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– Tout contrits et tout repentants! Hum! fit le roi, je ne me fie point à leurs faces hypocrites; il y a surtout là-bas une figure de Gascon. Venez ici, monsieur.»

D’Artagnan, qui comprit que c’était à lui que le compliment s’adressait, s’approcha en prenant son air le plus désespéré.

«Eh bien, que me disiez-vous donc que c’était un jeune homme? c’est un enfant, monsieur de Tréville, un véritable enfant! Et c’est celui-là qui a donné ce rude coup d’épée à Jussac?

– Et ces deux beaux coups d’épée à Bernajoux.

– Véritablement!

– Sans compter, dit Athos, que s’il ne m’avait pas tiré des mains de Biscarat, je n’aurais très certainement pas l’honneur de faire en ce moment-ci ma très humble révérence à Votre Majesté.

– Mais c’est donc un véritable démon que ce Béarnais, ventre-saint-gris! monsieur de Tréville comme eût dit le roi mon père. À ce métier-là, on doit trouer force pourpoints et briser force épées. Or les Gascons sont toujours pauvres, n’est-ce pas?

– Sire, je dois dire qu’on n’a pas encore trouvé des mines d’or dans leurs montagnes, quoique le Seigneur dût bien ce miracle en récompense de la manière dont ils ont soutenu les prétentions du roi votre père.

– Ce qui veut dire que ce sont les Gascons qui m’ont fait roi moi-même, n’est-ce pas, Tréville, puisque je suis le fils de mon père? Eh bien, à la bonne heure, je ne dis pas non. La Chesnaye, allez voir si, en fouillant dans toutes mes poches, vous trouverez quarante pistoles; et si vous les trouvez, apportez-les-moi. Et maintenant, voyons, jeune homme, la main sur la conscience, comment cela s’est-il passé?»

D’Artagnan raconta l’aventure de la veille dans tous ses détails: comment, n’ayant pas pu dormir de la joie qu’il éprouvait à voir Sa Majesté, il était arrivé chez ses amis trois heures avant l’heure de l’audience; comment ils étaient allés ensemble au tripot, et comment, sur la crainte qu’il avait manifestée de recevoir une balle au visage, il avait été raillé par Bernajoux, lequel avait failli payer cette raillerie de la perte de la vie, et M. de La Trémouille, qui n’y était pour rien, de la perte de son hôtel.

«C’est bien cela, murmurait le roi; oui, c’est ainsi que le duc m’a raconté la chose. Pauvre cardinal! sept hommes en deux jours, et de ses plus chers; mais c’est assez comme cela, messieurs, entendez-vous! c’est assez: vous avez pris votre revanche de la rue Férou, et au-delà; vous devez être satisfaits.

– Si Votre Majesté l’est, dit Tréville, nous le sommes.

– Oui, je le suis, ajouta le roi en prenant une poignée d’or de la main de La Chesnaye, et la mettant dans celle de d’Artagnan. Voici, dit-il, une preuve de ma satisfaction.»

À cette époque, les idées de fierté qui sont de mise de nos jours n’étaient point encore de mode. Un gentilhomme recevait de la main à la main de l’argent du roi, et n’en était pas le moins du monde humilié. D’Artagnan mit donc les quarante pistoles dans sa poche sans faire aucune façon, et en remerciant tout au contraire grandement Sa Majesté.

«Là, dit le roi en regardant sa pendule, là, et maintenant qu’il est huit heures et demie, retirez-vous; car, je vous l’ai dit, j’attends quelqu’un à neuf heures. Merci de votre dévouement, messieurs. J’y puis compter, n’est-ce pas?

– Oh! Sire, s’écrièrent d’une même voix les quatre compagnons, nous nous ferions couper en morceaux pour Votre Majesté.

– Bien, bien; mais restez entiers: cela vaut mieux, et vous me serez plus utiles. Tréville, ajouta le roi à demi-voix pendant que les autres se retiraient, comme vous n’avez pas de place dans les mousquetaires et que d’ailleurs pour entrer dans ce corps nous avons décidé qu’il fallait faire un noviciat, placez ce jeune homme dans la compagnie des gardes de M. des Essarts, votre beau-frère. Ah! pardieu! Tréville, je me réjouis de la grimace que va faire le cardinaclass="underline" il sera furieux, mais cela m’est égal; je suis dans mon droit.»

