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Le rite était en train de s’accomplir. Jamais encore Mme Yao n’avait fait l’amour avec lui sans sacrifier à l’acupuncture.

Très doucement, sans retirer les aiguilles, Holy commença à lui masser les reins et le dos. Elle restait rigoureusement immobile. Au bout de plusieurs minutes, le souffle court, il la déplaça légèrement pour s’allonger près d’elle. Son état aurait fait honte à un chimpanzé en rut. Mme Yao bougea légèrement.

— C’est fini ?

La séance d’aiguilles ne durait jamais plus de cinq minutes. Pris de court, Holy balbutia :

— Oui, je pense.

Avec dextérité, il retira les aiguilles. Aussitôt la Chinoise sauta du divan et prit sa robe. En quelques secondes, elle s’était rhabillée, rajustait son chignon. Holy était resté tout bête, ses aiguilles à la main et le ventre en feu.

— Je m’en vais, annonça Mme Yao d’une voix sereine. Je me sens beaucoup mieux.

Elle fit deux pas vers la porte. Holy posa n’importe où ses précieuses aiguilles et courut vers elle. Les verres de ses lunettes en étaient embués.

— Tu ne vas pas…

— Si…

Mais elle ne se dégagea pas quand il la prit dans ses bras et la serra violemment contre lui.

— Tu es un porc souffla-t-elle. Un chien. Tu ne sais pas refréner tes instincts. Regarde-toi. Lâche-moi tout de suite ou j’appelle Tuan.

Brusquement, Holy avait retrouvé sa paix intérieure. Mme Yao avait pris l’expression avide, qu’il connaissait bien, ses lèvres épaisses retroussées sur ses grandes dents jaunes. Elle avait envie de lui.

Il lui prit la main et la guida tout doucement sous la soie du kimono. Si ses clients avaient pu constater l’effet de son philtre, ils en auraient commandé par bonbonnes entières. Mme Yao avait les yeux presque révulsés maintenant. Sa main se crispa une seconde sur Holy, puis elle se recula légèrement.

— Je n’ai pas besoin de retirer ma robe, n’est-ce pas ? murmura-t-elle.

Sans attendre la réponse de son amant, elle fit glisser son slip le long de ses jambes et le jeta sur le bureau. Holy Tong en tremblait d’excitation. Il la jeta plutôt qu’il ne la poussa sur le divan et la prit immédiatement. Elle s’accrochait à lui comme un poulpe, les narines dilatées, agitant spasmodiquement son corps maigre de grands coups de boutoir. Si fort qu’elle roula à terre, entraînant Holy avec elle. Ils continuèrent leur étreinte sur la natte, jusqu’au moment où Mme Yao exhala une espèce de sifflement de chaudière qu’on vide.

Instantanément, elle repoussa son partenaire et resta sur le dos, le souffle court, la bouche entrouverte la robe remontée jusqu’au ventre.

Holy aurait pu continuer, mais il n’osait pas. Il la regarda se relever, se rajuster, se recoiffer. Par degrés, elle retrouvait son expression hautaine et inquiétante. Elle eut un regard méprisant pour Holy, à qui cette trop courte étreinte n’avait visiblement pas apporté la paix du corps, sinon celle de l’âme.

— Tu es indécent, fit-elle sèchement.

Il se drapa aussitôt dans son kimono. Mme Yao alluma une Craven et souffla voluptueusement la première bouffée. Avec ses orgies sexuelles, ses cigarettes anglaises étaient les seules entorses aux préceptes de Mao.

Déjà, elle était prête à partir. Son sourire se fit menaçant.

— À cause de toi, fit-elle, j’ai dû mentir aux camarades du parti. Jurer que je ne comprenais pas comment une telle fuite avait pu se produire.

» Si tu recommençais…

Elle laissa sa phrase en suspens et sortit sans l’embrasser. Holy pensa au Bœing englouti dans la baie de Kowloon et eut froid dans le dos. Il se sentit en même temps terriblement excité à la pensée qu’en de fugitifs moments, il connaissait une Mme Yao pantelante, reconnaissante et même humble, parfois… Il pensait déjà à sa prochaine visite.

