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Tout de suite, l’odeur d’amandes amères lui sauta au visage et il laissa vivement tomber l’aiguille. Du cyanure.

La veuve de Cheng Chang avait été empoisonnée avec une dose massive de cyanure, injecté à l’aide d’une seringue hypodermique, par voie sous-cutanée. Son ou ses assassins l’avaient tenue pendant que le poison faisait son effet, bloquant les muscles respiratoires. L’affaire de moins d’une minute avec une telle dose. Ce n’était pas un meurtre passionnel, en tout cas.

Malko se releva et alla inspecter rapidement le living-room pour voir s’il n’avait rien oublié. Puis il entrouvrit la porte, et après s’être assuré que la coursive extérieure était déserte, il sortit, claqua la porte et plongea dans l’escalier. Il se souciait peu de faire connaissance avec les prisons de Hong-Kong. Pour meurtre.

Sans trop hâter le pas, il quitta l’immeuble et se retrouva dehors. Par chance, un taxi passait. Il s’engouffra dedans et donna l’adresse de l’Hôtel Mandarin, par prudence.

Après Cheng Chang, une de ses épouses… Il restait à savoir pourquoi on l’avait supprimée. Holy Tong pourrait peut-être l’aider.

CHAPITRE VII

La porte vitrée opaque portait en lettres noires : « W. Tong, Incorporated ». Malko frappa un coup léger avec sa chevalière et tourna le bouton. Il était plus de six heures du soir et il craignait de ne plus trouver personne.

La journée avait passé très vite. À neuf heures du matin, Malko avait été rejoindre Dick Ryan à son bureau de Electronics of California afin de faire le point de la situation après le meurtre de la veuve de Cheng Chang. L’Américain avait éclaté de rire quand Malko avait prononcé le nom de Holy Tong.

— Ce vieux polisson ! Que vient-il faire là-dedans ? Malko lui avait raconté comment Mme Cheng avait été amenée à lui parler de Tong.

— Ne perdez pas de temps avec ce type, lui avait conseillé Ryan. Il est complètement inoffensif, ne pense qu’à se taper des filles. Mais on mange bien à son bar, l’Ascot.

Après avoir lu les journaux qui relataient le meurtre de Mme Cheng Chang, Malko avait décidé d’aller quand même voir Tong. De toute façon, le building Holland House, où se trouvait le bureau du Chinois, était à cent mètres du Hilton.

Il avait eu toutes les peines du monde à dénicher le bureau, dans le dédale des couloirs du Holland House, qui se trouvait au coin du Queen’s Road et de Ice Street, après avoir perdu son après-midi en retournant une ultime fois à la morgue. Les deux veuves survivantes avaient disparu, le colonel Withcomb ne s’était pas montré et l’on n’avait toujours pas retrouvé Cheng Chang.

Enfin, il allait voir le fameux Tong.

Le bureau était à peine plus grand qu’un placard à balais moyen. Une secrétaire chinoise sans âge tapait devant une table minuscule surchargée de papiers. Elle leva la tête avec un regard interrogateur. La pièce sentait l’encens et l’encaustique. Les murs étaient recouverts de pin-up découpées dans des magazines chinois et japonais à la limite de la pornographie.

— M. Tong ? demanda Malko.

La secrétaire n’eut pas le temps de répondre. Un Chinois rondouillard et jovial venait de se matérialiser derrière Malko, entré par la porte, restée ouverte.

— Je suis M. Tong, dit-il d’une voix onctueuse, presque ecclésiastique. Voulez-vous vous asseoir ?

Il poussa presque Malko vers le fond du bureau et l’assit dans l’unique fauteuil, tandis qu’il faisait le tour du meuble pour s’asseoir à son tour. Malko le dévisageait avec curiosité : il évoquait un peu un prêtre défroqué. Impossible d’accrocher son regard. Ses mains grassouillettes étaient sans cesse en mouvement.

— Que me vaut l’honneur de votre visite ? demanda M. Tong.

Malko n’avait pas ôté ses lunettes, pour garder l’avantage.

— Je viens de la part d’un de vos amis, dit-il, paisible. Il m’a dit que vous pourriez me venir en aide…

Tong rayonna.

