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– Non, Ketty, tu te trompes, je ne l’aime plus; mais je veux me venger de ses mépris.

– Oui, je connais votre vengeance; vous me l’avez dite.

– Que t’importe, Ketty! tu sais bien que c’est toi seule que j’aime.

– Comment peut-on savoir cela?

– Par le mépris que je ferai d’elle.»

Ketty soupira.

D’Artagnan prit une plume et écrivit:

«Madame, jusqu’ici j’avais douté que ce fût bien à moi que vos deux premiers billets eussent été adressés, tant je me croyais indigne d’un pareil honneur; d’ailleurs j’étais si souffrant, que j’eusse en tout cas hésité à y répondre.

«Mais aujourd’hui il faut bien que je croie à l’excès de vos bontés, puisque non seulement votre lettre, mais encore votre suivante, m’affirme que j’ai le bonheur d’être aimé de vous.

«Elle n’a pas besoin de me dire de quelle manière un galant homme peut obtenir son pardon. J’irai donc vous demander le mien ce soir à onze heures. Tarder d’un jour serait à mes yeux, maintenant, vous faire une nouvelle offense.

«Celui que vous avez rendu le plus heureux des hommes.

«Comte DE WARDES.»

Ce billet était d’abord un faux, c’était ensuite une indélicatesse; c’était même, au point de vue de nos mœurs actuelles, quelque chose comme une infamie; mais on se ménageait moins à cette époque qu’on ne le fait aujourd’hui. D’ailleurs d’Artagnan, par ses propres aveux, savait Milady coupable de trahison à des chefs plus importants, et il n’avait pour elle qu’une estime fort mince. Et cependant malgré ce peu d’estime, il sentait qu’une passion insensée le brûlait pour cette femme. Passion ivre de mépris, mais passion ou soif, comme on voudra.

L’intention de d’Artagnan était bien simple: par la chambre de Ketty il arrivait à celle de sa maîtresse; il profitait du premier moment de surprise, de honte, de terreur pour triompher d’elle; peut-être aussi échouerait-il, mais il fallait bien donner quelque chose au hasard. Dans huit jours la campagne s’ouvrait, et il fallait partir; d’Artagnan n’avait pas le temps de filer le parfait amour.

«Tiens, dit le jeune homme en remettant à Ketty le billet tout cacheté, donne cette lettre à Milady; c’est la réponse de M. de Wardes.»

La pauvre Ketty devint pâle comme la mort, elle se doutait de ce que contenait le billet.

«Écoute, ma chère enfant, lui dit d’Artagnan, tu comprends qu’il faut que tout cela finisse d’une façon ou de l’autre; Milady peut découvrir que tu as remis le premier billet à mon valet, au lieu de le remettre au valet du comte; que c’est moi qui ai décacheté les autres qui devaient être décachetés par M. de Wardes; alors Milady te chasse, et, tu la connais, ce n’est pas une femme à borner là sa vengeance.

– Hélas! dit Ketty, pour qui me suis-je exposée à tout cela?

– Pour moi, je le sais bien, ma toute belle, dit le jeune homme, aussi je t’en suis bien reconnaissant, je te le jure.

– Mais enfin, que contient votre billet?

– Milady te le dira.

– Ah! vous ne m’aimez pas! s’écria Ketty, et je suis bien malheureuse!»

À ce reproche il y a une réponse à laquelle les femmes se trompent toujours; d’Artagnan répondit de manière que Ketty demeurât dans la plus grande erreur.

Cependant elle pleura beaucoup avant de se décider à remettre cette lettre à Milady, mais enfin elle se décida, c’est tout ce que voulait d’Artagnan.

D’ailleurs il lui promit que le soir il sortirait de bonne heure de chez sa maîtresse, et qu’en sortant de chez sa maîtresse il monterait chez elle.

Cette promesse acheva de consoler la pauvre Ketty.

CHAPITRE XXXIV

OÙ IL EST TRAITÉ DE L’ÉQUIPEMENT D’ARAMIS ET DE PORTHOS

Depuis que les quatre amis étaient chacun à la chasse de son équipement, il n’y avait plus entre eux de réunion arrêtée. On dînait les uns sans les autres, où l’on se trouvait, ou plutôt où l’on pouvait. Le service, de son côté, prenait aussi sa part de ce temps précieux, qui s’écoulait si vite. Seulement on était convenu de se trouver une fois la semaine, vers une heure, au logis d’Athos, attendu que ce dernier, selon le serment qu’il avait fait, ne passait plus le seuil de sa porte.

