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— Je ne peux pas vous aider, dit-il soudain, mais je connais bien Hong-Kong. Si vous avez quelques moments de loisirs…

Il glissa quelques billets dans sa serviette et se leva. Malko l’imita et se cassa en deux avec une grimace de douleur. Il n’était pas encore habitué à la dureté des sièges de bois à la chinoise. Même les oreillers sont en bois ! Ses névralgies l’avaient repris.

— Qu’y a-t-il ? demanda Holy.

Malko lui expliqua en descendant les escaliers de Lad-der Street. Les yeux de Holy brillèrent. Enfin, il était en terrain connu.

— Je vais vous guérir, affirma-t-il. Avec l’acupuncture. Je viendrai demain matin à votre hôtel, nous commencerons le traitement…

Après tout, c’était un bon moyen pour garder le contact. Malko accepta. Au coin de Queen’s Road, ils croisèrent une Chinoise éblouissante de beauté, moulée dans un cheong-sam, s’arrêtant à mi-cuisses. Son regard glissa sur les deux hommes, royal et hautain. Émoustillé, Holy Tong gloussa :

— Elle travaille chez Lane Crawford, vous pouvez l’avoir pour cinquante dollars. Hong-Kong, bien entendu.

C’était un cas presque parfait d’obsession sexuelle. Des filles trottaient dans sa tête toute la journée. Il se pencha et dit d’un ton confidentiel :

— Il faudra que nous organisions une petite soirée un jour. Ce n’est pas cher, avec trois filles jeunes et des films, cela coûte cent dollars. Ils apportent le matériel de projection, bien entendu.

Cette fois, ils prirent un taxi pour revenir dans Victoria. Le Chinois jacassait sans arrêt, à propos de choses sans importance. Malko le déposa au coin de Ice Street et continua jusqu’au Hilton. Sa piste se terminait en impasse. Le prolixe et libidineux Tong n’avait rien d’une barbouze. Enfin, s’il le guérissait de ses névralgies, ce serait déjà quelque chose…

Il monta l’escalator et se dirigea vers la réception pour prendre sa clé. Soudain son regard tomba sur la veuve numéro deux de Cheng Chang, la plus belle.

Assise sur une banquette, elle le regardait tranquillement.

CHAPITRE VIII

Une interminable seconde, les yeux d’or de Malko restèrent vrillés à ceux de la Chinoise. Puis, elle se leva lentement et vint vers lui. Sa démarche était aussi ondulante que celle d’un grand félin, mais son visage n’avait absolument aucune expression. Il la détailla. Elle était vêtue à l’Européenne avec un ensemble de soie orange très bien coupé. Les tailleurs chinois sont les meilleurs du monde quand ils le veulent.

Malko s’inclina légèrement, lui prit la main et l’effleura de ses lèvres.

— Je crois que nous nous sommes déjà rencontrés, dit-il. Que me vaut le plaisir ?

Elle marqua une imperceptible hésitation devant sa galanterie, puis laissa tomber d’une voix basse et un peu éraillée, en complète contradiction avec son apparence distinguée :

— Je veux vous parler. C’est important.

Il n’eût pas été galant de lui offrir sa chambre. Malko proposa :

— Que diriez-vous du Den, en bas ? On m’en a dit le plus grand bien.

Elle haussa les épaules.

— Si vous voulez.

Son indifférence à tout était presque palpable. Elle précéda Malko dans l’escalator. Elle marchait la tête haute, le buste en avant, les reins cambrés. Une vraie bête de race.

Le Den, la boîte de nuit de l’hôtel, était divisé en petits boxes fermés par des palissades de faux bambous. Malko et sa compagne s’assirent assez loin de l’orchestre. Il commanda tout de suite une bouteille de Moët et Chandon, offerte au poids de l’or, puis dit :

— Je n’ai pas eu l’honneur de vous être présenté par le colonel Whitcomb : je suis le prince Malko Linge.

