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Enfin le reste de l’équipement fut successivement débattu de la même manière; et le résultat de la scène fut que la procureuse demanderait à son mari un prêt de huit cents livres en argent, et fournirait le cheval et le mulet qui auraient l’honneur de porter à la gloire Porthos et Mousqueton.

Ces conditions arrêtées, et les intérêts stipulés ainsi que l’époque du remboursement, Porthos prit congé de Mme Coquenard. Celle-ci voulait bien le retenir en lui faisant les yeux doux; mais Porthos prétexta les exigences du service, et il fallut que la procureuse cédât le pas au roi.

Le mousquetaire rentra chez lui avec une faim de fort mauvaise humeur.

CHAPITRE XXXIII

SOUBRETTE ET MAÎTRESSE

Cependant, comme nous l’avons dit, malgré les cris de sa conscience et les sages conseils d’Athos, d’Artagnan devenait d’heure en heure plus amoureux de Milady; aussi ne manquait-il pas tous les jours d’aller lui faire une cour à laquelle l’aventureux Gascon était convaincu qu’elle ne pouvait, tôt ou tard, manquer de répondre.

Un soir qu’il arrivait le nez au vent, léger comme un homme qui attend une pluie d’or, il rencontra la soubrette sous la porte cochère; mais cette fois la jolie Ketty ne se contenta point de lui sourire en passant, elle lui prit doucement la main.

«Bon! fit d’Artagnan, elle est chargée de quelque message pour moi de la part de sa maîtresse; elle va m’assigner quelque rendez-vous qu’on n’aura pas osé me donner de vive voix.»

Et il regarda la belle enfant de l’air le plus vainqueur qu’il put prendre.

«Je voudrais bien vous dire deux mots, monsieur le chevalier…, balbutia la soubrette.

– Parle, mon enfant, parle, dit d’Artagnan, j’écoute.

– Ici, impossible: ce que j’ai à vous dire est trop long et surtout trop secret.

– Eh bien, mais comment faire alors?

– Si monsieur le chevalier voulait me suivre, dit timidement Ketty.

– Où tu voudras, ma belle enfant.

– Alors, venez.»

Et Ketty, qui n’avait point lâché la main de d’Artagnan, l’entraîna par un petit escalier sombre et tournant, et, après lui avoir fait monter une quinzaine de marches, ouvrit une porte.

«Entrez, monsieur le chevalier, dit-elle, ici nous serons seuls et nous pourrons causer.

– Et quelle est donc cette chambre, ma belle enfant? demanda d’Artagnan.

– C’est la mienne, monsieur le chevalier; elle communique avec celle de ma maîtresse par cette porte. Mais soyez tranquille, elle ne pourra entendre ce que nous dirons, jamais elle ne se couche qu’à minuit.»

D’Artagnan jeta un coup d’œil autour de lui. La petite chambre était charmante de goût et de propreté; mais, malgré lui, ses yeux se fixèrent sur cette porte que Ketty lui avait dit conduire à la chambre de Milady.

Ketty devina ce qui se passait dans l’âme du jeune homme et poussa un soupir.

«Vous aimez donc bien ma maîtresse, monsieur le chevalier, dit-elle.

– Oh! plus que je ne puis dire! j’en suis fou!»

Ketty poussa un second soupir.

«Hélas! monsieur, dit-elle, c’est bien dommage!

– Et que diable vois-tu donc là de si fâcheux? demanda d’Artagnan.

– C’est que, monsieur, reprit Ketty, ma maîtresse ne vous aime pas du tout.

– Hein! fit d’Artagnan, t’aurait-elle chargée de me le dire?

– Oh! non pas, monsieur! mais c’est moi qui, par intérêt pour vous, ai pris la résolution de vous en prévenir.

– Merci, ma bonne Ketty, mais de l’intention seulement, car la confidence, tu en conviendras, n’est point agréable.

– C’est-à-dire que vous ne croyez point à ce que je vous ai dit, n’est-ce pas?

– On a toujours peine à croire de pareilles choses, ma belle enfant, ne fût-ce que par amour-propre.

– Donc vous ne me croyez pas?

– J’avoue que jusqu’à ce que tu daignes me donner quelques preuves de ce que tu avances…

– Que dites-vous de celle-ci?»

Et Ketty tira de sa poitrine un petit billet.

