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« Bonne chance, mister Linge. »

Avec un bon sourire, il referma la porte sur lui. Malko se retrouva seul dans la rue. Avec en face les trois veuves qui attendaient.

Il ne put s’empêcher de penser que la CIA devrait remplacer quelques-uns de ses gorilles par des colonels Whitcomb. Même avec des chaussettes de laine blanche.

Aucun taxi n’était en vue. Il partit à pied sans même se retourner, préférant laisser l’initiative aux veuves. Car si lui pensait qu’elles pouvaient l’aider, la réciproque devait être vraie.

* * *

Malko était sorti de sa voiture pour admirer la baie, accoudé au bastingage. C’était un spectacle dont il ne se lassait pas. Mais son cerveau était en ébullition. Qui étaient vraiment ces trois femmes ? Quel était le secret de Cheng Chang ? Maintenant qu’il était identifié par les services anglais, sa mission allait être encore plus délicate. Si mission il y avait.

Devant lui, les buildings modernes de Connaugh Road grandissaient. Ils allaient arriver. Déjà le ferry ralentissait. Soudain un minuscule walla-walla surgit à l’arrière, frôlant l’énorme coque. Malko vit une main jaune sortir de sous la bâche et lancer quelque chose dans sa direction.

Instinctivement il recula.

L’objet roula sur le pont métallique, à ses pieds. Déjà le taxi de la mer avait viré et s’éloignait à toute vitesse. Malko se pencha et ramassa ce qu’on lui avait jeté. C’était tout simplement un bout de bois enveloppé d’un morceau de papier qu’il déplia.

En lettres d’imprimerie, maladroitement tracées, il y avait une adresse :

27, Tsing-fung Street, appartement 8b.

Il avait été suivi par une des veuves, qui avait saisi la première occasion d’entrer en contact avec lui. Il remonta dans la Volkswagen après avoir déchiré le papier en menus morceaux et les avoir jetés à la mer. Il grillait d’envie de se rendre immédiatement à l’adresse indiquée, mais le colonel Whitcomb n’était pas un imbécile. Malko était certainement suivi.

Pour s’amuser, il s’arrêta et gara la VW devant la Bank of China, quartier général des communistes à Hong-Kong. C’était bien la seule banque au monde où il fallait montrer une carte du Parti communiste pour y entrer. Deux gardes en salopettes bleues barraient l’entrée. Le Hilton était de l’autre côté de Queen’s Road.

La première personne qu’il vit en sortant de l’escalator fut Po-yick, la jeune Chinoise qui l’avait aidé chez le tailleur.

Elle était assise sur une banquette, près du marchand de journaux. Accompagnée de la même camarade. Quand elle aperçut Malko, elle rajusta une des socquettes blanches et baissa la tête en se mordant les lèvres.

— Po-yick ! fit-il en riant. C’est gentil d’être venue me voir.

D’une voix à peine audible, la jeune Chinoise dit :

— J’ai oublié mes cahiers dans votre voiture. Malko se força à sourire. Il avait d’autres chats à fouetter.

— Vous pourriez revenir demain, Po-yick, demanda-t-il. Ma voiture n’est pas là pour le moment et je n’ai pas beaucoup de temps.

Po-yick se leva vivement. Ses yeux dansaient un ballet effréné pour ne pas rencontrer ceux de Malko.

— Je ne voulais pas vous déranger, murmura-t-elle. Sans dire au revoir, elle tourna les talons et s’éloigna dans le hall, flanquée de son inséparable copine. Brusquement Malko réalisa qu’elle semblait être tombée amoureuse de lui, comme on peut l’être à quatorze ans.

C’était touchant et frais, mais il n’avait pas le temps de la rattraper.

Ostensiblement il prit sa clé et monta dans l’ascenseur. La jolie liftière eut un sourire enjôleur. Une fois encore, il était le seul client. Beaucoup montaient à pied depuis la bombe.

