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Holy croisa ses mains grassouillettes !

— C’est… c’est cette femme qui est morte qui lui a parlé de moi.

Il ne disait pas « que tu as fait tuer » pour ne pas la vexer.

Mme Yao réfléchissait. Elle connaissait l’existence de cet agent américain. Depuis qu’il avait été réclamer le corps de Cheng. Soudain, elle voyait un moyen de l’utiliser.

— Puisque tu vas revoir cet homme, dit-elle, tu vas me rendre un service.

— Oh ! non, gémit Holy. J’ai peur.

— Tu aurais encore plus peur si je te fais tuer. Tu refuses ? fit-elle, menaçante.

— Non, non. Je ferai ce que tu veux…

Elle prit un paquet de Craven sur la table, en alluma une sans en offrir à Holy, la mit dans un long fume-cigarette en bambou et croisa les jambes très haut :

— Je te donne le moyen de te racheter, fit-elle doucereusement. Voici ce que tu vas dire…

Holy cligna des yeux derrière ses lunettes. Mme Yao le fascinait comme un serpent. Pendant dix minutes, il écouta sa maîtresse, docilement. La tête lui tournait. Il avait la sensation de s’enfoncer dans un puits sans limite. Et surtout, il avait peur. Combien il maudissait le soir où il avait voulu briller devant son ami Cheng Chang.

— Je ferai comme tu veux, dit-il d’une voix presque imperceptible.

Satisfaite, elle sourit. Sans transition, ce n’était plus qu’une femme sensuelle, et avide de plaire.

— Je viendrai te voir demain, roucoula-t-elle. Mon dos me fait mal…

La carotte et le bâton.

Holy sentit une boule de chaleur au creux de son estomac. Quand elle faisait l’amour avec lui, Mme Yao lui disait des choses que même les putains des meilleurs bordels de Kowloon ne savaient pas inventer.

— Va-t’en maintenant, fit Mme Yao d’une voix redevenue dure.

Holy se retrouva dans Hanoi Road, grouillante de monde. Il n’était pas bien dans sa peau. Un tueur à gages ne coûtait pas même cinq mille dollars Hong-Kong. Une misère. Tout en marchant le long de Nankin Road, Holy tournait et retournait le problème dans sa tête. Il était coincé.

Il arriva devant le Peninsula Hôtel au moment où un autocar débarquait un flot de touristes japonais du Matsamaru, cargo ancré dans la rade.

Malko attendait Holy Tong, qui devait venir l’acupuncter à onze heures, en lisant le South China Morning Post. C’était une longue litanie d’attentats et de troubles. Le meurtre de Mme Cheng Chang semblait être passé complètement inaperçu. Officiellement tout au moins.

On frappa un coup léger à la porte et il alla ouvrir. La silhouette rondouillarde de Holy Tong se tenait dans l’embrasure.

Le Chinois semblait fébrile et nerveux. Ils échangèrent quelques banalités sur le temps, puis Malko s’étendit sur le lit après s’être déshabillé, ne gardant qu’un slip. Holy Tong commença à tâter délicatement les traces de son ancienne blessure. Il avait des mains extraordinairement douces pour un homme.

— Je pense que je vais vous soulager beaucoup, dit-il après son examen. C’est un cas relativement simple.

Il tira de sa poche une petite trousse avec ses aiguilles. Mais il était si nerveux qu’il la fit tomber sur le lit.

— Qu’y a-t-il, monsieur Tong, demanda Malko ? Vous êtes toujours aussi tendu avant de soigner quelqu’un…

Le Chinois secoua la tête :

— Non. Non, mais j’ai repensé à ce que vous m’aviez dit l’autre jour. À propos de mon ami Cheng Chang…

Malko dressa l’oreille. Le Chinois venait de lui enfoncer une aiguille d’or entre deux côtes et il ne ressentait absolument aucune douleur. Étonnant. Les trois autres aiguilles se plantèrent dans sa chair de la même façon, comme s’il s’était agi d’une autre personne. Assez impressionnant.

— Il faut les garder dix minutes environ, commenta Holy Tong, pour que cela agisse sur les terminaisons nerveuses.

