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Elle le précéda dans une minuscule entrée et le fit pénétrer dans un petit living-room aux meubles recouverts de housses en plastique bon marché. Une seule lampe éclairait la pièce et les stores étaient baissés bien que les fenêtres fussent ouvertes. Il régnait une chaleur lourde et malsaine.

Il s’assit dans un fauteuil inconfortable et la Chinoise prit place en face de lui. Ils n’avaient pas encore dit un mot. Il la dévisagea. Les mains croisées sur les genoux, elle semblait terrorisée. Son visage n’était vraiment pas joli, mais elle dégageait une sensualité suractivée, comme une pile trop rechargée. Chaque fois que ses yeux effleuraient Malko, ils se détournaient comme devant un spectacle obscène.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, à voix basse, en anglais saccadé.

Malko hésita. C’était de la roulette russe.

— Une relation d’affaires. Il devait travailler avec moi, à un film, répondit-il tardivement.

Les yeux de la Chinoise étaient pleins d’incrédulité.

— On l’a tué.

Ce n’était même pas une accusation. Tout juste une constatation. Avec une infinie lassitude. Malko ne savait plus quelle contenance adopter.

— Pourquoi ce mystère pour me rencontrer ? demanda-t-il.

— J’ai peur, dit-elle. C’était vrai.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

— Sa femme.

— Et les autres ?

Elle se tordit les mains en un geste enfantin.

— Je ne les connais pas, je ne les ai jamais vues. Elles m’ont insultée, elles mentent. Il n’avait qu’une seule femme, moi.

Tout en elle respirait la sincérité. Mais Malko connaissait le pouvoir de dissimulation des Asiatiques. S’il avait été en face d’une des deux autres, elle aurait probablement été aussi sincère. Il fallait qu’il sache, à tout prix.

— Pourquoi aurait-on tué votre mari ? demanda Malko.

— Je ne sais pas, gémit-elle. Je ne sais pas. Mais on l’a tué.

Brusquement, elle éclata en sanglots silencieux. Les larmes coulaient sur son visage comme de l’eau. Son menton tremblait légèrement. Elle était pitoyable.

Gêné, Malko laissa passer la crise. Pour prendre une contenance, il prit une petite statuette d’ivoire posée sur un guéridon et commença à jouer avec. C’était ce que les Chinois nomment une doctor’s daughter.[10] Une figurine représentant un corps de femme qui se trouvait jadis dans tous les cabinets de consultation des médecins chinois, à l’intention des patientes timides. Pour éviter de se déshabiller elles désignaient sur l’ivoire l’endroit dont elles souffraient.

Pendant plusieurs minutes, le silence ne fut troublé que par les reniflements de la Chinoise. Malko caressait distraitement la cuisse de la statuette, en réfléchissant. Soudain, il réalisa que la Chinoise ne pleurait plus. Il leva les yeux. Elle suivait, fascinée, le mouvement de sa main sur l’ivoire, les yeux fixes, les lèvres légèrement entrouvertes sur des dents très blanches. Comme si Malko avait caressé sa propre peau. Quand il arrêta son va-et-vient, elle sursauta, comme si on l’avait secouée, et ses yeux perdirent de leur fixité sans quitter toutefois la statuette.

Malko reprit son mouvement de va-et-vient, troublé lui aussi. Docilement, la Chinoise frissonna. Étonnante télépathie érotique. Pas un mot n’avait été prononcé depuis plusieurs minutes.

Volontairement Malko fit remonter sa main le long de l’ivoire, lissant le ventre bombé, de la statuette.

En face de lui, la Chinoise se plia en deux comme si elle avait reçu un coup de poing, puis détendit brusquement ses jambes, le ventre en avant. Son peignoir s’ouvrit et Malko aperçut ses bas sans jarretière, très hauts sur les cuisses, sans aucun autre dessous. Vivement, elle referma le tissu.

