli petit chemin qui conduisait du camp au village d’Angoutin; or ces réflexions l’avaient conduit plus loin qu’il ne croyait, et le jour commençait à baisser, lorsqu’au dernier rayon du soleil couchant il lui sembla voir briller derrière une haie le canon d’un mousquet.

D’Artagnan avait l’œil vif et l’esprit prompt, il comprit que le mousquet n’était pas venu là tout seul et que celui qui le portait ne s’était pas caché derrière une haie dans des intentions amicales. Il résolut donc de gagner au large, lorsque de l’autre côté de la route, derrière un rocher, il aperçut l’extrémité d’un second mousquet.

C’était évidemment une embuscade.

Le jeune homme jeta un coup d’œil sur le premier mousquet et vit avec une certaine inquiétude qu’il s’abaissait dans sa direction, mais aussitôt qu’il vit l’orifice du canon immobile il se jeta ventre à terre. En même temps le coup partit, il entendit le sifflement d’une balle qui passait au-dessus de sa tête.

Il n’y avait pas de temps à perdre, d’Artagnan se redressa d’un bond, et au même moment la balle de l’autre mousquet fit voler les cailloux à l’endroit même du chemin où il s’était jeté la face contre terre.

D’Artagnan n’était pas un de ces hommes inutilement braves qui cherchent une mort ridicule pour qu’on dise d’eux qu’ils n’ont pas reculé d’un pas, d’ailleurs il ne s’agissait plus de courage ici, d’Artagnan était tombé dans un guet-apens.

«S’il y a un troisième coup, se dit-il, je suis un homme perdu!»

Et aussitôt prenant ses jambes à son cou, il s’enfuit dans la direction du camp, avec la vitesse des gens de son pays si renommés pour leur agilité; mais, quelle que fût la rapidité de sa course, le premier qui avait tiré, ayant eu le temps de recharger son arme, lui tira un second coup si bien ajusté, cette fois, que la balle traversa son feutre et le fit voler à dix pas de lui.

Cependant, comme d’Artagnan n’avait pas d’autre chapeau, il ramassa le sien tout en courant, arriva fort essoufflé et fort pâle, dans son logis, s’assit sans rien dire à personne et se mit à réfléchir.

Cet événement pouvait avoir trois causes:

La première et la plus naturelle pouvait être une embuscade des Rochelois, qui n’eussent pas été fâchés de tuer un des gardes de Sa Majesté, d’abord parce que c’était un ennemi de moins, et que cet ennemi pouvait avoir une bourse bien garnie dans sa poche.

D’Artagnan prit son chapeau, examina le trou de la balle, et secoua la tête. La balle n’était pas une balle de mousquet, c’était une balle d’arquebuse; la justesse du coup lui avait déjà donné l’idée qu’il avait été tiré par une arme particulière: ce n’était donc pas une embuscade militaire, puisque la balle n’était pas de calibre.

Ce pouvait être un bon souvenir de M. le cardinal. On se rappelle qu’au moment même où il avait, grâce à ce bienheureux rayon de soleil, aperçu le canon du fusil, il s’étonnait de la longanimité de Son Éminence à son égard.

Mais d’Artagnan secoua la tête. Pour les gens vers lesquels elle n’avait qu’à étendre la main, Son Éminence recourait rarement à de pareils moyens.

Ce pouvait être une vengeance de Milady.

Ceci, c’était plus probable.

Il chercha inutilement à se rappeler ou les traits ou le costume des assassins; il s’était éloigné d’eux si rapidement, qu’il n’avait eu le loisir de rien remarquer.

«Ah! mes pauvres amis, murmura d’Artagnan, où êtes-vous? et que vous me faites faute!»