«Pour moi? dit d’Artagnan en s’emparant vivement de la lettre.

– Non, pour un autre.

– Pour un autre?

– Oui.

– Son nom, son nom! s’écria d’Artagnan.

– Voyez l’adresse.

– M. le comte de Wardes.»

Le souvenir de la scène de Saint-Germain se présenta aussitôt à l’esprit du présomptueux Gascon; par un mouvement rapide comme la pensée, il déchira l’enveloppe malgré le cri que poussa Ketty en voyant ce qu’il allait faire, ou plutôt ce qu’il faisait.

«Oh! mon Dieu! monsieur le chevalier, dit-elle, que faites-vous?

– Moi, rien!» dit d’Artagnan, et il lut:

«Vous n’avez pas répondu à mon premier billet; êtes-vous donc souffrant, ou bien auriez-vous oublié quels yeux vous me fîtes au bal de Mme de Guise? Voici l’occasion, comte! ne la laissez pas échapper.»

D’Artagnan pâlit; il était blessé dans son amour-propre, il se crut blessé dans son amour.

«Pauvre cher monsieur d’Artagnan! dit Ketty d’une voix pleine de compassion et en serrant de nouveau la main du jeune homme.

– Tu me plains, bonne petite! dit d’Artagnan.

– Oh! oui, de tout mon cœur! car je sais ce que c’est que l’amour, moi!

– Tu sais ce que c’est que l’amour? dit d’Artagnan la regardant pour la première fois avec une certaine attention.

– Hélas! oui.

– Eh bien, au lieu de me plaindre, alors, tu ferais bien mieux de m’aider à me venger de ta maîtresse.

– Et quelle sorte de vengeance voudriez-vous en tirer? Je voudrais triompher d’elle, supplanter mon rival.

– Je ne vous aiderai jamais à cela, monsieur le chevalier! dit vivement Ketty.

– Et pourquoi cela? demanda d’Artagnan.

– Pour deux raisons.

– Lesquelles?

– La première, c’est que jamais ma maîtresse ne vous a aimé.

– Qu’en sais-tu?

– Vous l’avez blessée au cœur.

– Moi! en quoi puis-je l’avoir blessée, moi qui, depuis que je la connais, vis à ses pieds comme un esclave! parle, je t’en prie.

– Je n’avouerais jamais cela qu’à l’homme… qui lirait jusqu’au fond de mon âme!»

D’Artagnan regarda Ketty pour la seconde fois. La jeune fille était d’une fraîcheur et d’une beauté que bien des duchesses eussent achetées de leur couronne.

«Ketty, dit-il, je lirai jusqu’au fond de ton âme quand tu voudras; qu’à cela ne tienne, ma chère enfant.»

Et il lui donna un baiser sous lequel la pauvre enfant devint rouge comme une cerise.

«Oh! non, s’écria Ketty, vous ne m’aimez pas! C’est ma maîtresse que vous aimez, vous me l’avez dit tout à l’heure.

– Et cela t’empêche-t-il de me faire connaître la seconde raison?

– La seconde raison, monsieur le chevalier, reprit Ketty enhardie par le baiser d’abord et ensuite par l’expression des yeux du jeune homme, c’est qu’en amour chacun pour soi.»

Alors seulement d’Artagnan se rappela les coups d’œil languissants de Ketty, ses rencontres dans l’antichambre, sur l’escalier, dans le corridor, ses frôlements de main chaque fois qu’elle le rencontrait, et ses soupirs étouffés; mais, absorbé par le désir de plaire à la grande dame, il avait dédaigné la soubrette: qui chasse l’aigle ne s’inquiète pas du passereau.

Mais cette fois notre Gascon vit d’un seul coup d’œil tout le parti qu’on pouvait tirer de cet amour que Ketty venait d’avouer d’une façon si naïve ou si effrontée: interception des lettres adressées au comte de Wardes, intelligences dans la place, entrée à toute heure dans la chambre de Ketty, contiguë à celle de sa maîtresse. Le perfide, comme on le voit, sacrifiait déjà en idée la pauvre fille pour obtenir Milady de gré ou de force.

«Eh bien, dit-il à la jeune fille, veux-tu, ma chère Ketty, que je te donne une preuve de cet amour dont tu doutes?

– De quel amour? demanda la jeune fille.

– De celui que je suis tout prêt à ressentir pour toi.

– Et quelle est cette preuve?