Impitoyablement, il continuait à caresser le ventre de la statue. Les mains de la Chinoise lâchèrent les pans du peignoir, qui s’écartèrent de nouveau, la découvrant. Envoûtée, la Chinoise se mit à gémir, à pousser des petits cris, à griffer le tissu du canapé. Pourtant Malko était à trois mètres d’elle. Abandonnant le ventre de la statue, il remonta jusqu’aux seins d’ivoire et les emprisonna dans sa paume.

La Chinoise poussa un cri et se dressa, les yeux fous. Elle était en transes. Le moindre des gestes de Malko se répercutait en elle. Pris au jeu, il revint au ventre, brutalement. Elle ahana, puis laissa échapper un gémissement continu à travers ses lèvres entrouvertes, et enfin murmura :

— Il ne m’a pas touchée depuis cinq ans.

— Qui ?

— Cheng Chang. Mon mari.

— Pourquoi ?

Maintenant, il caressait tout le corps de la statue, très doucement. La Chinoise se détendit, les yeux fermés, mais son corps était encore agité de frémissements. Elle ne songeait pas à ramener le peignoir sur ses cuisses découvertes.

— Il ne m’aimait plus, dit-elle soudain. Mais c’était quand même un bon mari. Il ne m’a jamais laissé manquer de rien.

Dans l’état où elle était, elle ne mentait pas.

Ainsi, c’était elle la vraie femme. Et, vraisemblablement, celle qui en savait le moins. Perdu dans ses pensées, Malko ralentit son mouvement. La Chinoise le rappela à l’ordre, d’une voix suppliante :

— Please, don’t stop[11] !

Repris par ses soucis, Malko n’avait plus envie de jouer. Il posa la statuette sur le guéridon et fit face à son interlocutrice.

— Que savez-vous du secret de votre mari ?

Mme Cheng Chang resta la bouche ouverte, comme si Malko l’avait giflée, le souffle court. Brusquement elle sauta sur ses pieds. Son peignoir s’ouvrit complètement.

En dépit de hanches un peu grasses, elle avait un joli corps.

Sans transition, à voix basse, en chinois, elle se mit à injurier Malko, à taper du pied. Sa voix montait, devenait terriblement perçante. Elle en bavait. Vivement, il s’approcha d’elle pour la faire taire.

— Vous m’avez déshonorée, glapit-elle soudain. Je vais me tuer.

Lui échappant, elle se rua vers la fenêtre et commença à relever le store. Malko l’agrippa par-derrière et la ceintura.

Elle luttait avec une force démente. Dans la bagarre le peignoir s’ouvrit complètement, découvrant la poitrine lourde. Mais la Chinoise semblait avoir oublié son délire érotique. Marmonnant des mots sans suite, elle tentait de se rapprocher de la fenêtre avec l’intention évidente de s’y jeter.

Malko la secoua furieusement, oubliant toute galanterie.

— Arrêtez, vous êtes folle !

Elle s’arrêta net, fixant sur Malko un regard égaré. Il n’ignorait plus rien de son corps, mais elle ne semblait pas se soucier de sa nudité. Sans un mot, elle trottina jusqu’à la chambre. Un peu inquiet, Malko faillit la suivre. Et si elle allait s’ouvrir les veines ou sauter par la fenêtre ?

Mais il était si essoufflé qu’il éprouva le besoin de s’asseoir. Jamais il n’aurait pensé qu’une caresse télépathique puisse provoquer de tels dégâts…

Ce qui ne l’avançait nullement. Il n’était pas venu pour batifoler avec Mme Cheng Chang. Si les autres veuves lui en réservaient autant. La Chinoise réapparut aussi soudainement qu’elle s’était éclipsée. Elle avait purement et simplement ôté son peignoir mais s’était refait une beauté avec beaucoup de soin, se passant les yeux au khol et rosissant sa bouche et les pointes de ses seins. Il n’eut pas le temps de se poser de questions. La veuve de Cheng Chang était déjà contre lui, se conduisant d’une façon qui n’était excusable que par une longue abstinence.

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10

Fille du docteur.

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11

Je vous en prie, n’arrêtez pas.