Et le roi salua de la main Tréville, qui sortit et s’en vint rejoindre ses mousquetaires, qu’il trouva partageant avec d’Artagnan les quarante pistoles.

Et le cardinal, comme l’avait dit Sa Majesté, fut effectivement furieux, si furieux que pendant huit jours il abandonna le jeu du roi, ce qui n’empêchait pas le roi de lui faire la plus charmante mine du monde, et toutes les fois qu’il le rencontrait de lui demander de sa voix la plus caressante:

«Eh bien, monsieur le cardinal, comment vont ce pauvre Bernajoux et ce pauvre Jussac, qui sont à vous?»

CHAPITRE VII

L’INTÉRIEUR DES MOUSQUETAIRES

Lorsque d’Artagnan fut hors du Louvre, et qu’il consulta ses amis sur l’emploi qu’il devait faire de sa part des quarante pistoles, Athos lui conseilla de commander un bon repas à la Pomme de Pin, Porthos de prendre un laquais, et Aramis de se faire une maîtresse convenable.

Le repas fut exécuté le jour même, et le laquais y servit à table. Le repas avait été commandé par Athos, et le laquais fourni par Porthos. C’était un Picard que le glorieux mousquetaire avait embauché le jour même et à cette occasion sur le pont de la Tournelle, pendant qu’il faisait des ronds en crachant dans l’eau.

Porthos avait prétendu que cette occupation était la preuve d’une organisation réfléchie et contemplative, et il l’avait emmené sans autre recommandation. La grande mine de ce gentilhomme, pour le compte duquel il se crut engagé, avait séduit Planchet - c’était le nom du Picard -; il y eut chez lui un léger désappointement lorsqu’il vit que la place était déjà prise par un confrère nommé Mousqueton, et lorsque Porthos lui eut signifié que son état de maison, quoi que grand, ne comportait pas deux domestiques, et qu’il lui fallait entrer au service de d’Artagnan. Cependant, lorsqu’il assista au dîner que donnait son maître et qu’il vit celui-ci tirer en payant une poignée d’or de sa poche, il crut sa fortune faite et remercia le Ciel d’être tombé en la possession d’un pareil Crésus; il persévéra dans cette opinion jusqu’après le festin, des reliefs duquel il répara de longues abstinences. Mais en faisant, le soir, le lit de son maître, les chimères de Planchet s’évanouirent. Le lit était le seul de l’appartement, qui se composait d’une antichambre et d’une chambre à coucher. Planchet coucha dans l’antichambre sur une couverture tirée du lit de d’Artagnan, et dont d’Artagnan se passa depuis.

Athos, de son côté, avait un valet qu’il avait dressé à son service d’une façon toute particulière, et que l’on appelait Grimaud. Il était fort silencieux, ce digne seigneur. Nous parlons d’Athos, bien entendu. Depuis cinq ou six ans qu’il vivait dans la plus profonde intimité avec ses compagnons Porthos et Aramis, ceux-ci se rappelaient l’avoir vu sourire souvent, mais jamais ils ne l’avaient entendu rire. Ses paroles étaient brèves et expressives, disant toujours ce qu’elles voulaient dire, rien de plus: pas d’enjolivements, pas de broderies, pas d’arabesques. Sa conversation était un fait sans aucun épisode.

Quoique Athos eût à peine trente ans et fût d’une grande beauté de corps et d’esprit, personne ne lui connaissait de maîtresse. Jamais il ne parlait de femmes. Seulement il n’empêchait pas qu’on en parlât devant lui, quoiqu’il fût facile de voir que ce genre de conversation, auquel il ne se mêlait que par des mots amers et des aperçus misanthropiques, lui était parfaitement désagréable. Sa réserve, sa sauvagerie et son mutisme en faisaient presque un vieillard; il avait donc, pour ne point déroger à ses habitudes, habitué Grimaud à lui obéir sur un simple geste ou sur un simple mouvement des lèvres. Il ne lui parlait que dans des circonstances suprêmes.

Quelquefois Grimaud, qui craignait son maître comme le feu, tout en ayant pour sa personne un grand attachement et pour son génie une grande vénération, croyait avoir parfaitement compris ce qu’il désirait, s’élançait pour exécuter l’ordre reçu, et faisait précisément le contraire. Alors Athos haussait les épaules et, sans se mettre en colère, rossait Grimaud. Ces jours-là, il parlait un peu.