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– Oui, monsieur, dit Mousqueton, mais bien maussade, allez!»

Et il continua son chemin vers le quai des Grands-Augustins, tandis que les deux amis allaient sonner à la porte de l’infortuné Porthos. Celui-ci les avait vus traversant la cour, et il n’avait garde d’ouvrir. Ils sonnèrent donc inutilement.

Cependant, Mousqueton continuait sa route, et, traversant le Pont-Neuf, toujours chassant devant lui ses deux haridelles, il atteignit la rue aux Ours. Arrivé là, il attacha, selon les ordres de son maître, cheval et mulet au marteau de la porte du procureur; puis, sans s’inquiéter de leur sort futur, il s’en revint trouver Porthos et lui annonça que sa commission était faite.

Au bout d’un certain temps, les deux malheureuses bêtes, qui n’avaient pas mangé depuis le matin, firent un tel bruit en soulevant et en laissant retomber le marteau de la porte, que le procureur ordonna à son saute-ruisseau d’aller s’informer dans le voisinage à qui appartenaient ce cheval et ce mulet.

Mme Coquenard reconnut son présent, et ne comprit rien d’abord à cette restitution; mais bientôt la visite de Porthos l’éclaira. Le courroux qui brillait dans les yeux du mousquetaire, malgré la contrainte qu’il s’imposait, épouvanta la sensible amante. En effet, Mousqueton n’avait point caché à son maître qu’il avait rencontré d’Artagnan et Aramis, et que d’Artagnan, dans le cheval jaune, avait reconnu le bidet béarnais sur lequel il était venu à Paris, et qu’il avait vendu trois écus.

Porthos sortit après avoir donné rendez-vous à la procureuse dans le cloître Saint-Magloire. Le procureur, voyant que Porthos partait, l’invita à dîner, invitation que le mousquetaire refusa avec un air plein de majesté.

Mme Coquenard se rendit toute tremblante au cloître Saint-Magloire, car elle devinait les reproches qui l’y attendaient; mais elle était fascinée par les grandes façons de Porthos.

Tout ce qu’un homme blessé dans son amour-propre peut laisser tomber d’imprécations et de reproches sur la tête d’une femme, Porthos le laissa tomber sur la tête courbée de la procureuse.

«Hélas! dit-elle, j’ai fait pour le mieux. Un de nos clients est marchand de chevaux, il devait de l’argent à l’étude, et s’est montré récalcitrant. J’ai pris ce mulet et ce cheval pour ce qu’il nous devait; il m’avait promis deux montures royales.

– Eh bien, madame, dit Porthos, s’il vous devait plus de cinq écus, votre maquignon est un voleur.

– Il n’est pas défendu de chercher le bon marché, monsieur Porthos, dit la procureuse cherchant à s’excuser.

– Non, madame, mais ceux qui cherchent le bon marché doivent permettre aux autres de chercher des amis plus généreux.»

Et Porthos, tournant sur ses talons, fit un pas pour se retirer.

«Monsieur Porthos! monsieur Porthos! s’écria la procureuse, j’ai tort, je le reconnais, je n’aurais pas dû marchander quand il s’agissait d’équiper un cavalier comme vous!»

Porthos, sans répondre, fit un second pas de retraite.

La procureuse crut le voir dans un nuage étincelant tout entouré de duchesses et de marquises qui lui jetaient des sacs d’or sous les pieds.

«Arrêtez, au nom du Ciel! monsieur Porthos, s’écria-t-elle, arrêtez et causons.

– Causer avec vous me porte malheur, dit Porthos.

– Mais, dites-moi, que demandez-vous?

– Rien, car cela revient au même que si je vous demandais quelque chose.»

La procureuse se pendit au bras de Porthos, et, dans l’élan de sa douleur, elle s’écria:

«Monsieur Porthos, je suis ignorante de tout cela, moi; sais-je ce que c’est qu’un cheval? sais-je ce que c’est que des harnais?

– Il fallait vous en rapporter à moi, qui m’y connais, madame; mais vous avez voulu ménager, et, par conséquent, prêter à usure.

– C’est un tort, monsieur Porthos, et je le réparerai sur ma parole d’honneur.

– Et comment cela? demanda le mousquetaire.

– Écoutez. Ce soir M. Coquenard va chez M. le duc de Chaulnes, qui l’a mandé. C’est pour une consultation qui durera deux heures au moins, venez, nous serons seuls, et nous ferons nos comptes.

– À la bonne heure! voilà qui est parler, ma chère!

