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En cet endroit, Milady était sortie du bois et était montée dans la voiture.

Satisfait de cette découverte qui confirmait tous ses soupçons, Athos revint à l’hôtel et trouva Planchet qui l’attendait avec impatience.

Tout était comme l’avait prévu Athos.

Planchet avait suivi la route, avait comme Athos remarqué les taches de sang, comme Athos il avait reconnu l’endroit où les chevaux s’étaient arrêtés; mais il avait poussé plus loin qu’Athos, de sorte qu’au village de Festubert, en buvant dans une auberge, il avait, sans avoir eu besoin de questionner, appris que la veille, à huit heures et demie du soir, un homme blessé, qui accompagnait une dame qui voyageait dans une chaise de poste, avait été obligé de s’arrêter, ne pouvant aller plus loin. L’accident avait été mis sur le compte de voleurs qui auraient arrêté la chaise dans le bois. L’homme était resté dans le village, la femme avait relayé et continué son chemin.

Planchet se mit en quête du postillon qui avait conduit la chaise, et le retrouva. Il avait conduit la dame jusqu’à Fromelles, et de Fromelles elle était partie pour Armentières. Planchet prit la traverse, et à sept heures du matin il était à Armentières.

Il n’y avait qu’un seul hôtel, celui de la Poste. Planchet alla s’y présenter comme un laquais sans place qui cherchait une condition. Il n’avait pas causé dix minutes avec les gens de l’auberge, qu’il savait qu’une femme seule était arrivée à onze heures du soir, avait pris une chambre, avait fait venir le maître d’hôtel et lui avait dit qu’elle désirerait demeurer quelque temps dans les environs.

Planchet n’avait pas besoin d’en savoir davantage. Il courut au rendez-vous, trouva les trois laquais exacts à leur poste, les plaça en sentinelles à toutes les issues de l’hôtel, et vint trouver Athos, qui achevait de recevoir les renseignements de Planchet, lorsque ses amis rentrèrent.

Tous les visages étaient sombres et crispés, même le doux visage d’Aramis.

«Que faut-il faire? demanda d’Artagnan.

– Attendre», répondit Athos.

Chacun se retira chez soi.

À huit heures du soir, Athos donna l’ordre de seller les chevaux, et fit prévenir Lord de Winter et ses amis qu’ils eussent à se préparer pour l’expédition.

En un instant tous cinq furent prêts. Chacun visita ses armes et les mit en état. Athos descendit le premier et trouva d’Artagnan déjà à cheval et s’impatientant.

«Patience, dit Athos, il nous manque encore quelqu’un.»

Les quatre cavaliers regardèrent autour d’eux avec étonnement, car ils cherchaient inutilement dans leur esprit quel était ce quelqu’un qui pouvait leur manquer.

En ce moment Planchet amena le cheval d’Athos, le mousquetaire sauta légèrement en selle.

«Attendez-moi, dit-il, je reviens.»

Et il partit au galop.

Un quart d’heure après, il revint effectivement accompagné d’un homme masqué et enveloppé d’un grand manteau rouge.

Lord de Winter et les trois mousquetaires s’interrogèrent du regard. Nul d’entre eux ne put renseigner les autres, car tous ignoraient ce qu’était cet homme. Cependant ils pensèrent que cela devait être ainsi, puisque la chose se faisait par l’ordre d’Athos.

À neuf heures, guidée par Planchet, la petite cavalcade se mit en route, prenant le chemin qu’avait suivi la voiture.

C’était un triste aspect que celui de ces six hommes courant en silence, plongés chacun dans sa pensée, mornes comme le désespoir, sombres comme le châtiment.

CHAPITRE LXV

LE JUGEMENT

C’était une nuit orageuse et sombre, de gros nuages couraient au ciel, voilant la clarté des étoiles; la lune ne devait se lever qu’à minuit.

Parfois, à la lueur d’un éclair qui brillait à l’horizon, on apercevait la route qui se déroulait blanche et solitaire; puis, l’éclair éteint, tout rentrait dans l’obscurité.

À chaque instant, Athos invitait d’Artagnan, toujours à la tête de la petite troupe, à reprendre son rang qu’au bout d’un instant il abandonnait de nouveau; il n’avait qu’une pensée, c’était d’aller en avant, et il allait.

