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Elle exhalait une odeur forte et animale qui couvrait celle du parfum dont elle s’était arrosée. Les yeux baissés, elle évita la bouche de Malko mais l’attira par terre sur la natte. Elle le déshabillait avec des gestes précis, sans un mot.

Il y avait quelque chose de désincarné dans la façon dont elle s’offrait. Quand Malko fut nu, elle s’agenouilla quelques secondes au-dessus de lui pour aviver son désir, toujours sans le moindre geste de tendresse. L’automate de l’amour.

Puis, sans transition, elle se laissa tomber sur lui. Il eut l’impression d’avoir ouvert la vanne d’un volcan. Elle se tordait, la bouche ouverte, les yeux révulsés, s’accrochant à lui comme si elle se noyait.

Sans un mot.

Pendant plusieurs minutes, elle se démena comme une cavale sans qu’il sache si elle avait atteint son plaisir ou non. Ils exécutaient deux mouvements séparés, totalement indépendants. Tout à coup elle eut un cri étranglé et il sentit contre sa poitrine un cœur qui battait la chamade.

Il n’y avait plus aucun bruit dans la chambre et on entendait dehors des ménagères qui s’invectivaient en chinois. Tout cela semblait irréel à Malko. Vingt-quatre heures plus tôt, il attendait un agent double qui devait lui livrer une information vitale pour son pays d’adoption. Maintenant, il était en train de faire l’amour avec une Chinoise dont il ignorait jusqu’au vrai nom. Et les mobiles.

Comme si elle avait voulu répondre à son interrogation muette, Mme Cheng Chang souleva légèrement sa tête et dit dans son anglais cahotant :

— Excusez-moi, je ne voulais pas, mais vous m’avez tellement excitée… Je ne pouvais plus, j’étais malade à force de me retenir…

« Cela fait cinq ans que mon mari ne m’avait pas fait l’amour. Il ne me désirait plus du tout. Il n’y a que les filles très jeunes et très vicieuses qui pouvaient l’exciter. Dès qu’il avait un peu d’argent il allait avec toutes les petites putains de Wan-chai. Il lui fallait des films aussi…

— Cinq ans !

Malko la regarda, incrédule. C’était encore un truc. Mais elle semblait sincère. D’ailleurs elle continua :

— Je ne devrais pas dire cela à un étranger, mais je ne veux pas que vous me jugiez mal. Je n’ai jamais trompé mon mari jusqu’à ce jour. Vous êtes le diable. Comment avez-vous su que j’en avais tellement envie ?

Flatté mais perplexe, Malko demanda :

— Pourquoi n’avez-vous pas quitté Cheng Chang ? Vous êtes jeune et jolie.

— Le quitter ?

Le ton de la Chinoise exprimait la plus profonde stupéfaction, comme s’il avait blasphémé.

— Mais c’était un très bon mari, s’écria-t-elle avec véhémence. Quand ma mère est morte il a payé huit cents dollars pour qu’elle ait un enterrement décent et que l’on renvoie son corps à Canton. Il m’a toujours emmenée au restaurant au moins une fois par semaine. Je n’ai jamais manqué de rien. C’est lui qui a acheté tous les meubles de cet appartement. Je ne suis pas une putain. Je ne vais pas quitter mon mari pour une chose pareille.

Elle était sincèrement choquée. Malko se rendit compte qu’il avait fait un pas de clerc. Décidément l’âme orientale possédait des replis inconnus.

Pour dévier de ce sujet brûlant, il demanda :

— Pourquoi vouloir me contacter à tout prix ?

— Je ne sais pas. J’avais peur. J’ai pensé que vous pouviez m’expliquer. Quand il est parti, il m’a dit qu’il allait gagner beaucoup d’argent à Taipeh. C’était avec vous ?

Malko secoua la tête :

— Non.

Ils étaient étendus nus, côte à côte, à même la natte dont les fibres pénétraient durement dans le dos de Malko. Étrange position pour une Altesse Sérénissime, même en voyage. Décidément l’espionnage menait à tout.