— D’où souffrez-vous ? demanda-t-il paternellement en se penchant par-dessus le bureau.

— Mais, je ne souffre pas…

Le Chinois eut un geste engageant et dit à voix basse, malicieusement :

— Je vois, je vois, mais vous pouvez parler en toute tranquillité. Ma secrétaire ne comprend pas l’anglais.

— Ce que j’ai à vous dire est confidentiel, souligna Malko. Je…

Tong étendit les mains en un geste apaisant. Saint-Pierre bénissant les apôtres.

— Ne m’en dites pas plus. Depuis combien de temps est-ce arrivé ?

— Hier, fit Malko.

— Tsst, tsst, je n’ai pas besoin de détails, coupa Tong. Attendez une seconde.

Il donna un ordre en chinois à la secrétaire. Celle-ci abandonna sa machine et s’accroupit près d’un placard au ras du sol. La Chinoise sortit avec peine une énorme bonbonne pleine d’un liquide incolore, puis une toute petite fiole vide et une sorte de pipette de verre.

M. Tong caressa la bonbonne du regard et dévissa le bouchon.

— J’appelle cela le vin pour hommes faibles, dit-il à Malko. Bien entendu, il ne faut pas le boire. Cela pourrait vous rendre très malade…

Malko commençait à se demander si M. Tong n’avait pas abusé d’un autre vin. Avec des gestes de mère, le Chinois préleva un peu de liquide dans la bonbonne, grâce à la pipette, puis remplit le flacon et le boucha soigneusement avant de tout remettre en place. Malko remarqua que des petites choses noires flottaient dans le liquide. Pas ragoûtant. Tong poussa la fiole vers lui :

— Cela met deux heures environ à agir, dit-il à voix basse. Il faut utiliser un petit pinceau et bien laisser sécher. Et surtout se laver après, parce que le goût est un peu amer. C’est un alcaloïde, n’est-ce pas. Mais l’effet est absolument prodigieux.

Sa voix n’était plus qu’un filet, mais ses yeux pétillaient d’une saine joie contenue.

— Moi-même, je l’utilise souvent, confia-t-il. La semaine dernière, j’avais une petite réunion avec de très jeunes filles… Eh bien…

Malko faillit tomber de sa chaise. Tong était en train de lui vendre un philtre d’amour. Max l’ordinateur n’avait pas prévu cela. Fermement, il repoussa la fiole vers son interlocuteur et dit en détachant bien ses mots :

— M. Tong, la personne qui m’envoie s’appelle Mme Cheng Chang. Ou plutôt s’appelait. Elle a été tuée hier soir, comme vous le savez peut-être par les journaux.

Le visage du Chinois se décomposa d’un coup. Comme une motte de beurre au soleil. Il regarda autour de lui comme si des bêtes allaient surgir des murs.

— Vous êtes sûr de ce que vous dites ? fit-il faiblement. Malko le contemplait en silence. Pour une femme qu’il connaissait à peine, il paraissait bien touché.

— Vous saviez que votre ami Cheng Chang se trouvait dans l’avion de la China Airline qui s’est écrasé, n’est-ce pas ?

— Oui, oui, fit faiblement Tong. J’ai vu la liste des passagers. C’est une chose horrible.

Il semblait de plus en plus décomposé. Malko l’examina curieusement. Tout son entrain était tombé. Il n’avait plus en face de lui qu’un homme âgé, fatigué, adipeux, sans ressort.

Les yeux penchés sur le bureau, il jouait avec la petite fiole qu’il avait proposée à Malko. Les pensées tournaient en rond sous son crâne comme des insectes malfaisants.

Tout recommençait. Avec la mort de Cheng Chang, il pensait que sa gaffe n’aurait pas d’autres conséquences. Et maintenant, ce Blanc qui sentait les Services secrets à plein nez, était là, à lui demander des comptes. Pourquoi à lui ? Il fallait absolument qu’il sache ce que l’autre connaissait de ses rapports avec Cheng Chang. Il pensa à Mme Yao et réprima un sanglot. Il allait falloir lui dire la vérité. Si elle ne la savait pas déjà.