– Vous me pardonnez?

– Nous verrons», dit majestueusement Porthos.

Et tous deux se séparèrent en se disant: «À ce soir.»

«Diable! pensa Porthos en s’éloignant, il me semble que je me rapproche enfin du bahut de maître Coquenard.»

CHAPITRE XXXV

LA NUIT TOUS LES CHATS SONT GRIS

Ce soir, attendu si impatiemment par Porthos et par d’Artagnan, arriva enfin.

D’Artagnan, comme d’habitude, se présenta vers les neuf heures chez Milady. Il la trouva d’une humeur charmante; jamais elle ne l’avait si bien reçu. Notre Gascon vit du premier coup d’œil que son billet avait été remis, et ce billet faisait son effet.

Ketty entra pour apporter des sorbets. Sa maîtresse lui fit une mine charmante, lui sourit de son plus gracieux sourire; mais, hélas! la pauvre fille était si triste, qu’elle ne s’aperçut même pas de la bienveillance de Milady.

D’Artagnan regardait l’une après l’autre ces deux femmes, et il était forcé de s’avouer que la nature s’était trompée en les formant; à la grande dame elle avait donné une âme vénale et vile, à la soubrette elle avait donné le cœur d’une duchesse.

À dix heures Milady commença à paraître inquiète, d’Artagnan comprit ce que cela voulait dire; elle regardait la pendule, se levait, se rasseyait, souriait à d’Artagnan d’un air qui voulait dire: Vous êtes fort aimable sans doute, mais vous seriez charmant si vous partiez!

D’Artagnan se leva et prit son chapeau; Milady lui donna sa main à baiser; le jeune homme sentit qu’elle la lui serrait et comprit que c’était par un sentiment non pas de coquetterie, mais de reconnaissance à cause de son départ.

«Elle l’aime diablement», murmura-t-il. Puis il sortit.

Cette fois Ketty ne l’attendait aucunement, ni dans l’antichambre, ni dans le corridor, ni sous la grande porte. Il fallut que d’Artagnan trouvât tout seul l’escalier et la petite chambre.

Ketty était assise la tête cachée dans ses mains, et pleurait.

Elle entendit entrer d’Artagnan, mais elle ne releva point la tête; le jeune homme alla à elle et lui prit les mains, alors elle éclata en sanglots.

Comme l’avait présumé d’Artagnan, Milady, en recevant la lettre, avait, dans le délire de sa joie, tout dit à sa suivante; puis, en récompense de la manière dont cette fois elle avait fait la commission, elle lui avait donné une bourse. Ketty, en rentrant chez elle, avait jeté la bourse dans un coin, où elle était restée tout ouverte, dégorgeant trois ou quatre pièces d’or sur le tapis.

La pauvre fille, à la voix de d’Artagnan, releva la tête. D’Artagnan lui-même fut effrayé du bouleversement de son visage; elle joignit les mains d’un air suppliant, mais sans oser dire une parole.

Si peu sensible que fût le cœur de d’Artagnan, il se sentit attendri par cette douleur muette; mais il tenait trop à ses projets et surtout à celui-ci, pour rien changer au programme qu’il avait fait d’avance. Il ne laissa donc à Ketty aucun espoir de le fléchir, seulement il lui présenta son action comme une simple vengeance.

Cette vengeance, au reste, devenait d’autant plus facile, que Milady, sans doute pour cacher sa rougeur à son amant, avait recommandé à Ketty d’éteindre toutes les lumières dans l’appartement, et même dans sa chambre, à elle. Avant le jour, M. de Wardes devait sortir, toujours dans l’obscurité.

Au bout d’un instant on entendit Milady qui rentrait dans sa chambre. D’Artagnan s’élança aussitôt dans son armoire. À peine y était-il blotti que la sonnette se fit entendre.

Ketty entra chez sa maîtresse, et ne laissa point la porte ouverte; mais la cloison était si mince, que l’on entendait à peu près tout ce qui se disait entre les deux femmes.

Milady semblait ivre de joie, elle se faisait répéter par Ketty les moindres détails de la prétendue entrevue de la soubrette avec de Wardes, comment il avait reçu sa lettre, comment il avait répondu, quelle était l’expression de son visage, s’il paraissait bien amoureux; et à toutes ces questions la pauvre Ketty, forcée de faire bonne contenance, répondait d’une voix étouffée dont sa maîtresse ne remarquait même pas l’accent douloureux, tant le bonheur est égoïste.