C’était le jour même où Ketty était venue trouver d’Artagnan chez lui, jour de réunion.

À peine Ketty fut-elle sortie, que d’Artagnan se dirigea vers la rue Férou.

Il trouva Athos et Aramis qui philosophaient. Aramis avait quelques velléités de revenir à la soutane. Athos, selon ses habitudes, ne le dissuadait ni ne l’encourageait. Athos était pour qu’on laissât à chacun son libre arbitre. Il ne donnait jamais de conseils qu’on ne les lui demandât. Encore fallait-il les lui demander deux fois.

«En général, on ne demande de conseils, disait-il, que pour ne les pas suivre; ou, si on les a suivis, que pour avoir quelqu’un à qui l’on puisse faire le reproche de les avoir donnés.»

Porthos arriva un instant après d’Artagnan. Les quatre amis se trouvaient donc réunis.

Les quatre visages exprimaient quatre sentiments différents: celui de Porthos la tranquillité, celui de d’Artagnan l’espoir, celui d’Aramis l’inquiétude, celui d’Athos l’insouciance.

Au bout d’un instant de conversation dans laquelle Porthos laissa entrevoir qu’une personne haut placée avait bien voulu se charger de le tirer d’embarras, Mousqueton entra.

Il venait prier Porthos de passer à son logis, où, disait-il d’un air fort piteux, sa présence était urgente.

«Sont-ce mes équipages? demanda Porthos.

– Oui et non, répondit Mousqueton.

– Mais enfin que veux-tu dire?…

– Venez, monsieur.»

Porthos se leva, salua ses amis et suivit Mousqueton.

Un instant après, Bazin apparut au seuil de la porte.

«Que me voulez-vous, mon ami? dit Aramis avec cette douceur de langage que l’on remarquait en lui chaque fois que ses idées le ramenaient vers l’église…

– Un homme attend monsieur à la maison, répondit Bazin.

– Un homme! quel homme?

– Un mendiant.

– Faites-lui l’aumône, Bazin, et dites-lui de prier pour un pauvre pécheur.

– Ce mendiant veut à toute force vous parler, et prétend que vous serez bien aise de le voir.

– N’a-t-il rien dit de particulier pour moi?

– Si fait. “Si M. Aramis, a-t-il dit, hésite à me venir trouver, vous lui annoncerez que j’arrive de Tours.”

– De Tours? s’écria Aramis; messieurs, mille pardons, mais sans doute cet homme m’apporte des nouvelles que j’attendais.»

Et, se levant aussitôt, il s’éloigna rapidement.

Restèrent Athos et d’Artagnan.

«Je crois que ces gaillards-là ont trouvé leur affaire. Qu’en pensez-vous, d’Artagnan? dit Athos.

– Je sais que Porthos était en bon train, dit d’Artagnan; et quant à Aramis, à vrai dire, je n’en ai jamais été sérieusement inquiet: mais vous, mon cher Athos, vous qui avez si généreusement distribué les pistoles de l’Anglais qui étaient votre bien légitime, qu’allez-vous faire?

– Je suis fort content d’avoir tué ce drôle, mon enfant, vu que c’est pain bénit que de tuer un Anglais: mais si j’avais empoché ses pistoles, elles me pèseraient comme un remords.

– Allons donc, mon cher Athos! vous avez vraiment des idées inconcevables.

– Passons, passons! Que me disait donc M. de Tréville, qui me fit l’honneur de me venir voir hier, que vous hantez ces Anglais suspects que protège le cardinal?

– C’est-à-dire que je rends visite à une Anglaise, celle dont je vous ai parlé.

– Ah! oui, la femme blonde au sujet de laquelle je vous ai donné des conseils que naturellement vous vous êtes bien gardé de suivre.

– Je vous ai donné mes raisons.

– Oui; vous voyez là votre équipement, je crois, à ce que vous m’avez dit.

– Point du tout! j’ai acquis la certitude que cette femme était pour quelque chose dans l’enlèvement de Mme Bonacieux.

– Oui, et je comprends; pour retrouver une femme, vous faites la cour à une autre: c’est le chemin le plus long, mais le plus amusant.