Au lieu d’aller jusqu’au vingt-deuxième étage, il se fit arrêter au quatrième, comme s’il allait à la piscine. Puis, discrètement, il reprit l’escalier des gens prudents jusqu’au niveau inférieur. Dépassant le coffee-shop, il s’engagea dans un couloir désert qui menait à une des entrées condamnées de l’hôtel, sur Garden Road. Depuis les troubles, seule l’entrée principale était en service, avec toujours deux policiers en civil pour examiner les arrivants et les colis suspects.

Assis sur un pliant, un tromblon qui datait du temps des lanciers du Bengale entre les jambes, un gurkha barbu le regardait venir.

Hong-Kong était plein de ces hindous amenés par les Anglais. Lorsqu’ils avaient quitté les Indes ils avaient pris dans leurs bagages les plus compromis de leurs hommes de main. Depuis, les gurkhas et les sikhs s’étiolaient, faute de têtes à couper, fidèles comme des bergers allemands.

Celui-là secoua la tête lorsque Malko expliqua qu’il voulait sortir. En plus, il parlait à peine anglais et Malko n’avait que de vagues rudiments de gurkha… La discussion s’éternisait. Un billet de dix dollars HK emporta finalement la décision, et fit revenir le gurkha à des sentiments plus humains.

Après tout, il avait l’ordre d’interdire l’entrée aux Jaunes, pas la sortie aux Blancs.

Malko se retrouva dans Garden Road, la rue qui montait la colline parallèlement au funiculaire de Victoria Peak. Pour plus de sûreté, il alla prendre un taxi au départ du funiculaire. Personne ne pouvait l’avoir suivi. L’entrée principale était invisible de cet endroit.

Il montra l’adresse au chauffeur qui, par chance, comprenait quelques mots d’anglais. Tsing-fung Street se trouvait à North Point, un quartier assez pauvre, tout au bout de l’île, habité uniquement par des Chinois. Laissant à droite Happy Valley, le champ de courses, le taxi s’enfonça dans les ruelles étroites de Wang-chai. Presque à chaque carrefour il y avait un car de police grillagé stoppant les voitures et les pousse-pousse avec des policiers chinois impeccables, armés de mitraillettes plus grandes qu’eux, et casqués. Toujours les bombes.

Plus il s’enfonçait dans le quartier chinois, plus Malko se sentait mal à l’aise. Il n’avait pourtant jamais eu peur des Jaunes mais, cette fois, il sentait une haine presque palpable. À chaque feu rouge, deux ou trois jeunes s’approchaient du taxi et marmonnaient des injures. On ne voyait presque pas de Blancs, les touristes ne s’aventuraient guère au-delà de Queen’s Road et de ses boutiques élégantes.

Jadis on lui aurait proposé des petites filles, une pipe d’opium. Maintenant c’étaient des tracts exaltant la pensée de Mao.

Le taxi suivit King’s Road et tourna à gauche dans une petite rue, puis stoppa devant une énorme HLM hérissée de cordes à linge. C’était là. Tout le rez-de-chaussée était occupé par des boutiques pauvres, allant du tailleur au réparateur de pousse-pousse.

Malko paya et descendit. Les gens le regardaient curieusement. Ces immeubles avaient été construits pour loger les réfugiés de Chine rouge qui vivaient de charité et d’allocations gouvernementales.

Il s’engagea dans un couloir sombre. Oh ! miracle, il y avait un ascenseur ! Il s’arrêta au huitième étage. L’ascenseur donnait sur une sorte de coursive intérieure. L’appartement 8b était tout de suite à droite. Malko regarda autour de lui avant de tourner la sonnette. Rien ne se passa. Il sonna de nouveau sans plus de succès et attendit. Une gamine, qui descendait quatre à quatre par l’escalier de service, lui jeta un regard en dessous.

Bizarre ! Bizarre !

Il s’éloignait quand il entendit un grincement derrière lui, la porte du 8b venait de s’entrouvrir sur une tête effrayée : celle de la plus âgée des trois veuves !

CHAPITRE VI

L’appartement sentait la soupe chinoise aigre. D’abord, dans la pénombre, Malko ne distingua pas grand-chose. Involontairement, il frôla la Chinoise, qui frémit comme un étalon trop nerveux et détourna la tête. Sa robe de chambre était imprégnée d’un parfum bon marché et entêtant.