— Pourquoi êtes-vous tracassé au sujet de Cheng Chang, demanda Malko ? Il est mort.

Holy hocha la tête tristement.

— Je sais, je sais, fit vivement le Chinois, mais je me demande si je ne sais pas pourquoi…

Malko se dressa sur ses coudes si brusquement qu’il manqua arracher ses aiguilles !

— Quoi !

Mais déjà Holy Tong battait en retraite :

— Je ne sais rien de précis, assura-t-il. Seulement une phrase m’est revenue, une chose qu’il m’avait dite.

Malko était sur des charbons ardents. Le Chinois jouait avec une des aiguilles non utilisées. Voilà donc ce qui expliquait sa nervosité de leur première rencontre.

— Monsieur Tong, dit-il, très doucement, si vous savez quelque chose, il faut me le dire. C’est très, très important.

Le Chinois baissa les yeux :

— J’ai peur. Regardez ce qui est arrivé à Cheng Chang. Non, je crois qu’il vaut mieux que je garde cela pour moi. Si on savait que je vous ai parlé.

— Personne ne le saura jamais, affirma Malko…

Holy songea avec amertume qu’on lui avait tenu exactement les mêmes propos vingt ans plus tôt. On finissait toujours par savoir. Surtout à Hong-Kong.

Il resta silencieux un moment, puis dit lentement :

— Deux jours avant qu’il ne parte pour Taipeh, j’ai vu Cheng Chang. Il était très excité.

— Pourquoi ?

Holy se pencha à son oreille comme si la chambre avait été pleine d’espions :

— Il m’a dit que les communistes allaient attaquer la flotte américaine la prochaine fois qu’elle serait à Hongkong !

Malko regarda le Chinois. Holy soutint fermement le regard des yeux jaunes. Intérieurement, Malko jubilait. L’électronique, c’était quand même extraordinaire.

L’aveu de ce Chinois recoupait parfaitement ce qu’avait prévu Max l’ordinateur.

— Vous ne savez rien d’autre ? demanda-t-il. Le Chinois secoua la tête.

— Rien. Il ne parlait pas beaucoup. Sur le moment, j’ai cru que ce n’était pas sérieux. Puis, avec ce qui s’est passé…

— Beaucoup de gens ont cru que ce n’était pas sérieux, dit sombrement Malko.

Brusquement, il se sentait beaucoup plus léger. Sa mission était terminée. À l’équipe de Dick Ryan de veiller sur le Coral-Sea, lorsqu’il arriverait. Au fond tout cela avait été merveilleusement facile. Il allait enfin pouvoir se comporter comme un touriste normal. Se faire faire des costumes, aller fumer un peu d’opium et admirer le merveilleux spectacle de la baie sans craindre de recevoir une balle dans le dos. Quand le Coral-Sea arriverait, il serait loin au fond de son château, en Autriche. En revenant par la Scandinavian, il descendrait à Copenhague et le tour serait joué. Il fut plein de reconnaissance pour Holy Tong.

La seule à être sérieusement déçue serait la belle Mina. Ce n’est pas lui qui lui offrirait son passeport. Dans sa joie, il dit à Holy :

— Mon cher, je vous invite à déjeuner.

Le Chinois protesta faiblement, mais Malko insista tant qu’il finit par céder. Le temps de se rhabiller et ils étaient dans le hall.

Malko faillit éclater de rire : Po-yick était sagement assise sur une banquette ! Avec son inséparable amie. Décidément, elle était folle amoureuse. Fugitivement, Malko regretta d’avoir invité le Chinois à déjeuner.

— Attendez-moi une seconde, demanda-t-il, je dois dire un mot à cette jeune personne.

Po-yick semblait toujours aussi timide.

— Mon amie a voulu aller manger un ice-cream à la cafétéria, alors je l’ai accompagnée… Je ne pensais pas vous voir.

Malko sourit devant l’énorme mensonge. Les yeux de la Chinoise disaient assez son trouble. C’était charmant et touchant.

— Je dois aller déjeuner avec un monsieur, expliqua-t-il, mais, à partir d’aujourd’hui, je serai beaucoup plus libre si vous avez des devoirs. Venez vers six heures.