Pour se changer les idées, il se rassit devant la baie vitrée. Le typhon Emma avait définitivement disparu vers les Philippines avec son cortège de nuages et de pluie. Holy en ressentit une vague contrariété. Il connaissait une petite sampanière de vingt ans à Yaumati qui ne l’accueillait que les jours de tempête parce qu’elle avait peur toute seule. Maintenant, il serait obligé d’attendre le prochain typhon.

Holy Tong suivait des yeux les ferries verts et rouges. Plus loin, la ligne bleue des montagnes de la Chine continentale se détachant sur l’horizon. Un autre monde. Par moments, Holy se sentait très seul. Depuis six mois, tous les riches Chinois qui habitaient les villas voisines de la sienne étaient discrètement partis à Bangkok, à Singapour ou plus loin. Pour sauver la face, ils laissaient de nombreux domestiques, mais ne reviendraient jamais. Insensiblement, Hong-Kong se transformait, rosissait.

En dépit de la vue magnifique, Holy ne parvenait pas à trouver le calme. Il ne pouvait s’empêcher de penser à Cheng Chang. C’était un vieux camarade. Pas très intelligent, pas très brillant, mais dévoué. Des larmes perlaient dans les bons yeux d’Holy. Comme beaucoup de Chinois traditionalistes, il croyait fermement que l’âme d’un mort ne pouvait trouver la paix que si elle était enterrée dans la terre de ses ancêtres.

C’était le dernier service qu’il pouvait rendre à ce pauvre Cheng Chang, né, comme lui, dans les faubourgs de Tchung-king. Il décrocha son téléphone et appela une jeune Chinoise qu’il avait jusqu’ici utilisée à des fins moins sordides : Mina, putain de son état et taxi girl officiellement. Il ne se sentait pas le courage d’aller à la morgue lui-même…

CHAPITRE V

Une Chinoise grassouillette et sans âge était assise derrière un bureau vétuste, au centre de la pièce aux murs ripolinés. Impossible de savoir si l’odeur de formol venait d’elle ou des murs. Elle leva un regard indifférent sur Malko, impeccable dans son complet d’alpaga noir et demanda en excellent anglais :

— Vous recherchez un disparu, sir ? Quel est son nom ?

Malko soupira mentalement. Il était devenu depuis deux jours le meilleur client de la morgue de Kowloon, un petit bâtiment bas et sale dans Po-chang Street, au cœur du quartier populaire de Tokwa-wan. Trois fois par jour il devait recommencer le même cycle de questions et d’employés polis, finissant toujours dans ce bureau qui n’était jamais occupé par la même personne. Mais, la réponse était toujours la même : non, on n’avait pas identifié le corps de M. Cheng Chang, et il n’était pas certain qu’on y parvienne étant donné l’état des corps. Certains cercueils avaient été remplis avec un peu de chair et d’os et beaucoup de sable… Néanmoins, il ne fallait pas désespérer.

La politesse chinoise était sans faille.

Tout le monde à Hong-Kong semblait avoir oublié l’accident du Bœing. Sauf la China Airlines qui avait promis une prime de cent mille dollars Hong-Kong à qui fournirait des éléments permettant d’identifier le ou les saboteurs.

Personne ne s’était encore présenté.

Cette fois Malko était particulièrement énervé. Un nouveau typhon s’annonçait, le temps avait brusquement changé, avec un vent trop chaud pour la saison ; de lourdes nuées planaient sur les contreforts des Nouveaux-Territoires et il faisait une température à ne pas mettre une salamandre dehors. Il dut faire appel à tout son atavisme de bonne éducation pour répondre calmement :

— M. Cheng Chang de Kowloon.

Il lui sembla que la Chinoise cillait imperceptiblement. À moins que cela ne soit une fantaisie du ventilateur posé sur le bureau. Mais, au lieu de lui conseiller de repasser le lendemain, l’employée sourit et sa main fuselée lui désigna l’unique chaise de bois :

— Voulez-vous vous asseoir, sir ? Je vais me renseigner. Elle avait pourtant une liste devant elle. Sans un regard pour Malko, elle sortit du bureau, refermant silencieusement la porte derrière elle. Malko n’eut pas le temps de se poser de question que déjà la Chinoise était de retour.