Il pensait aux deux autres femmes qu’il avait rencontrées à la morgue. Si celle-ci était l’épouse légitime, qui étaient-elles et pourquoi s’intéressaient-elles au regretté Cheng Chang ?

Bizarre ! bizarre ! On ne fabrique pas toute seule des faux papiers et M. Cheng Chang n’était pas assez riche pour tenter les veuves abusives.

— Vous ne savez rien sur l’affaire qui a amené votre mari à Formose.

— Rien. Il ne me tenait jamais au courant de ses affaires D’ailleurs, il n’habitait plus ici depuis longtemps. À cause des filles. Je pensais que vous pourriez m’aider, vous…

Elle semblait désespérée. Malko insista :

— Vous ne voyez rien ni personne qui puisse savoir quelque chose ?

— Pourquoi cela vous intéresse-t-il tant ? demanda-t-elle vivement, appuyée sur un coude.

Malko n’hésita qu’une seconde.

— Je travaille pour les Services de renseignements américains, dit-il. Votre mari était en possession d’une information très importante. C’est pour cela qu’on l’a tué.

Elle crispa un poing sur sa bouche.

— C’est horrible.

— Alors vous ne voyez personne ? Elle hésita avant de répondre.

— Holy, peut-être. C’était son meilleur ami. Holy Tong. Il a un bureau à Hong-Kong dans Holland House.

— Pourquoi ne lui avez-vous pas demandé ? Elle secoua la tête.

— Il ne me connaît même pas. Il entraînait Cheng à courir les filles. Ils étaient toujours ensemble. Il ne pense qu’aux femmes.

— Vous pensez que votre mari lui aurait parlé ?

— Je ne sais pas, peut-être.

Malko ouvrait la bouche quand un léger coup de sonnette retentit. Mme Cheng Chang se dressa sur les genoux, les mains brusquement croisées chastement sur ses seins en poire. Elle eut un petit sanglot.

— Cachez-vous. Il ne faut pas qu’on vous voie. La vraie scène de l’adultère.

Malko se laissa docilement traîner jusqu’à la chambre, bien que sa partenaire lui arrivât tout juste à l’épaule. Cela sentait le patchouli et la transpiration refroidie avec des relents de poisson. Mme Cheng Chang lui fit signe de ne pas faire de bruit et referma doucement la porte sur lui après lui avoir jeté ses vêtements en vrac.

Il eut le temps de la voir enfiler le peignoir de leurs amours avant qu’elle ne fermât la porte. Il profita du répit pour se rhabiller. La fornication pendant les heures de travail était déconseillée par les plus hautes instances de la CIA. Même aux barbouzes de luxe.

Rhabillé, l’oreille collée à la porte, il écouta. Tout à fait un personnage de Feydeau. Étant donné l’incandescence de la belle veuve Cheng Chang, elle était peut-être en train de commettre l’acte de chair sur son paillasson avec un jeune télégraphiste… Il attendit encore cinq minutes, puis, délibérément, entrouvrit doucement la porte de la chambre et jeta un œil.

Le living était vide. La statuette d’ivoire semblait lui cligner de l’œil. Donc la Chinoise ne pouvait être que dans l’entrée ou partie. Un rideau lui cachait l’entrée, mais aucun bruit de conversation ne lui parvenait. Il s’enhardit, sortit de la chambre, et s’arrêta pile, le cœur dans la gorge.

Un petit pied, aux ongles faits, dépassait sous le rideau de l’entrée.

Il écarta le tissu. Mme Cheng Chang gisait sur le dos, recroquevillée, dans l’entrée, dans une posture involontairement obscène, les cuisses grandes ouvertes. Son peignoir, pris sous elle, ne la protégeait plus en rien des regards. Malko frémit, la porte était restée entrouverte !

Il se hâta de la refermer, repoussant pour cela la tête de la malheureuse et il s’agenouilla près d’elle.

Elle avait les yeux grands ouverts avec les pupilles dilatées et la mâchoire encore contractée comme si elle avait voulu mordre quelqu’un avant de mourir. D’abord, il crut qu’elle avait été étranglée puis il aperçut à la hauteur du foie un morceau d’aiguille hypodermique encore enfoncée dans la chair. Il la retira avec précaution et l’examina.