Elle haussa les épaules, signifiant qu’elle s’en moquait comme de son premier soutien-gorge. De près, son visage régulier était terriblement dur.

— Je m’appelle Mina, répondit-elle, les yeux dans le vague.

Ils ne parlèrent plus jusqu’au moment où on apporta le champagne. Dès que leurs deux coupes furent pleines, Malko leva la sienne :

— À quoi devons-nous boire ?

Comme à regret, elle prit aussi la sienne, avec ce qui pouvait passer pour un sourire :

— Au succès de notre conversation.

Elle trempa ses lèvres dans le liquide glacé, en but une gorgée et remarqua :

— C’est bon !

Il remplit de nouveau sa coupe. L’orchestre avait commencé à jouer. C’étaient des Philippins, qui jouaient à la chinoise des airs américains.

— Là où je travaille, dit la Chinoise, en jouant avec sa coupe vide, on ne sert pas de champagne.

Malko remplit sa coupe :

— Où travaillez-vous ?

— Au Kim Hall. Je suis entraîneuse.

Elle vida sa coupe presque aussitôt. Ses yeux morts avaient enfin pris de l’expression et ses joues avaient rosi.

— Vous parlez bien anglais, remarqua-t-il. Pourquoi n’essayez-vous pas de trouver autre chose ?

Elle le regarda presque avec haine et jeta, méprisante.

— Je suis entrée en fraude à Hong-Kong, il y a un an. J’ai de faux papiers. Pour les payer j’ai dû coucher pendant quinze jours avec tous les hommes qui me l’ont proposé. Tous, vous m’entendez.

« On me tolère. Mais si j’essayais de prendre le travail d’une fille qui est en règle, on me dénoncerait. Vous savez ce que cela veut dire ?

Malko secoua la tête négativement.

— On risquerait de me reconduire à la frontière, chez les communistes.

Elle se tut un instant. Il vit que ses lèvres tremblaient.

— Hong-Kong est un piège, dit-elle. Après, on ne peut pas aller plus loin. Vous vous souvenez de l’homme qui avait réussi à se glisser sur le ferry de Macao, il y a quelques années. À Macao, on n’a pas voulu le débarquer. À Hong-Kong, on ne voulait pas non plus le laisser descendre. Cela a duré trois mois. Personne n’a faibli.

— Qu’est-il devenu ?

— Il s’est suicidé. Pour ne pas devenir fou. On l’aurait laissé vieillir sur place. Dans deux ou trois ans les communistes seront à Hong-Kong. Pour tous ceux qui n’auront pas pu partir avant, le rideau se baissera définitivement. Je ne veux plus être là à ce moment.

— Comment pouvez-vous quitter Hong-Kong ? Ses yeux lancèrent un éclair.

— Si je pouvais quitter Hong-Kong, seule, je ne serais pas ici ce soir. C’est mon seul jour de repos. Pour partir d’ici, il faut pouvoir aller ailleurs, avoir un passeport. Moi je n’ai pas de passeport, rien à part un faux extrait de naissance. Je peux tout juste aller à Macao. Nous sommes des dizaines de milliers dans le même cas.

— Pourquoi avez-vous réclamé le corps de Cheng Chang ? demanda Malko. Vous n’êtes pas sa veuve.

Elle haussa les épaules.

— J’étais obligée de le faire.

— Pourquoi ?

— Je ne vous le dirai pas.

— Comment m’avez-vous retrouvé ? Elle haussa les épaules.

— Aucune importance. Je veux que vous me disiez qui vous êtes et pourquoi vous vouliez le corps de Cheng Chang.

Elle avait posé sa question brutalement, comme un homme.

— Pourquoi ?

— Je pourrais peut-être vous aider.

C’était trop gros pour être un piège. Mais il n’y comprenait plus rien.

— Pourquoi voulez-vous m’aider ? demanda-t-il.