On traversa en silence le village de Festubert, où était resté le domestique blessé, puis on longea le bois de Richebourg; arrivés à Herlies, Planchet, qui dirigeait toujours la colonne, prit à gauche.

Plusieurs fois, Lord de Winter, soit Porthos, soit Aramis, avaient essayé d’adresser la parole à l’homme au manteau rouge; mais à chaque interrogation qui lui avait été faite, il s’était incliné sans répondre. Les voyageurs avaient alors compris qu’il y avait quelque raison pour que l’inconnu gardât le silence, et ils avaient cessé de lui adresser la parole.

D’ailleurs, l’orage grossissait, les éclairs se succédaient rapidement, le tonnerre commençait à gronder, et le vent, précurseur de l’ouragan, sifflait dans la plaine, agitant les plumes des cavaliers.

La cavalcade prit le grand trot.

Un peu au-delà de Fromelles, l’orage éclata; on déploya les manteaux; il restait encore trois lieues à faire: on les fit sous des torrents de pluie.

D’Artagnan avait ôté son feutre et n’avait pas mis son manteau; il trouvait plaisir à laisser ruisseler l’eau sur son front brûlant et sur son corps agité de frissons fiévreux.

Au moment où la petite troupe avait dépassé Goskal et allait arriver à la poste, un homme, abrité sous un arbre, se détacha du tronc avec lequel il était resté confondu dans l’obscurité, et s’avança jusqu’au milieu de la route, mettant son doigt sur ses lèvres.

Athos reconnut Grimaud.

«Qu’y a-t-il donc? s’écria d’Artagnan, aurait-elle quitté Armentières?»

Grimaud fit de sa tête un signe affirmatif. D’Artagnan grinça des dents.

«Silence, d’Artagnan! dit Athos, c’est moi qui me suis chargé de tout, c’est donc à moi d’interroger Grimaud.

– Où est-elle?» demanda Athos.

Grimaud étendit la main dans la direction de la Lys.

«Loin d’ici?» demanda Athos.

Grimaud présenta à son maître son index plié.

«Seule?» demanda Athos.

Grimaud fit signe que oui.

«Messieurs, dit Athos, elle est seule à une demi-lieue d’ici, dans la direction de la rivière.

– C’est bien, dit d’Artagnan, conduis-nous, Grimaud.»

Grimaud prit à travers champs, et servit de guide à la cavalcade.

Au bout de cinq cents pas à peu près, on trouva un ruisseau, que l’on traversa à gué.

À la lueur d’un éclair, on aperçut le village d’Erquinghem.

«Est-ce là?» demanda d’Artagnan.

Grimaud secoua la tête en signe de négation.

«Silence donc!» dit Athos.

Et la troupe continua son chemin.

Un autre éclair brilla; Grimaud étendit le bras, et à la lueur bleuâtre du serpent de feu on distingua une petite maison isolée, au bord de la rivière, à cent pas d’un bac. Une fenêtre était éclairée.

«Nous y sommes», dit Athos.

En ce moment, un homme couché dans le fossé se leva, c’était Mousqueton; il montra du doigt la fenêtre éclairée.

«Elle est là, dit-il.

– Et Bazin? demanda Athos.

– Tandis que je gardais la fenêtre, il gardait la porte.

– Bien, dit Athos, vous êtes tous de fidèles serviteurs.» Athos sauta à bas de son cheval, dont il remit la bride aux mains de Grimaud, et s’avança vers la fenêtre après avoir fait signe au reste de la troupe de tourner du côté de la porte.

La petite maison était entourée d’une haie vive, de deux ou trois pieds de haut. Athos franchit la haie, parvint jusqu’à la fenêtre privée de contrevents, mais dont les demi-rideaux étaient exactement tirés.

Il monta sur le rebord de pierre, afin que son œil pût dépasser la hauteur des rideaux.

À la lueur d’une lampe, il vit une femme enveloppée d’une mante de couleur sombre, assise sur un escabeau, près d’un feu mourant: ses coudes étaient posés sur une mauvaise table, et elle appuyait sa tête dans ses deux mains blanches comme l’ivoire.